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Le droit en débats

Le Conseil d’État sème le doute sur l’imposition des produits financiers des caisses de règlements pécuniaires des avocats

En choisissant de censurer la décision rendue par la cour administrative d’appel (CAA) de Lyon le 24 mai 2012 dans l’affaire CARPA de Lyon-Ardèche c/ ministre du budget, le Conseil d’État jette le trouble sur le statut fiscal des CARPA.

Par Jean-Charles Marrigues le 01 Septembre 2014

Alors qu’elle avait régulièrement acquitté l’impôt sur les sociétés (IS) au taux réduit de 10% sur ses revenus financiers entre 2000 et 20051, la CARPA de Lyon-Ardèche avait décidé de s’en exonérer à compter de 2006. La caisse rhodanienne s’était en effet convaincue que le fait d’encaisser ces produits financiers était lié à son objet social désintéressé et que par conséquent, elle entrait dans le champ de l’exonération prévue par la loi. Partant de ce postulat, elle avait en outre sollicité la décharge de l’imposition à laquelle elle avait été assujettie entre 2004 et 2006 mais l’administration fiscale, qui ne partageait pas son analyse, lui avait opposé un refus.

Le 22 février 2011, le tribunal administratif de Lyon, saisi de ce litige, avait partiellement fait droit aux demandes de la CARPA en la déchargeant des cotisations litigieuses. Interjetant appel de cette décision, le ministre du budget avait fait valoir qu’au regard des dispositions de l’article 206-5 du code général des impôts (CGI), les produits financiers perçus dans le cadre du placement des fonds de cette CARPA étaient dissociables de son activité non lucrative et devaient être soumis à l’IS au taux réduit, sans que l’obligation qui lui est faite d’utiliser ces revenus pour mettre en œuvre ses missions d’intérêt général ne puisse lui permettre d’y échapper. La CAA ayant décidé d’annuler le jugement rendu en première instance2, la CARPA Rhône-Alpes, venant aux droits de celle de Lyon-Ardèche, avait finalement choisi de saisir le Conseil d’État.

Pour ce dernier, il s’agissait alors de déterminer si les capitaux mobiliers qu’une CARPA tire de ses placements financiers sont générés dans le cadre d’une activité indissociable du but non lucratif qui caractérise son objet social désintéressé, et s’ils doivent par conséquent être exclus des bases du calcul de son éventuelle imposition au titre de l’IS au taux réduit.

Répondant par l’affirmative dans un arrêt rendu le 4 juillet 2014, la Haute juridiction censure la décision attaquée et renvoie l’affaire au fond.

Discutable au regard de la jurisprudence relative aux organismes à but non lucratif (I), la solution donnée en l’espèce doit être observée à l’aune du statut fiscal atypique des CARPA (II).

Une solution discutable au regard de la jurisprudence relative aux organismes à but non lucratif

Comme l’ensemble des caisses de règlements pécuniaires, la CARPA de Lyon-Ardèche a un objet social non lucratif et n’est donc pas assujettie au paiement de l’IS au taux de droit commun. L’activité principale des CARPA recouvre en effet deux missions d’intérêt général qui leurs ont été dévolues par le législateur : le contrôle déontologique des maniements de fonds clients des avocats et la gestion de deniers publics servant à rétribuer ceux de ces praticiens qui assurent des missions au titre de l’aide juridique. Ce n’est qu’en parallèle que les caisses exercent une activité de placements financiers dont l’article 235-1 du décret du 27 novembre 1991 impose d’affecter le produit d’une part, au financement de « services d’intérêt collectif de la profession » - catégorie dans laquelle le texte semble implicitement intégrer les coûts de mise en œuvre du contrôle déontologique, non sans une certaine maladresse pour peu que l’on s’attache à distinguer les notions d’intérêt collectif et intérêt général3 - et, d’autre part, à la couverture des frais de fonctionnement de services de l’aide juridictionnelle et de l’aide à l’accès au droit4.

Or en l’espèce, c’est précisément à l’égard de ces seuls produits financiers que le Conseil d’État devait déterminer s’il convient d’assujettir les CARPA à l’IS au taux réduit.

