Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Le printemps des renoncements, ou comment transformer des enfants en adultes

Par Laurent Gebler le 21 Février 2017

Ça faisait si longtemps… Les printemps électoraux sont toujours propices à l’éclosion des marronniers.

Parmi eux, un fantasme récurrent : pour régler la question de la délinquance des mineurs, transformons les enfants en adultes.

En proposant une nouvelle fois l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans, le candidat Fillon reprend une vieille antienne de la droite française, convaincue que les maux de notre société fleurissent sur le sentiment d’impunité entretenu par une justice des mineurs faible et irresponsable.

Qu’importent les statistiques et les études sociologiques qui démontrent que la part des infractions commises par les mineurs n’a pas augmenté depuis vingt ans par rapport à celles perpétrées par les majeurs, et que les sorties de la délinquance ne s’amorcent réellement qu’à partir de 25 ans.

Qu’importe si, faisant le constat que la justice spécialisée pour les mineurs intervient au moment le plus périlleux de l’adolescence entre 17 et 19 ans, certains pays plus audacieux en Europe, comme l’Allemagne ou l’Italie, ont imaginé une justice pénale pour les jeunes majeurs.

Qu’importe la violation de nos engagements internationaux, de la Convention internationale des droits de l’enfant qui fixe la majorité pénale à 18 ans et impose aux États signataires d’adapter la réponse judiciaire à cet état de minorité, ou de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui confère valeur constitutionnelle à la spécialisation des juridictions pour mineurs.

Qu’importe le supposé laxisme des tribunaux pour enfants qui prononcent pourtant autant de sanctions pénales que de mesures éducatives.

Qu’importe l’échec des tribunaux correctionnels pour mineurs, récemment supprimés dans l’indifférence générale tant ils avaient fait preuve de leur inefficacité au regard des objectifs poursuivis.

En considérant qu’à 16 ans, on n’est plus un enfant, poussons la logique jusqu’au bout et admettons que l’âge adulte commence à 16 ans, avec toutes les prérogatives qui y sont attachées : droit de vote, mariage, permis de conduire, liberté contractuelle…

Comment concevoir en effet qu’un jeune de 16 ans puisse être sanctionné comme un adulte sans disposer des droits afférents à cet état de majorité ? La bogue et les épines, sans la châtaigne.

Enfermons-le dans une prison pour adultes en renonçant à l’éduquer. Car on n’éduque pas un adulte. Et un adulte n’a rien à faire dans une prison pour mineurs.

À supposer même que les juges des adultes se montrent plus répressifs, ce qui est loin d’être acquis au vu de l’expérience récente des tribunaux correctionnels pour mineurs, quel bénéfice pour notre société ? Qui peut sérieusement penser que l’enfermement et le renoncement à l’éducatif nous préparent un avenir meilleur ?

Et quelle réponse apporter à tous ces jeunes qui, sans être ni des casseurs ni de dangereux délinquants, sont confrontés pour la première fois à un juge des enfants pour avoir enfreint la loi ? Car la minorité pénale ne trie pas le bon grain et l’ivraie. Aujourd’hui, la palette des sanctions éducatives dont dispose ce magistrat spécialisé préserve les trois quarts d’entre eux de la récidive. Demain, avec une majorité pénale à 16 ans, ils viendront alimenter le flux des comparutions immédiates devant les tribunaux correctionnels qui ne connaissent ni l’accompagnement éducatif, ni le placement, ni les mesures de réparation envers la victime ou la société. Veut-on vraiment renoncer à l’éducatif pour ces adolescents ? Est-ce le projet de notre société ?

Au lendemain de la guerre, le gouvernement provisoire de la République avait montré la voie dans le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945 en affirmant que le pays ne pouvait pas se permettre de laisser de côté toute une partie de sa jeunesse. Et pourtant, contrairement à une affirmation faussement répandue, le phénomène de délinquance des mineurs était à l’époque au moins aussi crucial qu’aujourd’hui.

En renonçant à cette ambition éducative pour une majorité d’entre eux – les 16-18 ans représentent plus de la moitié des mineurs traduits devant les tribunaux pour enfants – et en ne leur ouvrant d’autre perspective que l’enfermement, le candidat républicain accrédite l’image d’une France qui a peur de ses enfants.

Plutôt qu’une abdication, retrouvons une nouvelle ambition pour une justice des mineurs rénovée, qui affirme sa volonté éducative sans renoncer à la sanction.

Et laissons les marrons dans les marronniers.