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Reportage 

Contrôles d’identité : la réforme nécessaire

La lutte contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité était l’engagement n° 30 de François Hollande. Trois ans après son élection, cette mesure n’a pas été mise en œuvre. L’État est aujourd’hui poursuivi en justice par huit organisations et acculé par un rapport du Défenseur des droits.

par Anaïs Coignacle 10 avril 2015

Le constat du contrôle au faciès

« En France, les personnes noires peuvent être contrôlées six fois plus que les Blancs. Pour les personnes d’origine maghrébine, c’est huit fois plus ». Cette affirmation n’a rien d’approximatif ni de politique. Elle est tirée d’une étude réalisée par des chercheurs du centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), l’un des départements du CNRS. L’étude remonte à 2009 déjà. Elle s’intitulait « police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris ». L’enjeu pour les enquêteurs était d’observer et de mesurer, sans être vu par les policiers, le rapport entre la population présente sur cinq lieux parisiens (Châtelet et Gare du Nord) et celle contrôlée durant la même période, en prenant en considération des critères d’âge, de sexe, de couleur de peau, d’apparence vestimentaire. Ainsi, « si à la descente du Thalys on ne trouve que 7,5 % de Noirs, la proportion de Noirs contrôlés y est de 31 % de la population totale. À la Fontaine des Innocents, ils constituent 30 % de la population de départ, mais 62 % de la population contrôlée ». Un écart considérable qui s’amplifie encore si l’individu est habillé en « tenue jeune ». Ce constat, beaucoup le pressentaient mais jusqu’alors aucune vraie donnée chiffrée, objective et qualitative n’avait été opérée. « Sur le sujet, il y avait généralement un vide en Europe au début des années 2000 », explique Lanna Hollo, directrice juridique de l’Open Society Justice Initiative, une organisation des droits de l’homme qui est l’une des émanations des fondations de Georges Soros, milliardaire philanthrope américain. « C’était évident qu’il y avait un énorme problème en France mais qui n’était pas officiellement reconnu. On restait dans des récits de personnes contrôlées, d’ONG, d’organes mais il y avait un manque complet de chiffres ».

C’est pour cette raison que l’organisation américaine a décidé de mener cette expérience d’observation avec le CNRS. Il a donc fallu que des observateurs étrangers se saisissent de la question pour enfin obtenir un état des lieux du contrôle au faciès en France. Une situation que déplore d’ailleurs le Défenseur des droits Jacques Toubon dans son rapport relatif aux relations police/citoyens et aux contrôles d’identité, rendu public le 9 février 2015. S’il liste toutes les études indépendantes réalisées au plan national et européen sur la question depuis quelques années – parmi lesquelles celles de l’ex-Commission nationale de la déontologie et de la sécurité (CNDS), aujourd’hui département du Défenseur des droits –, il souligne : « force est de constater qu’en dépit d’un constat partagé sur la dégradation des relations police/public, aucun travail d’envergure n’a jamais été initié par les pouvoirs publics pour analyser les pratiques et mesurer les effets des modes d’intervention des forces de l’ordre auprès de la population ». Et de préciser que le travail réalisé dans le cadre de ce rapport a permis de mesurer « l’ampleur des malentendus entre les forces de sécurité et les responsables associatifs, ainsi que la perplexité des acteurs politiques face à cette incompréhension. Elle se fonde sur une méfiance réciproque : contrôle au faciès disent les uns, préjugé "anti-flics" disent les autres ».

L’impact des discriminations

« Mon premier contrôle, je devais avoir 10 ans », dit l’un. « De 20 à 30 ans, j’ai été contrôlé au moins 10 fois par mois », affirme un autre. « Plusieurs fois par semaine », selon un troisième. « C’est humiliant de se faire contrôler comme si on avait fait quelque chose de mal. La seule chose de mal qu’on puisse faire c’est d’être présent. Ça fait une douleur physique, c’est de la souffrance ». On parle encore des fouilles au corps, palpations, une arme sur la tempe… Tous ces témoignages ont été recueillis dans le cadre d’un rapport de l’Open Society Justice Initiative intitulé « L’égalité trahie : l’impact des contrôles au faciès ». Des pratiques et impacts psychologiques que le Défenseur des droits déplore également dans son rapport. Par exemple : « il est ressorti des diverses auditions que la pratique dite des palpations de sécurité constituait un grief majeur à l’égard des forces de l’ordre, celles-ci accompagnant voire précédant systématiquement les contrôles d’identité ». Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux, a décidé d’ajouter dans son questionnaire ces violences « en plus des victimations habituellement interrogées (violences verbales, physiques...

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