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Le droit en débats

La légitime défense ou le choix des mots

Par Michel Marque le 09 Novembre 2016

Le choix des mots est un élément essentiel dans une bonne compréhension de la règle de droit pour les professionnels qui l’utilisent mais surtout pour tous les justiciables.

Les derniers événements qui mobilisent les policiers tous les soirs dans la rue ont fait ressurgir le serpent de mer de la légitime défense.

La notion juridique de légitime défense s’inscrit au sein des causes objectives d’irresponsabilité pénale ou faits justificatifs prévues à l’article 122-5 du code pénal qui énonce que « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »

Cette définition met en exergue trois conditions qui doivent être nécessairement remplies pour se prévaloir de ce fait justificatif. La riposte doit être concomitante à une atteinte injustifiée, strictement nécessaire, et surtout proportionnée.

Ces trois éléments constitutifs ont été sacralisés par les décisions constantes de la Cour de Cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme et ne doivent souffrir aucune exception.

Enfin, la légitime défense s’applique sans tenir compte de la qualité de celui ou celle qui s’en prévaut. En matière d’usage des armes, les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie sont soumis aux règles de droit commun du code pénal prévoyant l’exonération de la responsabilité pénale lorsque des faits justificatifs existent (l’ordre ou l’autorisation de la loi, le commandement de l’autorité légitime, l’état de nécessité, la légitime défense)

L’usage des armes par les policiers et les gendarmes a fait l’objet d’un premier assouplissement lors de l’adoption de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale qui a introduit l’article 122-4-1 du code pénal qui précise que « N’est pas pénalement responsable le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du code de la défense ou l’agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme. »

Toutefois, depuis plusieurs jours, certains syndicats de police relancent le débat sur le thème de l’assouplissement de la légitime défense pour les fonctionnaires de police. Cette approche volontairement confuse ne peut que générer une frustration des policiers.

En réalité, leur demande qui n’est pas nouvelle vise à faire bénéficier les policiers d’un dispositif légal reconnu aux seuls militaires de la gendarmerie et qui trouve sa source dans l’article 174 du décret du 20 mai 1903, abrogé par la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale mais repris in extenso par l’article L. 2338-3 du code de défense et qui précise que « Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :
1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;
2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de " Halte gendarmerie " faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.
Les militaires mentionnés au premier alinéa et les volontaires dans les armées, en service au sein de la gendarmerie sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que herses, hérissons, câbles, pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s’arrêtent pas à leurs sommations

Ainsi, si les fonctionnaires de police et les miliaires de la gendarmerie relèvent des dispositions générales de l’article 122-5 du code pénal outre celles du nouvel article 122-4-1 du même code, seuls les gendarmes peuvent faire usage de leurs armes en application du code de défense.

Il peut paraître légitime de mener une réflexion pour protéger les forces de sécurité qui subissent sur le terrain de nouvelles formes de violences et d’agressions mais elle ne peut certainement pas se faire en assouplissant les règles de la légitime défense.

Par ailleurs, l’utilisation des termes « légitime défense » qui sont galvaudés pour revendiquer en définitif un alignement avec les militaires de la gendarmerie est une erreur sémantique et ne peut créer qu’une confusion en laissant croire qu’il existerait une légitime défense à deux vitesses, celle d’application stricte pour le citoyen et celle assouplie pour les forces de sécurité.

Alors parlons d’usage des armes dans un cadre législatif qui trouverait sa place naturelle dans le code de sécurité intérieure et laissons définitivement la légitime défense régir le droit voire le devoir pour tout citoyen de se défendre lui-même et autrui.