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Le droit en débats

Réforme de la commission de contrôle des CARPA : de très nets progrès et quelques regrets

Le décret n° 2014-796 du 11 juillet 2014 relatif au contrôle des caisses des règlements pécuniaires des avocats concrétise la réforme tant attendue de la commission de contrôle des CARPA.

Par Jean-Charles Marrigues le 23 Juillet 2014

Outre un lifting de cette commission de contrôle, dont il renforce les pouvoirs, le texte créé, et lui adosse, une « commission de régulation » compétente pour émettre des avis et recommandations à destination des caisses1.

La réforme, qui n’entrera en vigueur qu’à compter du 1er octobre 20142, semble gommer les imperfections du dispositif de contrôle des CARPA actuellement en vigueur et consacre de très nets progrès dans l’encadrement de maniements de fonds clients des avocats. Par certains aspects néanmoins, le nouveau dispositif demeure perfectible.

L’actuelle commission de contrôle des CARPA, un organe trop politisé et doté de pouvoirs limités

En réponse au retentissant sinistre de Rodez à l’occasion duquel un avocat s’était joué de la vigilance des autorités ordinales ruthénoises pour détourner des fonds clients, le décret n° 96-610 du 5 juillet 1996 a inséré dans le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 un article 241-3 créant une commission de contrôle des caisses de règlements pécuniaires, plus souvent désignées sous l’anacronyme « CARPA ».

Cette commission, dont le rôle est défini dans un dispositif plus global qui prévoit, par ailleurs, un autre contrôle réalisé par un commissaire aux comptes chargé d’une mission ad hoc3 , est censée veiller au respect par les CARPA de l’ensemble des règles et obligations prévues par le décret du 27 novembre 1991 modifié et par un arrêté du 5 juillet 19964. Or, malgré un effet dissuasif certain5, la commission de contrôle a rapidement montré ses limites.

En premier lieu, on soulignera sa composition, trop politique. L’actuelle commission de contrôle des CARPA est, en effet, composée du président du Conseil national des barreaux (CNB), du bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, du président de la Conférence des bâtonniers et du président de l’Union nationale des CARPA (UNCA). Sans remettre en cause l’impartialité et la probité de ses membres, le caractère extrêmement institutionnel de cette commission semble peu conciliable avec sa vocation.

En second lieu, on regrettera que la commission de contrôle concentre entre ses seules mains un pouvoir normatif – fût-il réduit, puisqu’elle ne peut émettre que des avis et recommandations – et un pouvoir de contrôle, qui lui permet notamment de missionner un avocat pour investiguer in situ. Mais, au final, son champ d’action est particulièrement limité. En cas de manquement, la commission peut enjoindre à telle caisse d’y mettre fin. En cas de carence des organes de gestion de la caisse, de risque de non-représentation des fonds clients ou de manquement aux règles d’affectation des produits financiers prévues par le décret, elle peut désigner un avocat aux fins d’assister le président de la caisse.

Enfin, cette commission, en principe chargée de veiller à ce que les CARPA qui ne disposent pas des moyens en matériel et en personnel suffisants pour assurer leurs missions se regroupent avec une ou plusieurs autres caisses, se trouve pourtant pieds et poings liés dès lors que la liberté d’association fait obstacle à toute ingérence dans la destinée d’une CARPA, fût-elle confrontée à de sérieuses difficultés, sauf par le biais d’une administration provisoire6. C’est ainsi que certaines caisses s’enlisent peut-être dans une situation alarmante7.

Palliant ces carences, le décret du 11 juillet 2014 vient donner au contrôle des CARPA un cadre juridique plus efficient.

Les apports de la réforme

Le décret du 11 juillet 2014 apporte quelques correctifs des plus pertinents au contrôle des caisses des règlements pécuniaires. Innovation majeure, la création d’une « commission de régulation »8 à côté d’une commission de contrôle fondamentalement repensée répond à la nécessité de dissocier une fonction normative, exclusivement confiée à la première citée, et une fonction de contrôle, domaine réservé de la seconde.

