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Le droit en débats

Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, le Sénat en pointe ?

Par Charles Prats le 29 Mars 2016

Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale vient en discussion au Sénat à partir de ce mardi 29 mars.

Au milieu de nombreuses mesures en discussion, il est très intéressant de faire un zoom sur celles qui touchent à la définition du délit douanier de blanchiment et sur la répression de cette infraction.

La douane, « police des marchandises » et « police des flux internationaux », est en effet en première ligne pour lutter contre les flux financiers internationaux provenant des activités criminelles. C’est pourquoi l’article 415 du code des douanes définissant le délit douanier de blanchiment avait été maintenu, aux côtés de l’article 324-1 du code pénal incriminant le délit pénal de blanchiment.

Un constat : il n’existe pas d’obligation de justification de l’origine licite des sommes détenues en cash

Les activités criminelles fonctionnent par essence avec de l’argent liquide. La lecture de l’ouvrage récent écrit par le journaliste Matthieu Delahousse, Cache cash, est édifiante à ce sujet.

La loi ne prévoit pas qu’un individu contrôlé avec des sommes importantes en espèces doive justifier de leur provenance légale. Les seules dispositions existantes sont celles relatives aux mouvements transfrontaliers d’espèces, qui obligent à déclarer au service des douanes tout transfert supérieur à 10 000 €. Mais aucun texte ne prévoit encore qu’à l’appui de cette déclaration la personne doive justifier de l’origine ou de la destination des fonds. Loin d’être un cas tout théorique, ce sont plus de 2 milliards d’euros qui sont ainsi déclarés chaque année aux douanes et sur lesquels ne pèse aucune obligation légale de justifier de l’origine licite des sommes ou de leur destination.

Tirant les conclusions de ce vide juridique permettant aux organisations criminelles bien organisées de faire circuler le cash par delà les frontières sans encourir la moindre sanction, l’Assemblée Nationale, sous l’impulsion du député Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances, a adopté un dispositif qui prévoit que les déclarants devront fournir les justificatifs de l’origine et de la provenance des sommes.

Il s’agit d’une mesure dont l’effet sera immédiat contre les réseaux organisés de passeurs de cash qui opèrent en effectuant les déclarations légales afin de ne pas encourir le risque de saisie des fonds. De nombreuses enquêtes douanières en cours, qui s’appuyaient jusque là sur une interprétation du règlement de l’Union européenne pour considérer qu’une déclaration non sincère équivalait à une absence de déclaration, seront sécurisées par cette mesure d’autant plus que les nouveaux textes prévoiront explicitement qu’une déclaration incorrecte ou incomplète sera réputée non faite. Les choses qui vont sans dire vont souvent mieux en les disant et, juridiquement, en les écrivant dans le marbre de la loi.

Un Sénat souhaitant aller plus loin dans le contrôle du « cash criminel » ?

Le Sénat souhaite cependant manifestement préciser et améliorer le dispositif de contrôle du cash.

Le sénateur Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances du Sénat, proposera au nom de la commission de fixer à 50 000 € le seuil à partir duquel les personnes devront justifier de l’origine des fonds en espèces lors de la déclaration aux douanes au moment du franchissement de la frontière, en modifiant les dispositions de l’article L.152-1 du code monétaire et financier. La commission des finances souhaiterait ainsi fixer dans la loi la définition du seuil, plutôt que de la laisser à l’appréciation du pouvoir réglementaire comme prévu dans le texte issu des travaux de l’Assemblée Nationale.

Allant un peu plus loin, les deux sénateurs co-présidents de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, Nathalie Goulet et André Reichardt, proposent de compléter ce dispositif avec l’adoption d’un article 215 quater au code des douanes, qui prévoirait la possibilité pour les agents de contrôle de demander sur l’ensemble du territoire douanier, et plus seulement à la frontière, la justification de la provenance légale des sommes transportées en espèces. Ils s’inspirent en cela d’une disposition légale déjà existante qui est le fondement juridique de l’action de la douane contre les trafics de stupéfiants, d’armes, de bijoux, de contrefaçons, etc. Y adjoindre le trafic d’argent liquide ne paraît pas outrecuidant.

