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Le droit en débats

Une régression inquiétante des droits des victimes d’accidents médicaux non fautifs

Le 1er décembre dernier, l’Assemblée nationale adoptait en dernière lecture de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 20151 , un article 70 qui réforme la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ».

Par Alice Barrellier le 18 Décembre 2014

Cet article dispose :

« I. – La section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est complétée par un article L. 1142-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1142-3-1. – I. – Le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale mentionné au II de l’article L. 1142-1, à l’article L. 1142-1-1 et à l’article L. 1142-15 n’est pas applicable aux demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi.
« II. – Toutefois, le recours aux commissions mentionnées à l’article L. 1142-5 exerçant dans le cadre de leur mission de conciliation reste ouvert aux patients ayant subi des dommages résultant des actes mentionnés au I. »
II. – Le présent article s’applique aux demandes d’indemnisation postérieures au 31 décembre 2014. »

Le lecteur, qui se souvient évidemment de l’espoir formidable d’indemnisation que la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé », aussi appelée loi Kouchner, avait fait naître chez les victimes d’accidents médicaux non fautifs, sera déçu.

À l’origine cette loi avait pour ambition de régir les droits des malades « et plus largement de toute personne dans ses relations avec le système de santé »2 en instaurant, notamment, un régime d’indemnisation des conséquences des risques sanitaires dits « aléa thérapeutiques » qui permettait notamment, à côté du régime de responsabilité civile des professionnels de santé applicable en cas de faute prouvée, l’indemnisation des accidents médicaux graves sans faute par la solidarité nationale.

Progrès historique pour des victimes qui, jusqu’alors, ne pouvaient être indemnisées lorsque leur préjudice résultait d’une « malchance médicale »3, l’article L.1142-1 II du code de la santé publique prévoyait désormais que : « Un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci. »

Dans son rapport d’information4 monsieur Evin expliquait alors que si « la notion d’aléa thérapeutique n’est pas précisément définie dans la loi » c’est « afin de laisser à la jurisprudence le soin de l’apprécier dans les cas concrets » mais précisait cependant que « tous les types d’actes médicaux peuvent être concernés : prévention (examens,…), diagnostic (investigations cliniques,…) et soins proprement dits. »

Enfin, dans sa « Recommandation relative aux actes médicaux sans finalité thérapeutique » du 2 août 2005, la CNAMED5 concluait également que rien, dans la loi de 2002 et dans ses travaux préparatoires, ne permettait d’exclure du champ de la solidarité nationale la réparation des accidents graves survenus, en l’absence de faute, des suites d’une opération de chirurgie esthétique.

Quant à la doctrine elle expliquait que « l’absence de caractère thérapeutique d’actes de chirurgie esthétique, même non pris en charge par l’assurance maladie, est loin d’être une évidence. C’est un truisme que de rappeler les répercussions psychologiques, voire psychiatriques, de l’apparence d’une personne, notamment de son visage ».

Et monsieur le président Sargos6 de préconiser que « lorsqu’il s’avérera que la conséquence grave d’un acte de chirurgie esthétique est constitutive d’un accident médical, l’indemnisation par la solidarité nationale (ONIAM) sera possible car la notion d’accident médical visé par l’article L.1142-22 du code de la santé publique n’exclut pas la médecine ou la chirurgie esthétique ».7

C’est dans cette droite ligne que la Cour de cassation a eu l’occasion de juger :

- que la loi s’applique « pour tout acte médical dommageable »8
- que la médecine esthétique est soumise, comme la chirurgie, a une obligation de moyens9
- que les accidents non fautifs liés à des actes de chirurgie à finalité uniquement esthétique peuvent être indemnisés par la solidarité nationale dès lors que le seuil de gravité du préjudice est atteint10.