La commission de régulation sera composée du président du Conseil national des barreaux (CNB), du président de la Conférence des bâtonniers et du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, chacun d’eux désignant un suppléant choisi au sein de l’organisation qu’il représente. Au vu du rapport annuel établi par la commission de contrôle, la commission de régulation recevra compétence pour émettre des avis et recommandations applicables aux caisses9 dont elle assurera l’évaluation10. En outre, le décret la charge de mettre en œuvre une formation adaptée pour les contrôleurs de CARPA11.

La nouvelle commission de contrôle12  travaillera de concert avec la commission de régulation. L’article 13 du décret du 11 juillet 2014 prévoit, en effet, que ses contrôles seront mis en œuvre chaque année, selon un programme élaboré par l’instance normative. Ils pourront, en outre, être diligentés à la demande de l’un des membres de la commission de régulation, du ou des bâtonniers concernés ou du procureur général près la cour d’appel dans le ressort dans laquelle est établi le siège de la caisse visée.

Les modalités du contrôle évolueront également. Sur proposition du président du CNB, du président de la Conférence des bâtonniers, du bâtonnier de Paris et du président de l’UNCA, la commission de contrôle pourra désigner un ou plusieurs contrôleurs, avocats en exercice ou avocats honoraires, pour une mission de trois ans renouvelable. Pour la mener à bien, les contrôleurs pourront solliciter l’UNCA aux fins d’obtenir tous les éléments d’information relatifs à la caisse qui fait l’objet de leur diligence13. En outre, la commission désignera en son sein un ou plusieurs rapporteurs chargés de porter à sa connaissance les conclusions du ou des contrôleurs et de formuler, le cas échéant, une proposition de sanction14.

Lorsqu’un manquement de la caisse visée par une mesure de contrôle sera constaté, la commission pourra désigner, pour une durée maximale d’un an renouvelable une fois, un avocat aux fins d’assister le président de la caisse. Le praticien désigné, qui ne sera pas membre du ou des ordres auprès desquels est instituée la caisse, pourra donner au président de la caisse tous avis, conseils et mises en garde et tiendra régulièrement informé le procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle est établi le siège de la caisse ainsi que la commission de contrôle15.

La véritable révolution opérée par la réforme tient aux mesures que la commission de contrôle pourra prendre. Selon l’article 241-8 du décret de 1991 modifié, la commission pourra prononcer, outre une injonction de faire – par laquelle la caisse visée est invitée à régulariser sa situation dans un délai maximal de six mois16 – et une suspension des organes d’administration de la caisse assortie de son administration provisoire – en cas d’urgence ou de manquement caractérisé ou réitéré17–, une délégation de gestion forcée inédite. Cette possibilité, justifiée en cas de manquement grave ou réitéré ou de manquement manifestant une carence dans la gestion de la caisse ou un risque de non-représentation des fonds clients, permettra à la commission de contrôle de contourner le refus du ou des barreaux qui en sont responsables de mettre en œuvre un regroupement en notifiant à ladite caisse une convention de gestion des fonds clients désignant une autre CARPA. La mise en œuvre de ce mandat s’imposera tant à la caisse défaillante qu’aux conseils de l’ordre qui l’ont instituée. Cette disposition, que l’on imagine redoutée par certains barreaux, pourrait avoir pour effet positif de donner une impulsion spectaculaire aux regroupements spontanés.

Les garanties procédurales offertes aux intéressés demeureront solides. La commission de contrôle statuera après avoir entendu le président de la CARPA visée, éventuellement assisté d’un conseil de son choix et, le cas échéant, le ou les bâtonniers, le procureur général et tout individu dont l’audition lui semble nécessaire. Ses décisions, exécutoires par provision18, devront être motivées et notifiées au président de la caisse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et seront susceptibles d’être attaquées devant la cour d’appel de Paris dans un délai d’un mois à compter de leur notification.

Un dispositif encore perfectible ?

