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Reportage 

Le business des classements des cabinets d’avocats

Au-delà de l’intérêt pour des avocats d’y figurer, ces palmarès présentent un enjeu économique pour leurs organisateurs via la vente de publicité. Méthodologies discutables, utilisations détournées… Ces classements ne sont pas sans dangers.

Top 30 des avocats les plus puissants de France, classement des meilleurs cabinets d’avocats d’affaires, etc. Hérités d’une pratique anglo-saxonne, des classements d’avocats et de leurs cabinets fleurissent en France depuis une dizaine d’années (1). Des cabinets recourent à des agences de communication pour booster leur candidature. Des équipes affichent sur leurs sites internet la place décrochée… Figurer sur ces podiums, proposés par des organes de presse et éditeurs, est un enjeu pour certaines robes noires. « On n’a pas besoin de se battre pour récolter les informations nécessaires à nos enquêtes », affirme Pierre Netter, rédacteur en chef et directeur général adjoint de Décideurs (magazine du groupe Leaders League) proposant divers classements. Comment expliquer un tel engouement des avocats ? « Ca compte pour eux d’être cartographiés, d’avoir une presse qui se spécialise dans leur métier et qui met en valeur leur performance […] Il y a aussi une histoire d’égo dans tout ça », analyse-t-il. Christian Bessy, directeur de recherche au CNRS, avance d’autres explications. Cet économiste y voit, pour les cabinets, « un moyen de publicité détourné », mais également « un outil de management » puisqu’ils incitent à l’effort. Renforcer une image, rassurer les clients et prospects, attirer des profils prometteurs… C’est selon Charlotte Vier, qui anime l’équipe d’Avocom (agence de communication), l’intérêt de figurer dans ces classements. « Pour certains avocats la progression dans les classements est un véritable objectif », admet-elle. D’ailleurs son équipe est très sollicitée par des cabinets souhaitant bénéficier d’un soutien pour l’élaboration et le suivi de leur candidature à ces classements. « Les exigences des supports et enquêteurs évoluent. Ils demandent de plus en plus de détails, les dossiers doivent être très complets. C’est réellement chronophage pour les cabinets », observe-t-elle.

Pour figurer dans certains palmarès, tels que le Top 30 des avocats les plus puissants de France du magazine GQ, il n’est pas nécessaire de candidater. L’avocate Marie-Alix Canu-Bernard, présente dans l’édition 2013, avait même oublié son existence. Ce qui ne l’empêche pas de se réjouir d’y être. « Je ne vais pas vous dire que ça ne me fait pas plaisir […] On exerce un métier de prestataire de services […] quoi de mieux qu’un classement qui fait parler de nous ? », remarque-t-elle. L’avocat Kami Haeri ne boude pas son plaisir de figurer dans divers classements en droit des affaires. Pour lui, ils sont « un élément de confort », qui « rassure à la fois les avocats qui s’y trouvent et les clients ». Lorsque la porte d’un classement est franchie, « on mesure tout le chemin à parcourir pour être en haut. On entre dans le jeu, on se dit qu’il faut progresser », témoigne-t-il. Kami Haeri reconnaît que ces classements lui apportent « une visibilité » et qu’ils peuvent être « une belle source de reconnaissance » pour les jeunes avocats. « Mais objectivement, la vraie reconnaissance, c’est les clients, le fait d’avoir pu recruter des collaborateurs, etc. Il faut relativiser », insiste-t-il. Des clients choisissent-ils leurs avocats en fonction de ces palmarès ? Kami Haeri n’en « est pas certain ». Et ce n’est pas François Gadel, directeur fiscal du groupe LVMH, qui le contredira.

par Caroline Fleuriotle 11 mars 2014

Impact sur les clients

« Soyons clairs, nous ne choisissons pas les cabinets d’avocats en fonction d’eux », indique François Gadel. Il admet toutefois que ces classements sont « un bon moyen d’information ». Ils permettent de « suivre les évolutions des cabinets, de conforter nos choix, de connaître l’intervenant spécialisé dans un sujet particulier », liste-t-il. Gilles Kolifrath, directeur juridique d’Axa France, explique travailler généralement avec des cabinets issus « de réseaux bâtis de longue date ». Néanmoins, lorsque le dossier concerne un domaine spécifique dans lequel l’équipe a moins d’expérience, il peut être amené à regarder les classements, ou à solliciter son réseau pour se faire recommander un avocat. « Des directeurs juridiques m’ont confié qu’ils regardaient les classements pour vérifier qu’ils n’oubliaient personne lors de la sélection d’un cabinet sur une opération spéciale et lors de la refonte de leurs panels », ajoute Charlotte Vier, d’Avocom.

Certains cabinets déploient beaucoup d’énergie pour être sur le podium, mais d’autres ne se prêtent pas au jeu et ne délivrent pas les informations nécessaires à leur élaboration. Ce qui amène des organisateurs de classements à mettre en avant des estimations. C’est le cas de Décideurs pour le classement Décideurs 100 (V. infra), lorsque des cabinets refusent de communiquer leur chiffre d’affaires. Le magazine Option Droit & Affaires (ODA), supplément d’Option Finance, lui, écarte les structures ne souhaitant pas collaborer. Ainsi, les entités ayant une pratique reconnue dans la matière concernée mais n’ayant pas répondu à leur enquête sont simplement mentionnées dans un encadré. Certains professionnels du droit vont même jusqu’à boycotter l’initiative. En 2013, l’avocate Marie Dosé a fait un pied de nez au Top 30 des avocats les plus puissants de GQ. « Je n’ai pas choisi ce métier pour être puissante, et j’ai du mal à prendre ce classement avec légèreté (…) Comme tout le monde, j’ai d’abord accepté d’y être. Puis ça m’a soulagée de dire non », témoignait-elle dans l’édition du 17 octobre 2013 de Libération. Contactée par la rédaction, l’avocate n’a pas souhaité revenir sur ce sujet.

De plus, les classements ne s’adressent pas à tous les avocats. Le Top 30 des avocats les plus puissants de GQ ne réunit presque que des pénalistes. Dans d’autres palmarès, il n’est question que de droit de l’entreprise. C’est le cas des classements de Décideurs, ODA, ainsi que des classements français inclus dans les guides des éditeurs Chambers & Partners (Chambers Europe) et Legalease (Legal 500 Paris et Legal 500 Europe/Moyen-Orient/Afrique). Lidija Liegis, ancienne responsable de l’étude française du Chambers Europe, indique que le guide évolue en fonction des demandes des clients. Un jour retrouvera-t-on dans l’étude française des matières telles que le droit de la famille ? Lidija Liegis ne l’exclut pas et remarque que cette matière est présente dans les classements concernant le Royaume-Uni. Mais actuellement, pour la France, les demandes en ce sens ne sont pas assez nombreuses, remarque-t-elle. Et à quand un classement des meilleurs avocats en matière de divorce dans Décideurs ? En plus des aspects...

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