C’est également la position qu’a adopté la jurisprudence administrative11 confirmant qu’aucun acte médical quel qu’il soit n’échappe aux aléas inhérents au corps humain, à ses réactions propres à la chirurgie, aux produits utilisés…

Si l’idéologie de la loi était donc parfaite, force fut de constater que les déceptions apparurent assez rapidement, lorsque le pouvoir réglementaire commença par définir ce qui, à ses yeux, était suffisamment « anormal » pour ouvrir droit à indemnisation. Tel un effet secondaire indésirable survenant trop fréquemment, l’article D.1142-1 du code de la santé publique12 est ainsi venu priver d’indemnisation toutes les victimes qui ne présentaient pas :

- un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieure à 24%,
- ou une durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles de six mois consécutifs ou de six mois non consécutifs sur une période d’un an,
- ou un déficit fonctionnel temporaire supérieur à 50% pendant six mois consécutifs ou six mois non consécutifs sur une période d’un an,
- ou qui n’avaient pas été déclarées définitivement inaptes à exercer l’activité, professionnelle qu’elles exerçaient avant la survenue de l’accident médical,
- ou des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans leurs conditions d’existence.

Encore des déceptions lorsque, après quelques années d’application du dispositif, l’effet pervers de la double casquette de l’O.N.I.A.M13, tour à tour conseilleur14 et (mauvais) payeur15 se fit sentir.

Alors que la pilule des critères de gravité imposés par le pouvoir réglementaire avait déjà été bien difficile à avaler, et que les projets s’orientaient vers l’élargissement du champ d’application de la loi par une diminution des exigences de gravité et d’une clarification des positions des acteurs de l’indemnisation16, voilà que notre législateur ferme aux victimes « d’actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi » la porte du dispositif d’indemnisation des accidents médicaux non fautifs.

À l’origine de cet article il faut entrevoir la volonté de l’O.N.I.A.M qui, tel Zeus, a fait croire au législateur qu’en autorisant aux victimes d’accidents médicaux non fautifs survenus à l’occasion d’un acte de chirurgie exclusivement esthétique l’accès au dispositif de l’indemnisation par la solidarité nationale ou craignant sans doute d’avoir à payer quelques scandales sanitaires tel celui des prothèses PIP, il allait épuiser sa corne d’abondance17 alors qu’en réalité il le poussait à ouvrir la boîte de Pandore.

Il est vrai que la tentation était grande. Mais en y succombant le législateur a oublié qu’avec la chirurgie esthétique le médecin soigne au moins le psychique.

Hier encore, et par principe, l’acte médical non fautif était un acte de soin ouvrant droit à l’indemnisation par la solidarité nationale si le préjudice subi par la victime remplissait les critères de gravité fixés par le législateur (et c’est à elle d’en rapporter la preuve). Aujourd’hui, il appartiendra à la victime de démontrer que l’acte médical litigieux avait une visée thérapeutique.

Si (et seulement si) elle y parvient, elle pourra alors être indemnisée par la solidarité nationale. Ainsi, en adoptant l’article 70 le législateur, jugeant à la place de l’individu de ce qui est bien pour lui et justifie qu’il porte atteinte à son corps, a incidemment créé deux catégories de victimes :
- les « chanceuses de la malchance» qui auront droit à l’indemnisation de leur préjudice par la solidarité nationale
- et les « malchanceuses de la malchance » qui en seront exclues.

Dans cette seconde catégorie figureront non seulement cette jeune fille de 22 ans18 et avec elle, toutes les victimes de la chirurgie esthétique non réparatrice, mais aussi notamment :

- les femmes ou jeunes filles victimes d’un accident médical suivant la prise de produits pour une interruption volontaire de grossesse,
- les bébés ou jeunes garçons qui pourraient décéder ou être mutilés lors d’une intervention pour circoncision lorsqu’aucune faute ne peut être prouvée
- et même tous les myopes qui, par confort, préfèreront être opérés que de porter des lunettes.

Puisque les conseilleurs sont les payeurs, et que le législateur a été intoxiqué, reste à espérer qu’avant le 31 décembre 2014, date d’entrée en vigueur de la loi, les malades qui ne le sont pas vraiment mais pensent qu’ils ont été victimes d’un accident médical non fautif formulent leur « demande d’indemnisation » et que le juge se faisant docteur puisse réparer leur maux !

