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Le droit en débats

Nouvelle réforme du droit du travail : attention danger

Par Marc Véricel le 17 Juillet 2017

Non, le code du travail ne sert pas qu’à empoisonner les chefs d’entreprise

La législation du travail est née, à la suite de la révolution industrielle du XIXe siècle, parce qu’il est apparu indispensable d’instaurer, par la loi, un certain nombre de normes de protection minimale des salariés à l’encontre de pratiques patronales généralisées aboutissant à la surexploitation de ces salariés et à leur grande misère (journée de travail de 14-15h, travail des enfants, salaires dérisoires, etc.) au point d’entraver le développement de l’économie du pays.

Et ce droit du travail n’est et n’a d’ailleurs jamais été un droit exclusivement protecteur des salariés. S’il assure réellement ce rôle, il a en même temps une autre fonction : assurer la pérennité du système d’économie de marché ; ses dispositions sont généralement ambivalentes : d’un côté elles accordent des garanties aux salariés et, d’un autre, elles protègent les intérêts de l’économie libérale.

Certes nous ne sommes plus au XIXe siècle et nul ne conteste que toute branche du droit doive être adaptée aux évolutions économiques et technologiques du monde moderne. Mais adaptation ne saurait signifier retour aux conceptions libérales du XIXe siècle qui prônaient un mode de régulation des rapports de travail dans lequel la loi tenait le moins de place possible, de manière à laisser, pour l’ essentiel, chaque salarié discuter seul ses conditions de travail.

Un tel modèle n’est certainement pas celui de l’avenir pour un grand pays comme la France. S’il convient de mettre en place des mécanismes de flexibilité, cela doit s’accompagner de garanties et compensations pour les salariés, inscrites dans la loi, suffisantes eu égard aux efforts qui leur sont demandés.

Non, la destruction de la protection découlant pour les salariés du code du travail n’a pas d’effet substantiel sur la situation de l’emploi

Il convient de tordre le cou à cette idée dont la fausseté totale est établie par nombre d’études réalisées depuis vingt ans dans tous les pays d’Europe (V. en dernier lieu, une enquête de l’INSEE publiée le 20 juin dernier, selon laquelle, pour les chefs d’entreprise, la réglementation du travail n’arrive qu’en quatrième position en termes de barrières à l’embauche, loin derrière les incertitudes économiques).

Il est fort regrettable que les grands médias persistent à relayer cette idée, ressassée par un certain nombre d’économistes libéraux et pro-patronaux et généralement présentée comme l’unique pensée intelligente de notre temps.

Les lois du 20 août 2008 et surtout celle du 8 août 2016 (dite « loi Travail ») ont déjà très largement engagé la démolition du code du travail en tant que droit protecteur des travailleurs

Cette destruction s’est faite notamment par l’accroissement considérable des pouvoirs des employeurs dans la flexibilisation du temps de travail, sans véritable souci d’équilibre avec les garanties laissées aux salariés.

À la suite des élections présidentielle et législatives de ce printemps, le nouveau gouvernement a entamé d’urgence le processus de réforme de code du travail par voie d’ordonnances. Selon le projet de loi d’habilitation et les déclarations gouvernementales, ces futures ordonnances devraient procéder notamment à cinq modifications majeures de notre code du travail. Elles vont également porter atteinte à la protection des travailleurs, sans contrepartie tangible pour eux.

1° Le compte pénibilité
Ce mécanisme est un acquis essentiel de ces dernières années pour les salariés, obtenu en contrepartie de l’abaissement de l’âge de la retraite. Il permet au salarié exposé à divers facteurs de pénibilité dans sa vie professionnelle, d’accumuler des points pour obtenir, soit une réduction de son temps de travail (avec maintien du salaire), soit un abaissement de l’âge de la retraite.
Le projet gouvernemental prévoit de sortir de ce compte quatre des dix facteurs de pénibilité actuellement retenus par la loi : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques (hors hypothèse où ces facteurs auraient déjà généré une maladie professionnelle). Le texte prévoit, par ailleurs, de supprimer des cotisations patronales spécifiques au financement de ce compte. Pourtant, qui peut sérieusement imaginer qu’un tel rabotage des droits des salariés affectés à des travaux pénibles entraînera l’accroissement des embauches ?