Le régime fiscal applicable aux organismes sans but lucratif est connu. Dans ses conclusions sous l’arrêt Assoc. Sainte-Anne5 , Olivier Fouquet rappelait que la jurisprudence distingue, au sein des activités des organismes à but non lucratif, trois secteurs possibles d’activités lucratives :

- le premier comprend les activités lucratives exercées parallèlement aux activités désintéressées, dont le produit est soumis à l’IS de droit commun6;
- le deuxième vise les activités patrimoniales qui génèrent des ressources comme les capitaux mobiliers, imposables au taux réduit de l’IS dès lors qu’elles ne constituent pas un moyen de réaliser l’objet social désintéressé du groupement7;
- le troisième correspond aux activités qui tendent à l’exécution de l’objet non lucratif de l’organisme ; de tels revenus ne sont pas imposables8.

Ainsi, le Conseil d’État a notamment jugé que si « un CIL qui fonctionne conformément à la règlementation en vigueur n’est pas imposable à l’impôt sur les sociétés à raison des intérêts des prêts qu’il a accordés ou de ses excédents de gestion, il est, en revanche, imposable sur les produits des sommes en attente d’emploi »9.

L’arrêt attaqué par la CARPA Rhône-Alpes s’inscrivait donc dans le droit fil de cette jurisprudence. Le professeur Chadefaux l’avait expliqué dans une note remarquable en rappelant la nécessité de distinguer les produits financiers liés à l’activité désintéressée de tel organisme, exonérés car « réalisés naturellement par la simple activité courante de l’association », des produits « dits patrimoniaux », taxables dès lors qu’ils « procèdent d’une manifestation de volonté » de la part de ses dirigeants en vue de « faire fructifier des sommes détenues en trésorerie indépendamment des opérations directement liées à l’activité désintéressée »10. Pourtant, le Conseil d’État retient en l’espèce que « les produits financiers qu’elles (les CARPA) perçoivent ne procèdent pas d’une activité patrimoniale mais sont inhérents à la réalisation même de (leur) objet social » défini par les textes et que par conséquent, la cour a commis une erreur de droit en jugeant qu’ils rentraient dans le champ d’application de l’article 206, 5 du CGI. Ainsi ces revenus ne devraient-ils plus être imposés, même au taux réduit de l’IS.

Une solution à observer à l’aune du statut fiscal atypique des CARPA

Discutable, la décision du Conseil d’État doit être observée en tenant compte de ce que les CARPA ne sont pas des associations comme les autres. Bien que le régime qui leur est applicable ne méconnaisse pas l’autonomie du droit fiscal, on serait même tenté d’évoquer des associations sui generis.

Le statut fiscal des CARPA a cela de particulier qu’il est fondamentalement lié à l’article 235-1 précité, lequel n’est autre que la traduction par voie règlementaire d’un accord scellé dans les années quatre-vingt entre l’Union nationale des CARPA (UNCA) et le gouvernement. Selon nous, il en est même un élément constitutif dès lors qu’il fixe spécialement pour elles les limites dans lesquelles les caisses doivent utiliser leurs produits financiers sous peine de perdre leur statut d’organisme sans but lucratif11. Est- ce à dire que lors des discussions qui ont présidé à la détermination de leur statut fiscal, les CARPA étaient perçues comme des structures originales, à la lisière entre les organismes avec et sans but lucratif ? C’est en tout cas ce que porte à croire un courrier adressé au président de l’UNCA le 27 septembre 1985, dans lequel le garde des Sceaux prévenait : « les caisses qui s’écarteraient de cette accord (…) seraient soumises à la fiscalité des sociétés aux taux et dans les conditions de droit commun »12. C’est dire si pour les CARPA, les opérations financières qui par leur nature même s’écarteraient de trop des termes de l’article 235-1 sont à proscrire13. À cet égard, on regrettera que le texte soit trop imprécis.

Malgré leur particularité, les CARPA n’en demeurent pas moins des associations régies par la loi du 1er juillet 190114 qui, selon l’article 206, 5° du CGI, devraient être assujetties au paiement de l’IS au taux réduit à raison des produits financiers dont elles disposent. Le choix du Conseil d’État d’en décider autrement inspire par conséquent deux remarques : d’une part, contrairement à ce que celui-ci semble retenir, nous ne pensons pas que la détermination règlementaire de l’affectation des produits financiers des CARPA ait un réel impact sur la nature de leur activité de placements. À l’appui de cette même position, le rapporteur public devant la CAA avait justement fait valoir que « l’ensemble des organismes visés par les dispositions de l’article 206, 5 sont tenus par le principe de leur spécialité ou limités au champ d’intervention de leur objet social ». D’autre part, nous souscrivons au raisonnement mené par la CAA de Lyon en ce qu’elle avait estimé que l’activité de placement des CARPA est dissociable de leur activité principale, d’intérêt général, et de la réalisation de la mission désintéressée découlant de leur objet.