 

 

Compte tenu de l’imprécision du texte à cet égard la prudence recommande donc aux victimes potentielles d’un accident médical non fautif survenu à l’occasion d’un acte de « chirurgie de confort » (IVG, chirurgie esthétique, circoncision rituelle..), d’adresser avant le 31 décembre 2014 une demande d’indemnisation par Lettre Recommandée avec Accusé Réception à l’établissement public et à l’O.N.I.A.M19 ou d’assigner au fond l’O.N.I.A.M devant le tribunal de grande Instance de Bobigny20.

 

 

 

 

 

 

1 PLFSS n°438 adopté en dernière lecture par l’Assemblée Nationale le 1er décembre 2014 modifiant en son art. 70 la L. n°2002-303 du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ».
2 Projet de loi n°3258 « relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé » présenté à l’Assemblée nationale.
3 1ère Civ. 8 nov. 2000 qui considère que « la réparation des conséquences de l’aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu. »
4 Rapport de la mission d’information à l’Assemblée Nationale n°3688 du 11 avril 2012 sur la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé », présenté par MM. C. Evin, B. Charles et J-J. Denis.
5 Commission nationale des accidents médicaux, créée par la loi du 4 mars 2002.
6 M. P. Sargos, président honoraire de la 1ère ch. de la Cour de cassation.
7 « Le centenaire jurisprudentiel de la chirurgie esthétique : permanences de fond, dissonances factuelles et prospective », P. Sargos, Dalloz 2012 p. 2903 ;
8 Avis n° 0020006P du 22 nov. 2002.
9 V. notamment 1ère civ. 7 oct. 1992 ; 1ère civ., 12 déc. 1995 ; 1ère civ, 26 janv. 1999.
10 1ère civ. 5 févr. 2014, n° 12-29.14 qui considère que « les actes de chirurgie esthétique, quand ils sont réalisés dans les conditions prévues aux articles L. 6322 1 et L. 6322 2 du code de la santé publique, ainsi que les actes médicaux qui leur sont préparatoires, constituent des actes de soins au sens de l’article L. 42 1 du même code » ouvrent doit à indemnisation par la solidarité nationale quel que soit le motif de l’intervention dès lors que se trouve atteint le critère de gravité. En l’espèce il s’agissait d’une jeune fille de 22 ans admise dans un centre chirurgical pour y subir une liposuccion, et décédée des suites d’un malaise cardiaque provoqué, avant l’anesthésie, par l’injection de deux produits sédatifs.
11 CAA Paris, 19 juin 2014, n° 13PA02201.
12 Décret n°2003-314 du 4 avril 2003 relatif au caractère de gravité des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales prévu à l’article L.1142-1 du Code de la santé publique, modifié par l’art.1 du Décret n°2011-76 du 19 janv. 2011.
13 L’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux est un établissement public à caractère administratif de l’Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé notamment chargé de l’indemnisation des accidents médicaux non fautifs créée par la loi du 4 mars 2002.
14 L’O.N.I.A.M est membre des commissions régionales de conciliation et d’indemnisation.
15 Le « référentiel » qui sert de base à l’indemnisation des victimes ne permet pas une réparation intégrale des préjudices. Par ex. : l’assistance d’une tierce personne familiale est indemnisée 9,71€ de l’heure alors que la jurisprudence rappelle qu’elle doit l’être sur les mêmes bases que celles de l’emploi de personnel (en moyenne 23 € de l’heure selon l’étude « Handéo » d’oct.2013). Les préjudices futurs sont indemnisés à partir d’un barème de capitalisation qui prévoit un taux d’intérêt de 2,92% alors que celui actuellement utilisé par les juridictions est de 1,20% (et que plus le taux est bas, plus l’indemnité est élevée).
16 « Bilan et proposition de réformes de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé », 24 févr. 2011, A.M. Ceretti et L. Albertini.
17 La confrontation du budget et de la réalisation de l’exercice 2013 montre une sous-consommation importante des crédits (176,36 M€) due exclusivement à la baisse du montant des indemnisations des accidents médicaux – Rapport 2013 de l’ONIAM, p.50 et 51.
18 v. note 9.
19 en cas d’acte pratiqué en secteur public, qui emporte une compétence administrative.
20 en cas d’acte pratiqué en secteur privé, qui emporte une compétence judiciaire.