Le texte proposé par les sénateurs Goulet et Reichardt, qui renvoie aux dispositions de l’article L.152-1 du code monétaire et financier pour la définition du seuil de déclenchement de l’obligation de justification, se combinerait donc parfaitement avec la proposition de la commission des finances du Sénat.

On aurait alors un dispositif global et cohérent qui permettrait aux agents de contrôle de demander sur l’ensemble du territoire douanier la justification de l’origine licite des sommes en espèces détenues au-delà de 50.000 €. Aspect intéressant, les officiers de police judiciaire, et pas seulement les agents des douanes, pourraient utiliser le dispositif puisqu’ils sont également habilités à relever les délits douaniers.

La refonte du délit douanier de blanchiment

Par ailleurs, le projet de loi se penche sur le cas du délit « douanier » de blanchiment.

Ce délit est différent du délit de blanchiment prévu aux articles 324-1et suivants du code pénal. Constitue un blanchiment « douanier » tout mouvement financier international, quelle que soit sa forme, dont l’auteur sait que les fonds proviennent directement ou indirectement d’un délit douanier ou du trafic de stupéfiants.

Le projet de loi propose d’adopter une présomption de blanchiment douanier, sur le modèle de la présomption de blanchiment "pénal" prévue par le nouvel article 324-1-1 du code pénal.

Et là encore les sénateurs semblent vouloir aller plus loin et renforcer considérablement l’efficacité du dispositif douanier de lutte contre le blanchiment international.

En effet, Albéric de Montgolfier, au nom de la commission des finances, propose un amendement qui élargit la définition du délit douanier de blanchiment, en prévoyant que les infractions sous-jacentes sur ne soient plus limitées aux délits douaniers ou au trafic de stupéfiants, mais étendues à tout crime ou délit.

Les sénateurs Goulet et Reichardt, en vue de mieux appréhender le financement du terrorisme et du crime organisé, proposent quant à eux de compléter le dispositif en l’étendant aux sommes dont l’origine licite ne peut être justifiée.

On voit immédiatement la cohérence avec le dispositif précédent sur le contrôle des mouvements d’argent liquide de ces deux mesures proposées l’une par la commission des finances et l’autre par les sénateurs ayant enquêté sur les réseaux djihadistes, qui mériteraient d’être fusionnées.

Un dispositif cohérent, simple et global de lutte contre le financement international du terrorisme et du crime organisé

L’adoption d’une obligation de justification de l’origine licite des sommes détenues en espèces au-delà d’un certain seuil, fixé par décret ou dans la loi, que ce soit au franchissement de la frontière ou sur l’ensemble du territoire douanier, couplée avec la redéfinition du délit douanier de blanchiment en prévoyant que celui-ci concerne tout mouvement financier international portant sur des sommes provenant de tout crime ou délit ou dont l’auteur ne peut justifier de la provenance licite, permettrait aux services de l’État et à la justice de disposer d’un dispositif simple, cohérent et efficace pour appréhender l’économie criminelle et terroriste.

L’immense avantage des délits douaniers réside en leur caractère matériel et à la facilité pour les enquêteurs de rapporter la preuve des éléments constitutifs. Et aussi dans le fait que non seulement les douaniers, mais aussi les officiers de police judiciaire peuvent les constater, outre que l’autorité judiciaire peut poursuivre de manière autonome les délits de contrebande douanière et de blanchiment douanier.

Si le Sénat adopte ces mesures proposées par voie d’amendement, un nouveau chapitre pourrait s’écrire dans la lutte financière contre la criminalité. Il s’agirait sans conteste d’une nouvelle « évolution-révolution » dans cette lutte, comme le furent en leur temps la création de l’AGRASC, qui a fait décoller les saisies des avoirs criminels, et la mise en œuvre à grande échelle par les GIR du délit de blanchiment de fraude fiscale suite à l’arrêt Talmon (Cass. Crim., 20 février 2008, 07-82977, Bull. n°43 p.160), qui permet de rattraper les criminels et délinquants par la voie patrimoniale et financière même lorsqu’il est très difficile de les « accrocher » pour leurs autres activités illégales.

Associée à l’accroissement des pouvoirs de TRACFIN, une telle évolution ne peut qu’être saluée tant la lutte contre l’argent du crime et du terrorisme est une impérieuse nécessité. La balle est maintenant dans le camp du parlement.