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Le droit en débats

L’avocat et la communication de crise

Par Philippe Edmond-Mariette le 31 Août 2015

Pour les avocats, parler aux médias n’est pas sans risque. Toutefois l’exercice est devenu utile et nécessaire dans une société où la communication est aujourd’hui accélérée avec le développement des moyens modernes de communication (internet et réseaux sociaux). Dès lors l’exposition des professionnels que sont les avocats est de plus en plus périlleuse car il existe une véritable obligation pour la défense d’éviter à tout prix de contribuer au buzz médiatique surtout en matière pénale.

De plus en plus, les journalistes sollicitent les avocats surtout quand les faits convoquent l’actualité, en situation communicationnelle particulière, notamment en « période de crise ». L’Affaire du Thalys est à ce titre l’exemple le plus récent.

Il convient de rappeler, que dans le cadre d’une affaire pénale, quand un individu est
mis en cause et placé en garde à vue, au moins deux règles de procédure pénale, s’imposent à l’avocat :

• d’abord, l’article 11 du code de procédure pénale « sauf dans les cas, où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Toute personne qui concours à cette procédure, est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code de procédure pénale ».

• puis un second article, celui issu de la loi du 14 avril 2011, portant réforme de la procédure pénale et notamment de la présence des avocats lors des gardes à vue, article 63-4-4 : « sans préjudice de l’exercice des droits de la défense, l’avocat ne peut faire état auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue ni des entretiens avec la personne qu’il assiste, ni des informations qu’il a recueilli en consultant les procès-verbaux, en assistant aux auditions et aux confrontations ».

S’ajoute à ces deux textes de procédure pénale la règle cardinale en matière déontologique :

• l’article 2 du règlement intérieur national prévoit que « L’avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps ».

Dès lors, il convient de rappeler que l’opinion publique n’est pas un tribunal, et en matière pénale seuls le tribunal correctionnel ou la cour d’assises prononcent des décisions, hors le champ de la Cour de cassation.

Le temps judiciaire n’est pas le temps médiatique et quand on décide de parler aux médias, la moindre contradiction est captée et elle nourrit pour toute la suite le dossier pénal.

Nul ne peut reprocher à l’avocat de profiter d’une fenêtre médiatique et dès lors de se mettre en avant… Oui cela est possible… Mais pas avant le client et jamais au détriment des intérêts du client. En aucun cas la défense ne doit constituer le dernier clou du cercueil médiatique dans lequel le mis en cause est enfermé, car nous sommes au stade de la présomption d’innocence… quand bien même de nos jours cette règle subit l’outrage du temps et la flagellation du tribunal médiatique.

Pour éviter de dégrader notre image et tout nouveau désordre, il convient aujourd’hui que nos ordres professionnels et nos centres de formation développent assurément un module de formation relatif à la communication des avocats et de manière plus large à la publicité, puisqu’aujourd’hui la loi autorise ce pas en avant qui colore notre pratique d’une « américanisation ». Cette obligation de formation doit se nourrir du triptyque suivant :

• respect des règles de déontologie,
• respect des règles de procédure,
• respect des règles et des codes du paysage audiovisuel et de la presse.

Notre profession est exigeante mais passionnante et il nous faut surtout nous rappeler que dans les médias une affaire chasse l’autre, l’information d’aujourd’hui ne sera pas celle de demain et sera souvent morte la semaine prochaine, alors que dans le monde judiciaire, le temps est un facteur important.

En acceptant de défendre les femmes et les hommes qui nous font confiance, nous avons accepté de pénétrer l’intimité de leur humanité. Cette intimité doit être absolument protégée et elle constitue un sanctuaire dont nous ne devons sortir uniquement si l’intérêt du client le commande.

C’est donc pour ces raisons essentielles qu’il faut que les avocats soient vigilants et se protègent de la communication médiatique à tout-va… Demain, on ne doit plus voir un confrère, qui a plaidé il y a quelques années pour un client rattrapé de nouveau par la justice, devenir un témoin médiatique, surtout quand il fait état des éléments partagés avec son ancien client et recueillis dans le contexte de la première affaire.

Il faut raison garder et tirer la sonnette d’alarme professionnelle. Quand on n’est pas sûr de maîtriser sa communication, il faut tout simplement se taire et garder le silence face aux médias, ce sera déjà un acte de défense opposé à la clameur publique. Dès lors, on protégera celui qui nous fait confiance et qu’on assiste en appliquant alors la belle formule de Victor Hugo dans Amy Robsart « Lorsqu’on peut tout savoir, il faut savoir aussi tout taire ».