Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Pour être mieux défendu, vaudra-t-il mieux dénoncer ?

Par Nathalie Jay et Nicolas Ligneul le 10 Avril 2017

Telle est la conclusion à laquelle aurait pu amener une lecture rapide de l’article 14 de la loi du 8 novembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite Sapin 2) avant l’intervention du Conseil constitutionnel.

Alors que le décret n°2016-1876 du 27 décembre 2016 a réduit l’indemnisation versée aux avocats pour les services rendus aux justiciables, l’article 14 de la loi Sapin 2 permettait de payer aux lanceurs d’alerte une avance sur les frais de procédure auxquels ils seront exposés.

Cette aide, dont le montant était déterminé en fonction des ressources du lanceur d’alerte, mais aussi de la nature des faits révélés, pouvait être additionnée au bénéfice de l’aide juridictionnelle perçue en vertu de la loi de 1991.

La générosité de l’État à l’égard du lanceur d’alerte aurait alors été proportionnée à l’intérêt de la dénonciation.

L’idée de la rémunération du lanceur d’alerte est issue d’une évolution législative désormais clairement établie. Le droit pénal y a contribué au travers du statut des repentis et de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Le droit de la concurrence y a apporté les programmes de clémence. Plus récemment, les programmes de conformité et la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ont aussi consacré des mécanismes particuliers de reconnaissance de la culpabilité.

Il est donc aujourd’hui admissible de reconnaître sa culpabilité pour tenter d’obtenir une peine moins lourde, par exemple en bénéficiant de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Il est aussi possible d’accuser son prochain, soit pour prévenir des comportements illicites, soit pour en faciliter la sanction. Dans ces deux hypothèses, la dénonciation vise à obtenir un intérêt personnel. Elle permet d’éviter des poursuites futures, dans le cas du programme de conformité. Elle peut aussi viser à réduire les sanctions susceptibles d’être prononcées à l’égard du repenti ou de l’entreprise qui a participé à l’infraction de concurrence et qui souhaite bénéficier du programme de clémence.

L’indemnisation des frais de justice du lanceur d’alerte s’inscrit dans cette logique. Pour le législateur, le lanceur d’alerte doit pouvoir bénéficier d’une indemnisation. La dénonciation est non seulement possible, mais également encouragée et rémunérée par l’État.

L’évolution du rôle de l’État est d’ailleurs significative. Hier, le ministère public recevait les plaintes des justiciables et décidait souverainement de l’opportunité des poursuites. Aujourd’hui, il envisage d’indemniser les lanceurs d’alerte. À en croire l’alinéa 3 de l’article 14 de la loi Sapin 2, le rôle de l’État était de déterminer si cette aide devait être versée et de déterminer le montant de la prime susceptible d’être versée en plus de l’aide juridictionnelle à certains lanceurs d’alerte. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition de la loi en raison de l’incompétence du Défenseur des droits, qui n’a pas vocation à distribuer des aides financières (v. infra).

Au-delà de l’aspect moral de la rémunération du dénonciateur, ce mécanisme pourrait être interprété comme une défiance à l’égard du ministère public qui est le seul maître de l’opportunité des poursuites. L’article 8-1 de la loi Sapin 2 permet au donneur d’alerte de rendre son signalement public dans l’hypothèse où trois mois après le signalement, les autorités administratives, judiciaires ou les ordres professionnels qui en ont été destinataires n’ont pas agi. La seule explication à cette défiance serait alors la dépendance du ministère public qui pourrait ne pas poursuivre des faits délictueux en raison, en particulier, de sa proximité de l’exécutif. Si c’est le message de la loi Sapin 2, pourquoi ne pas poser plutôt la question de l’indépendance du parquet ?

En outre, si elle était attribuée par une autre administration que le Défenseur des droits, cette indemnisation des lanceurs d’alerte pourrait être interprétée comme une rémunération des « bonnes alertes ». N’y a-t-il pas un risque de rémunérer les alertes les plus rémunératrices pour le ministère des finances ?

L’article 14 de la loi Sapin 2 révèle une curieuse perspective du financement du service public de la justice et même d’un choc de conceptions fiscales et judiciaires qui sont peut-être incompatibles.

Les motifs de l’octroi de l’aide octroyée aux donneurs d’alerte se comprennent. L’aide en cause a pour objectif d’éviter que d’éventuels frais de procédure dissuadent les lanceurs d’alerte de signaler des comportements illicites.

La solution se concevrait tout autant si le lanceur d’alerte ne bénéficiait pas du dispositif d’aide juridictionnelle, qui ne lui permettrait alors pas la prise en charge des frais de justice.

