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Comment l’Allemagne a redéfini sa notion du viol

Dans un climat encore marqué par les agressions sexuelles du Nouvel an à Cologne, le Parlement allemand a adopté une réforme de son droit pénal visant à « améliorer la protection du droit à l’auto-détermination sexuelle ». Ce faisant, elle se met en conformité avec la convention d’Istanbul relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

par Gilles Bouvaist, à Berlinle 25 juillet 2016

Le surnom donnée à la réforme est explicite : « Non, c’est non ». En adoptant le 7 juillet une réforme du droit pénal relative aux agressions sexuelles, le Bundestag modifie en profondeur sa définition du viol et revient sur un point très contesté du code pénal allemand (le Bundesrat, la chambre haute du Parlement, doit encore valider la réforme à l’automne). Selon son article 177, n’était jusqu’ici passible d’une peine de privation de liberté ne pouvant être inférieure à un an celui qui « contraint, par la violence, par la menace d’un danger immédiat pour sa vie ou son intégrité physique, ou par l’exploitation d’une situation dans laquelle la victime est livrée sans défense au bon vouloir de l’auteur, une personne à des relations sexuelles avec lui ou un tiers ».

En y ajoutant la typologie de « celui qui contraint une personne à un acte sexuelle contre sa volonté identifiable », l’Allemagne entend mettre en conformité sa législation avec la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qu’elle a ratifiée en 2011. Son article 36 précise que les États signataires doivent prendre « les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale » les relations sexuelles « non consenties » : le même article ajoute que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ». 

« La convention d’Istanbul nous a beaucoup aidés », relève Dagmar Freudenberg, qui préside la commission droit pénal de l’Association fédérale des femmes juristes allemandes. Cette dernière avait dès 2014 préconisé une série de propositions législatives pour appliquer la convention d’Istanbul. « Nous avions déjà eu une réforme dans les années 1990, dans laquelle avait été introduite la situation d’impuissance [“hilflose Lage”], qui était censé protéger les femmes », rappelle-t-elle. « Mais celle-ci ne s’est pas avérée convaincante dans la jurisprudence. Ce qui s’explique par l’emploi dans l’article 177 du verbe “contraindre” [“nötigen”] : ce mot a conduit dans la jurisprudence à une interprétation très restrictive des faits de contrainte et a entraîné des trous dans la protection » des victimes.

Si la réforme était attendue depuis longtemps, celle-ci intervient dans un contexte bien particulier : d’un côté, les centaines d’agressions sexuelles en groupe s’étant déroulé lors de la nuit du Nouvel an à Cologne, et de l’autre, l’affaire très médiatisée de Gina-Lisa Lohfink. Une vidéo diffusée sur Internet montrait cette mannequin avoir des relations sexuelles avec un footballeur et l’employé d’un club berlinois, après leur avoir dit « non » et « arrêtez ». « Une réforme était déjà en cours, il y avait une commission d’experts et leur travail a été dans les faits dépassé par les événements qui ont eu un fort retentissement dans l’opinion », rappelle Henning Ernst Müller, qui enseigne le droit pénal et la criminologie à l’université de Regensburg. « Politiquement, ceux-ci ont joué un rôle de catalyseur important pour cette réforme. »

« Erreur de construction »

Sans nier l’impact de la convention d’Istanbul, d’autres juristes soulignent que le poids des contradictions internes de ce versant du droit pénal allemand a rendu inévitable sa réécriture. Comme le notait dans un article paru en avril 2015 Tatjana Hörnle, professeure de droit pénal et de philosophie du droit à l’université Humboldt de Berlin, on peut « avancer l’idée que l’article 177, paragraphe 1 du code pénal, présente une erreur de construction ». Celle-ci, poursuit-elle, « est liée à l’accent mis sur le paradigme de la violence et sur la construction qui en découle, faisant de toutes les variantes des infractions sexuelles un événement à plusieurs étapes : (…) en premier lieu, l’auteur doit, par l’usage de la violence ou d’une menace, influencer la prise de décision de la victime, avant que ne deviennent inévitables des relations sexuelles ne reposant pas sur un consentement mutuel. »

Reste qu’en dépit de son adoption à l’unanimité, certains juristes doutent de l’efficacité réelle de cette redéfinition dans la lutte contre le viol : « Même si je salue la mise en place d’une infraction de base destiné à protéger le droit à l’auto-détermination sexuelle, avance Henning Ernst Müller, il me semble que l’impression selon laquelle les victimes sont mieux protégées est trompeuse. La réforme actuelle ne risque de changer que peu de choses à des problèmes spécifiques au droit pénal des infractions sexuelles, et en particulier à la problématique de la preuve. » Un point de vue que nuance Dagmar Freudenberg : « Apporter une preuve dans une affaire où s’affrontent un témoignage contre un autre reste toujours difficile. Mais on ne peut pas opposer cet argument à une telle réforme. »