À l’avenir, on pourrait toutefois imaginer que ce genre de litiges trouve une issue différente. En partant du postulat que seules les missions d’intérêt général dévolues aux CARPA s’inscrivent dans leur objet social désintéressé, n’y aurait-il pas lieu de considérer que seule la fraction des produits financiers affectée à leur mise en œuvre devrait être exonérée de l’IS ? A contrario, la part de ces revenus affectée au financement de services d’intérêt collectif de la profession, stricto sensu, serait imposée au taux réduit.

Sur le fond, cela reviendrait simplement à admettre que l’activité de placements des CARPA n’est pas forcément indissociable de leur objet social désintéressé et qu’elle constitue en réalité une activité complémentaire dont il devient indispensable de mesurer concrètement les aboutissants. À cet égard, malgré les efforts notables de l’UNCA, on déplorera un certain manque de transparence d’autant plus regrettable que les dispositions de l’article 235-1 « ont une justification qui n’a rien d’inavouable »15.

On attend désormais la réaction des juges du fond. Pour l’heure, le régime fiscal applicable aux CARPA demeure flou.

 

 

 

 

 

1 L’article 206, 5, c du code général des impôts dispose que « Sous réserve des exonérations prévues aux articles 1382 et 1394, les établissements publics, autres que les établissements scientifiques, d’enseignement et d’assistance, ainsi que les associations et collectivités non soumis à l’impôt sur les sociétés en vertu d’une autre disposition, (…), sont assujettis audit impôt en raison des revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à leurs activités lucratives.
Sont qualifiés de revenus patrimoniaux : (…)
c) les revenus des capitaux mobiliers lorsque ces revenus n’entrent pas dans le champ d’application de la retenue à la source visée à l’article 119 bis du CGI ; ces revenus sont comptés dans le revenu imposable pour leur montant brut ».
2 C.A.A. de Lyon, 5e ch., 24 mai 2012 (req. n° 11LY0141).
3 Si le premier « profite à plusieurs individus » exerçant par exemple la même profession, le second « est généralement celui (…) de la collectivité nationale toute entière » (V. L. BORÉ, La défense des intérêts collectifs par les associations devant les juridictions administratives et judiciaires, L.G.D.J, n° 8 et 12).
4 Décr. n° 91-1197 du 27 nov. 1991, art. 235-1.
5 CE, 7e et 8e ss-section, 24 févr. 1986, n° 54683, Assoc. Sainte-Anne : Juris-Data n° 1986-608017 ; Dr. fisc. 1986, n° 22, comm. 1065 ; RJF 4/1986, n° 254, concl. O. FOUQUET.
6 CE, 26 juill. 1982, n° 22206 : RJF 10/82, p. 450 ; CE, 14 déc. 1984 n° 1984, n° 41139 : RJF 2/85, p. 119).
7 CGI, art. 206-5° et 219 bis.
8 CE, 22 oct. 1980, n° 4906 : RJF 12/80 n° 515.
9 CE, 9e et 8e ss-sect., 1er oct. 1993, n° 96424, Comité interprofessionnel du logement de Voiron : Dr.fisc. 1994, n° 12, comm. 555 ; RJF 11/1993, n° 1433.
10 M. CHADEFAUX, « Les produits financiers d’une CARPA ont-ils la nature de revenus patrimoniaux imposables ? », Rev. dr. fisc., n° 10, 7 mars 2013, comm. 186 ; V. également : M. BABONNEAU, « CARPA et impôt sur les sociétés : Bercy rappelle à l’ordre », www.actuel-avocat.fr.
11 V. Supra.
12 « Annexe 3 : Lettre du 27 septembre 1985 du Ministre de la Justice au président de l’UNCA », www.unca.fr.
13 Les exemples concrets ne sont pas légion. À signaler toutefois un article dans lequel Madame Chevrillon évoque « l’édification des maisons de l’avocat, façades hyperboliques et symboles de la profession », comme à Saint-Etienne ou la restauration du bâtiment se serait élevée « à 15 millions, somme rondelette pour un barreau qui ne compte que 120 inscrits » ou à Bergerac, où « le barreau, avec ses 26 inscrits, s’est payé son propre immeuble » (Hedwige CHEVRILLON, « Les avocats piégés par l’argent facile » l’Expansion.fr, 9 janvier 1995).
14 Décr. du 27 nov. 1991, art. 236.
15 J.-C. KREBS, Discours lors de l’AG de l’UNCA qui s’est tenue à Paris, le13 juin 2014, www.unca.fr.