Mais si l’aide juridictionnelle peut bénéficier au donneur d’alerte, il paraît surprenant de lui permettre de bénéficier d’une aide des pouvoirs publics, en plus de cette aide juridictionnelle, pour assurer sa défense.

Les modalités de détermination de cette aide ne peuvent pas être interprétées autrement que comme une défiance de l’État à l’égard du principe même de l’indemnisation au titre de l’aide juridictionnelle, puisque le législateur reconnaît de facto que l’aide juridictionnelle serait alors insuffisante en raison de l’enjeu de la procédure.

N’est-ce pas reconnaître implicitement que l’aide juridictionnelle ne permet pas d’obtenir une défense à la hauteur de l’enjeu du litige ?

Au surplus le montant de l’aide prévue était déterminé « en fonction des ressources de la personne et en tenant compte de la nature de la mesure défavorable dont elle entend faire reconnaître l’illégalité lorsque cette mesure emporte privation ou diminution de sa rémunération. Il est diminué de la fraction des frais de procédure prise en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un système de protection équivalent. »

Il ne faut pas s’y tromper. L’indemnité en cause ne couvrait que des frais de justice. Elle ne visait pas à indemniser les conséquences du signalement sur les conditions d’existence du lanceur d’alerte. Ces frais étaient envisagés au II de l’article 14 de la loi.

Ce sont donc seulement les frais de procédure qui devaient être déterminés en fonction de la nature de la mesure susceptible d’affecter les revenus du lanceur d’alerte. Si le signalement pouvait avoir pour conséquence de réduire les revenus du lanceur d’alerte, en raison d’un licenciement par exemple, alors l’indemnisation de ses frais de procédure devait donner lieu au versement d’une avance sur frais de procédure en plus de celle prévue par le mécanisme de l’aide juridictionnelle.

Plus le lanceur d’alerte est pauvre et plus cette aide devait être importante. Lorsque l’aide juridictionnelle est par ailleurs applicable, cela ne signifierait il pas que la qualité de la défense serait inversement proportionnelle à la richesse du justiciable ?

Les avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle, pour lesquels la loi Sapin 2 ne prévoyait d’ailleurs pas de paiement direct de l’avance sur ces frais de procédure, apprécieront sans doute la façon dont leur intervention est valorisée par le ministère des finances…

Ce alors qu’ils ne doivent qu’à leur serment de garantir aux justiciables une défense digne malgré l’indignité des indemnités que l’État consent à consacrer aux idéaux républicains.

Le 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a considéré que la distribution d’aides financières ne pouvait pas être confiée au Défenseur des droits sans violer l’article 71-1 de la Constitution (Cons. Const., 8 déc. 2016, n° 2016-740 DC ; Dalloz actualité, 13 déc. 2016, obs. M.-C. de Montecler isset(node/182260) ? node/182260 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>182260). Dans une autre décision du même jour, il a donc déclaré l’article 14 de la loi Sapin 2 contraire à la Constitution pour des motifs liés exclusivement à la compétence du Défenseur des droits (Cons. const., 8 déc. 2016, n° 2016-741 DC, Dalloz actualité, 13 déc. 2016, obs. M.-C. de Montecler isset(node/182260) ? node/182260 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>182260).

C’est donc pour des raisons tenant seulement à la compétence du Défenseur des droits que l’article 14 de la loi Sapin 2 a été censuré. Le Conseil constitutionnel a ainsi retenu que l’article 71-1 de la Constitution ne permettait pas au Défenseur des droits d’octroyer une aide financière ou un secours financier aux donneurs d’alerte (cf. point n°5 de la décision n° 2016-740 DC).

Loin de remettre en cause la dénonciation, cette décision suggère qu’elle soit… mieux organisée ! Le Défenseur des droits n’est pas compétent pour distribuer des aides financières. En revanche, la décision du Conseil constitutionnel laisse penser qu’une autre administration serait compétente pour distribuer cette aide. Le fonds du mécanisme n’est pas remis en cause par le Conseil constitutionnel. En particulier, le principe de la rémunération du dénonciateur ne paraît pas incompatible avec la Constitution. Pour financer la dénonciation, il suffirait donc de garder le même dispositif, mais de le confier à une autre administration.

Quant aux justiciables, il faudra leur expliquer que la loi Sapin 2 préfère ceux qui dénoncent leurs concitoyens à ceux qui font seulement valoir leurs droits, sauf si l’aide est distribuée par un organe incompétent… Curieux chantier pour la justice du 21e siècle !

 

Cet article a été modifié pour prendre en compte les décisions du 8 décembre 2016 du Conseil constitutionnel.