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Le droit en débats

Les « Facs aussi ! »

Par Félix Rome le 18 Juillet 2014

Dans une lénifiante et dogmatique interview du vice-bâtonnier du barreau de Paris, Laurent Martinet, et de Jean-Louis Scaringella, directeur de l’Ecole éponyme, nos deux ténors ont informé la nouvelle classe biberons, robe noire, hermine blanche, toque virtuelle, de ce que constituera la réforme de l’EFB, dont ils essuieront les plâtres.
 

Il a leur été ainsi expliqué l’écrin dans lequel ils deviendront les Chauvin, Floriot, Lemaire, Dupond-Moretti, Lombard, Badinter, de la Garanderie, Jouanneau, Vathier, Halimi, Dubarry et les autres. Dormez tranquilles, braves gens, vos cotisations sont opportunément gérées…
 

En premier lieu, comme le titre de leur « papier » l’exprime : « l’EFB ne doit plus être une école de droit (ça promet pour la suite) mais une école où on apprend à appliquer le droit au bénéfice du client »… Outre qu’une expérience d’un peu plus qu’un quart de siècle ne réfléchit point un tel constat, j’estime qu’elle repose sur une conception « néandertalienne » des études juridiques à l’Université, qu’a dénoncée avec un art consommé de la nuance un ex-président du CNB.
 

Sur le fond de leurs propos, je me fendrai d’un « Double objection vos honneurs » !
 

En premier lieu, affirmer « tout de go » que « l’EFB ne doit plus être une école de droit » me semble être une grave erreur stratégique, si on veut bien se placer tant sur le terrain de la qualité de la prestation juridique, qui sera donnée au client, que de l’indispensable culture juridique générale dont l’avocat doit être pourvu. Erreur fatale aussi de croire qu’on peut former un professionnel du droit compétent, imaginatif, cultivé, créatif, après simplement une maîtrise en droit, dont les programmes d’enseignement ont été conçus par des énarques qui savent, au mieux, que l’« Université » s’écrit en un seul mot, et qui plongent dans une profonde dépression si un de leurs rejetons les informe qu’il a décidé de s’inscrire à l’Université. En bref, après des décennies à admirer les étudiants user leurs fonds de culotte sur des sièges inconfortables, entassés dans des amphithéâtres peu opportuns pour compter fleurette à son accorte voisine ou à son voisin acnéique pourvu, au demeurant, d’une haleine de poney mort, j’ai la conviction absolue qu’on ne peut pas former de bons professionnels du droit en deçà de cinq ans, pas plus que l’on ne peut former des médecins, des experts-comptables, des architectes en moins de cinq années.
 

Après ces quatre années, une année de 3e cycle, dans un nouveau M2, réservé aux étudiants qui ont choisi l’avocature, serait mise en place. Ce M2 d’avocature serait composé d’étudiants choisis sur leurs mérites, en fonction de leur passé universitaire. Si l’on raisonne sur Paris et sa périphérie, le nouveau flux des futurs avocats se stabiliserait à environ 500, seulement…, étant entendu qu’un concours serait ouvert à une centaine d’étudiants non admis dans les CRFPA.
En second lieu, autre innovation dans cet hymne à l’EFB qui prête à sourire : le prétendu caractère innovant assigné aux stages à l’étranger. Encore une fois, il faut avoir un sacré toupet ou une ignorance crasse de ce que l’Université est, pour émettre une telle affirmation : on rappellera simplement que, depuis des lustres, les étudiants franchissent par centaines les frontières juridiques hexagonales pour s’immerger dans les cultures d’autres continents.
 

Quant à l’autre innovation vantée par les deux têtes pensantes à la langue bien pendue, selon laquelle l’EFB permettra aux étudiants d’entrer en contact avec les acteurs du droit vivant, elle témoigne aussi de leur méconnaissance de la réalité universitaire. On leur rappellera que, depuis des lustres, ils le sont déjà comme en attestent les semestres ou années d’études mis en place au niveau européen et international, dans le cadre d’échanges universitaires. On ajoutera les thèses dont la confection suppose l’« exil ». Et on rappellera qu’en 3e cycle, une grande quantité d’enseignements est assurée par des professionnels, sans compter que les universitaires sont des avocats réputés.
 

Mes frères, qui allez, lentement mais certainement, devenir le contingent le plus important de l’armada des avocats, je vous envie, je suis jaloux et jaloux de vous. Combattants de la défense, votre seule parole en bandoulière et votre verbe au fond de votre fourreau, je vous envie, parce que je crois profondément que le droit est à la fois un art, le ferment de l’harmonisation sociale, et une arme contre l’anarchie et contre l’arbitraire, avec laquelle vous allez à l’avenir vous battre afin que finalement la justice, celle des innocents, comme celle de tous les autres, triomphe, aveugle, certes, mais sans jamais baisser les bras, en dépit de la main invisible du marché et des petits marquis qui répètent à l’envi que « ce qui compte, ce sont les origines et pas le talent ».

L’éditorial de Félix Rome est paru dans le Recueil Dalloz, du 17 juillet 2014, n°26/7607e