2° La fusion à des institutions représentatives du personnel
La multiplicité de ces institutions est une spécificité historique du droit français et une simplification est sans doute souhaitable pour alléger la complexité et la lourdeur du dispositif. Mais encore faut-il que soient effectivement préservées les prérogatives de ces institutions en matière de droit de regard sur la gestion des entreprises et surtout en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de l’entreprise. On pense notamment à l’obligation de consultation du comité d’entreprise sur les décisions importantes pour l’avenir de l’entreprise (et de ses salariés), ainsi qu’aux pouvoirs d’investigation et d’alerte du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et des délégués du personnel. Or cette préservation ne semble nullement garantie.

3° La généralisation de la primauté des accords conclus au niveau de l’entreprise
Les accords d’entreprise moins favorables que la loi ou les accords de branche, normalement négociés entre l’employeur et les délégués syndicaux (ou des représentants du personnel dans les petites entreprises), pourraient être validés par un référendum auprès des salariés, organisé par l’employeur lui-même. Cette solution permettrait ainsi à l’employeur de déployer pleinement son pouvoir de pression sur ses salariés pour obtenir une mise à l’écart des règles protectrices découlant, pour ces salariés, de la loi ou des accords de branche.
Par ailleurs, l’intention affichée du gouvernement est de faire prévaloir les dispositions moins favorables de ces accords d’entreprise, sur les contrats individuels de travail, privant ainsi le salarié de toute faculté d’opposition à des modifications essentielles de ses conditions de travail, notamment en matière de rémunération et d’organisation du travail.
Enfin, les accords collectifs se verraient conférer la faculté d’élargir les causes possibles du recours aux CDD et au travail temporaire. Le risque d’une suppression de fait de la règle de la limitation du recours à ces contrats aux emplois non permanents ou extérieurs à l’activité normale de l’entreprise. Ce principe réalisait pourtant un large consensus, depuis bien longtemps.

4° L’instauration d’un barème légal impératif pour le montant des indemnités allouées par le juge en cas de licenciement injustifié
Il s’agit là d’une solution contraire aux principes de base de la responsabilité civile en droit français et européen puisque le juge ne pourrait plus fixer l’indemnité en fonction des particularismes de la situation et de la gravité du préjudice, et cela alors même qu’il s’agit de réparer une faute commise par l’employeur en procédant à un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

5° La modification de la définition du licenciement économique
Une modification pour permettre, dans le cas de licenciements au sein d’une société dépendant d’un groupe multinational, d’apprécier la nécessité du licenciement, non pas au niveau de l’ensemble du groupe, comme c’est le cas jusqu’à présent, mais à celui de la seule société concernée. Cette solution comporte un risque important qui est celui de permettre au groupe d’organiser tout à fait artificiellement des problèmes économiques dans la société où il entend opérer des licenciements (c’est pourquoi elle avait été finalement écartée par les promoteurs de la loi travail).

Encore une fois, le code du travail peut parfaitement subir des modifications en vue d’une meilleure adaptation aux réalités économiques d’aujourd’hui. Mais il ne faut pas confondre modernisation avec réduction substantielle de la protection légitimement due aux salariés dans tel ou tel domaine des relations de travail. Or c’est bien de cela dont il est question avec ces projets d’ordonnance.

Avec la quasi disparition d’une opposition politique à la nouvelle majorité présidentielle et législative, la faiblesse des syndicats ouvriers et les calculs stratégiques de certains d’entre eux, tout paraît joué d’avance. Mais cette victoire annoncée de la pensée libérale en matière de réglementation des relations de travail risque fort de n’être qu’une victoire à la Pyrrhus. Toute l’histoire du monde nous enseigne que l’on ne gagne jamais durablement à l’affaiblissement extrême d’une partie de la société au profit d’une autre.

Pour se redresser, l’économie française n’a pas besoin d’un coup de rabot substantiel sur les garanties des salariés mais tout au contraire, du rétablissement d’un équilibre véritable entre les nécessités économiques et les intérêts des entreprises et ceux des salariés. Ces derniers assurent, pour une large part, le développement de l’économie du pays. Il faut que les uns comme les autres trouvent leur compte dans toute réforme du droit du travail. Un tel équilibre est, en effet, le gage d’un climat social serein de nature à contribuer au redressement économique du pays. C’est là l’enjeu véritable de l’avenir.