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CDD : rupture après requalification et atteinte à un droit fondamental

Le jugement ordonnant la requalification d’un contrat à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée, la rupture du contrat de travail intervenue postérieurement à cette décision au motif de l’arrivée du terme stipulé dans ce contrat est nulle.

par Bertrand Inesle 21 janvier 2014

Après que le jugement, frappé d’appel, a ordonné la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l’employeur peut-il, dans l’intervalle qui sépare les deux décisions, rompre ce contrat au motif de l’arrivée du terme qui y était initialement stipulé ?

Par un important arrêt, la Cour de cassation répond, pour la première fois, par la négative. Elle décide, en effet, au visa des articles L. 1121-1, L. 1245-1, R. 1245-1 du code du travail et 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), que l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès équitable » au sens du dernier de ces textes. Elle en déduit que lorsqu’une décision, exécutoire par provision, ordonne la requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la rupture du contrat de travail intervenue postérieurement à la notification de cette décision au motif de l’arrivée du terme stipulé dans ledit contrat à durée déterminée est nulle. Elle reproche, par conséquent, aux juges d’appel de ne pas avoir vérifié si les jugements ordonnant la requalification avaient été notifiés à l’employeur avant le terme du contrat à durée déterminée.

Le jugement qui ordonne la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, en application de l’article L. 1245-1 du code du travail, est exécutoire de droit à titre provisoire (C. trav., art. R. 1245-1). La suspension de l’exécution des décisions de justice provoquée par les délais et voies de recours (C. pr. civ., art. 539 et 749) est ainsi écartée et le jugement devient exécutoire alors même qu’il n’est pas encore passé en force de chose jugée (C. pr. civ., art. 501). La requalification produit donc la totalité de ses effets dès son prononcé par le juge, ce qui signifie qu’à cet instant, le régime du contrat à durée déterminée, dont le fonctionnement du terme qui le caractérise, n’a plus lieu de s’appliquer et se trouve substitué par le régime du contrat à durée indéterminée. L’invocation du terme pour mettre fin au contrat de travail est, de la sorte, rendue impossible. En revanche, contrairement à ce que pourrait laisser croire une lecture, par trop, littérale des motifs de l’arrêt, ce n’est pas « lorsqu’une décision, exécutoire par provision, ordonne la requalification », mais à chaque fois qu’une décision, quelle qu’elle soit, ordonne la requalification, que la nullité de la rupture motivée par l’arrivée du terme est encourue. Le visa de l’article R. 1245-1 du code du travail, lequel rend exécutoire de droit à titre provisoire tout jugement prononçant la requalification, incline à retenir cette analyse.

La Cour tire de ce raisonnement une conséquence inédite. Le fait, pour l’employeur, de persister dans l’application du régime du contrat à durée déterminée, alors que, par l’effet du jugement ordonnant la requalification, le contrat est soumis au régime d’un contrat à durée indéterminée, porte atteinte à l’exécution de cette décision de justice et entraîne, par voie de conséquence, la nullité de la rupture. Cette nullité n’est rendue possible, conformément à la jurisprudence Clavaud (Soc. 28 avr. 1988, Bull. civ. V, n° 257 ; D. 1988. 437, note E. Wagner ; Dr. soc. 1988. 428, note G. Couturier), que parce qu’il est porté atteinte à un droit ou une liberté fondamentale, rang auquel la chambre sociale érige, dans le présent arrêt, le droit à l’exécution des décisions de justice. La nature de ce droit, mis en lumière par un auteur (S. Guinchard, Le procès équitable, droit fondamental ?, AJDA 1998. 191 ), a été déterminée par la Cour...

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