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Le droit en débats

« L’Ile de la tentation » : quelle valeur juridique pour le caractère artificiel des situations filmées ?

Par Marie Serna le 03 Mai 2013

L’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 24 avril 2013 (V. aussi Dalloz actualité, 29 avr. 2013, obs. S. Cherqui isset(node/159402) ? node/159402 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>159402), concernant la situation juridique des participants au tournage du programme télévisé « L’Ile de la tentation » reconnaît, de façon prévisible et louable, l’existence d’un contrat de travail, tout en refusant aux protagonistes la qualité d’artistes-interprètes. En réalité, le mérite de la décision, est autre, car elle suscite une réflexion portant sur la notion de « caractère artificiel des situations filmées ».

Cette formule fait ressurgir la complexité de la définition de l’idée en libre parcours et cela via l’approche de la bible audiovisuelle, classiquement évincée de la protection des œuvres de l’esprit, à l’inverse du scénario. Seule la Société des auteurs et compositeurs dramatiques a donné une définition de la bible, mettant en exergue les éléments de celle-ci qui créent la cohésion d’une série audiovisuelle, épisode après épisode, au moyen de la description précise et détaillée, tant des personnages principaux que des enjeux dramatiques, et aussi des lieux et thèmes communs à chacun des volets. Frileusement, une jurisprudence majoritaire estime que la bible ne peut conférer la qualité de co-auteur de l’œuvre audiovisuelle car elle ne constitue qu’un outil de travail technique insusceptible de porter l’empreinte de la personnalité de son auteur. Dans l’affaire « L’Île de la tentation », la Cour de cassation, en relevant à la suite de l’arrêt de la cour d’appel, tant le caractère artificiel des situations filmées, que leur enchaînement programmé, met en lumière, implicitement et indubitablement, la valeur juridique de la bible « pour la production d’un bien ayant une valeur économique », car elle encadre, méthodiquement, les journées et activités des participants et concrétise, de facto, une mise en scène caractéristique d’un lien de subordination.

Une question s’impose : comment, d’une part, reconnaitre logiquement la force directive de la bible sur les intervenants tout en niant, d’autre part, son étoffe intellectuelle, sa dimension de créativité, qui architecturent le programme audiovisuel en lui donnant sa progression dramatique?
Le « caractère artificiel des situations filmées » apporte une pierre au débat sur la nature de l’improvisation. Longtemps, pour les magistrats, l’improvisation était exclusive de toute préméditation, direction, et répétition et donc, par nature, marquée du sceau de la spontanéité. En découlait, systématiquement, l’octroi, à l’improvisateur, de la qualité de co-auteur, sauf à démontrer que l’action des protagonistes ne relevait pas de l’improvisation mais, d’une méthode d’interprétation encadrée par le metteur en scène ou le réalisateur. Dans cette occurrence, l’intervenant était le simple serviteur d’une œuvre préexistante. Parallèlement, la difficulté de la définition du documentaire, et l’émergence de produits hybrides, tels que les docu-fictions, ont conduit à ne plus exclure la reconnaissance d’une écriture audiovisuelle porteuse d’une étude, d’une démonstration, exigeant, parfois, une forme de mise en scène et de réitération gouvernée par le documentariste. Desormais, dans ce sillage, il a été acquis que l’improvisation n’est pas antagonique à des instructions données aux participants des situations filmées. Paradoxalement, la télé-réalité aurait-elle pour mérite de confirmer que « le théâtre n’imite pas la réalité ; il piège le réel » ? (D. Mesguich, Le Théâtre, PUF, p. 21)

Par ricochet, le « caractère artificiel des situations filmées» nous reconduit à l’épineuse qualification du statut juridique de l’acteur. Janus juridique, artiste-interprète pour le code de la propriété intellectuelle, il est artiste du spectacle gouverné par le code du travail. Si une jurisprudence fournie a tenté de brosser son portrait, l’acteur se trouve confronté à l’évolution des divertissements. Preuve en est donnée par le statut des sportifs. Longtemps, la qualité d’artiste leur fut radicalement refusée au double motif de l’aléa de la compétition sportive et de l’absence d’interprétation d’une œuvre de l’esprit préexistante. Or, une fraction de la jurisprudence n’a pas hésité à considérer l’organisateur d’une course cycliste comme un entrepreneur de spectacle ayant le sport pour prétexte et le coureur pour acteur. De plus, le Conseil d’État a pu relever que les termes du code du travail, qui ne définissent pas de manière limitative les artistes du spectacle et n’imposent aucun aspect culturel à l’activité déployée par ceux–ci, sont applicables aux coureurs cyclistes professionnels engagés dans des compétitions. Doit-on rappeler que les toréadors, ont, eux aussi, été rangés dans la catégorie des artistes du spectacle, au motif que la corrida vise au divertissement des spectateurs, et non pas à l’amélioration de la qualité physique ou morale du toréador… Plus récemment, la course transatlantique à la voile, La Route du Rhum, a reçu la qualification de spectacle vivant, ce qui induirait d’octroyer la qualité d’interprète à ses participants. Dès lors, la frontière se fissure entre les divers intervenants des programmes visuels et audiovisuels. Consécutivement quel statut, par exemple, pour des catcheurs soumis à des chorégraphies tels les illusionnistes, artistes du cirque, mimes ou transformistes ? Une réponse ne doit-elle pas se lire dans l’article1.1 de la convention collective nationale des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision (IDCC 1734), aux termes duquel les cascadeurs sont pleinement « artistes-interprètes ». Une approche pragmatique qui s’inscrit aux antipodes d’une décision intervenue, dans l’affaire « Être et avoir », considérant comme « objet…du tournage » le participant à un documentaire lequel ne pouvait, donc, en être l’interprète.

Le 5 mai 2009 le tribunal de grande instance de Paris (RG n°09-02408), accordait le statut d’artiste du spectacle à un comédien, ayant participé à la caravane du Tour de France, nonobstant le faible contenu artistique de sa prestation. Pour leur part, les intervenants de l’Ile de la tentation, liés par un contrat de travail à la société de production, se voient refuser la qualité d’artiste-interprète, dès lors qu’il ne leur était demandé que d’être eux-mêmes et d’exprimer leurs réactions face aux situations auxquelles ils étaient confrontés, cependant que les juges du fond avaient souligné les mises en scènes répétées et les interviews dirigées. N’y aurait-t-il pas, ici, l’introduction d’une échelle de valeur conditionnant la reconnaissance de la qualité d’artiste- interprète, alors qu’il est de jurisprudence constante qu’un simple amateur peut être qualifié d’artiste-interprète au sens du code de la propriété intellectuelle. Et, ainsi, avoir droit au respect de sa prestation, quel que soit le mérite de celle-ci. Enfin, quand l’essence du droit d’auteur, est de ne prendre en considération ni le mérite ni le genre des œuvres de l’esprit, le juge, afin de qualifier la prestation d’un intervenant à une situation artificielle filmée aurait pu s’appuyer sur « la liberté d’expression de son art » aux termes de l’article L. 7121-4 du code du travail.