La réforme de la commission de contrôle des CARPA, qui apparaît relativement satisfaisante, devra être jugée à l’usage. En attendant, le dispositif laisse quelques regrets.

En premier lieu, on pourra regretter que le décret du 11 juillet 2014 n’ait pas donné à la commission de contrôle la compétence pour contrôler plus que la seule activité de dépôt et de contrôle des maniements de fonds clients des CARPA.

À titre principal, on déplorera que la réforme laisse subsister cette impression, tenace, que, dès lors qu’il s’agit d’évoquer ses caisses de règlements pécuniaires, la profession d’avocat entend régler ses problèmes en famille. En effet, l’objectif annoncé de donner à la commission de contrôle une composition moins politique n’est pas réellement atteint dès lors que ses douze membres, tous avocats en exercice, seront désignés par le président du CNB, par le président de la Conférence des bâtonniers, par le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris et par le président de l’UNCA. N’aurait-il pas été opportun, pour être au plus près des dossiers sensibles, que la Chancellerie prenne soin de désigner, elle aussi, un représentant parmi les membres de la commission de contrôle ?

En outre, un magistrat du parquet n’y aurait-il pas trouvé sa place19 ? Honnêteté intellectuelle oblige, on précisera néanmoins que le ministère de la justice sera destinataire d’un rapport annuel établi par la commission de contrôle au vu de son activité, des contrôles réalisés, des rapports des commissaires aux comptes qui lui sont communiqués et de ses constatations20. Quant au parquet, il sera destinataire du rapport établi par la commission de contrôle à l’issue de chacune de ces mesures et informé des éventuelles sanctions prises par elle21.

  

 

1 Décr. n° 91-1197, 27 nov. 1991 organisant la profession d’avocat, art. 241-3 dans sa nouvelle rédaction.
2 Selon l’art. 24 du décr. 11 juill. 2014, les contrôles mis en œuvre avant l’entrée en vigueur de la réforme sont soumis aux dispositions alors en vigueur.
3 Décr. 27 nov. 1991, préc., art. 241-2.
4 Arr. du 5 juill. 1996 fixant les règles applicables aux dépôts et maniements de fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients.
5 Au soutien de l’efficacité de la commission de contrôle, d’aucuns font valoir que les événements qui ont profondément entaché l’efficacité de la caisse de Bastia, survenus au cœur des années 2000, avaient germé avant la mise en place de la commission.
6 L’art. 236 du décr. 27 nov. 1991 faisant du regroupement de CARPA une simple faculté pour les conseils de l’ordre des barreaux intéressés, le recours à une fusion forcée est impossible.
7 En 2013, la commission de contrôle des CARPA avait chargé un avocat de contrôler la CARPA de Saint-Denis de La Réunion. Dans son rapport, le praticien avait notamment écrit que « les retards accusés [par cette caisse] depuis de nombreuses années rendent difficile, voire improbable, une remise en ordre totale ».
8 Décr. n° 2014-796, 11 juill. 2014, préc., art. 241-3-1.
9 L’art. 11 de la réforme prévoit, en outre, que la commission de régulation peut solliciter le concours de l’UNCA pour la préparation des avis et recommandations qu’elle émet.
10 Décr. 11 juill. 2014, préc., art. 11.
11 Ibid., art. 14.
12 Décr. 27 nov. 1991 dans sa rédaction issue du décr. 11 juill. 2014, art. 241-3-2.
13 Décr. 11 juill. 2014, préc., art. 14.
14 Ibid., art. 15.
15 Décr. 11 juill. 2014, préc., art. 16.
16 Ibid., art. 17 et 18.
17 Ibid., art. 17 et 19.
18 L’exécution provisoire peut toutefois être arrêtée dans les conditions prévues par l’art. 524 c. pr. civ.
19 Une telle disposition aurait certainement suscité l’émoi de la profession d’avocat qui y aurait vu, à coup sûr, une menace pour le secret professionnel auquel elle est tant attachée.
20 Décr. 11 juill. 2014, préc., art. 22.
21 Ibid., art. 17.