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Coronavirus : la justice pénale en état d’urgence sanitaire, ce que prévoit l’ordonnance

Afin de s’adapter aux enjeux sanitaires et d’éviter les contacts physiques, mais aussi aux contraintes du confinement et des plans de continuation d’activité réduite des juridictions, l’ordonnance du 25 mars 2020 porte adaptation de règles de procédure pénale.

par Dorothée Goetzle 27 mars 2020

La menace sanitaire grave que représente le virus covid-19 a conduit le gouvernement à instituer un nouveau cadre législatif d’état d’urgence sanitaire prévu par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (v. Dalloz actualité, 23 mars 2020, obs. D. Goetz). Ce texte a habilité le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures d’adaptation à la lutte contre le covid-19. Vingt-six ordonnances ont été présentées en Conseil des ministres le 25 mars et sont parues au Journal officiel du 26 mars 2020 (v. Dalloz actualité, 25 mars 2020, art. P. Januel). En sept chapitres, l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale prévoit des dispositions d’urgence destinées à permettre la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public. Ces dispositions sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. 

Le chapitre 1er énonce des dispositions générales qui allègent le formalisme des procédures, les contraintes de délais dans lesquelles elles s’appliquent et les garanties qui y sont attachées. L’intérêt de ce chapitre est d’assouplir les conditions de saisine des juridictions et d’alléger leur fonctionnement, en autorisant notamment plus largement des audiences dématérialisées. Ainsi, à compter du 12 mars 2020, les délais de prescription de l’action publique et de prescription de la peine sont suspendus (art. 3). Les délais fixés par les dispositions du code de procédure pénale pour l’exercice d’une voie de recours sont doublés sans pouvoir être inférieurs à dix jours. Dans ce même esprit, l’appel et le pourvoi en cassation peuvent dorénavant être formés par lettre recommandée avec accusé de réception et les courriels adressés font l’objet d’un accusé de réception électronique par la juridiction. Ils sont considérés comme reçus par la juridiction à la date d’envoi de cet accusé (art. 4). Pour tenir compte du confinement imposé à la population et de la réduction au minimum du nombre de magistrats et de greffiers présents dans les juridictions, il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties (art. 5).

Le chapitre 2, relatif à la compétence des juridictions et à la publicité des audiences, prévoit que, lorsqu’une juridiction pénale du premier degré est dans l’incapacité totale ou partielle de fonctionner, le premier président de la cour d’appel désigne par ordonnance, après avis du procureur général près cette cour, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe des juridictions concernées, une autre juridiction de même nature et du ressort de la même cour pour connaître de tout ou partie de l’activité relevant de la compétence de la juridiction empêchée (art. 6). De plus, par dérogation aux règles de publicité, le président de la juridiction peut décider, avant l’ouverture de l’audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte, ou, en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience, à huis clos (art. 7).

Le chapitre 3 s’intéresse à la composition des juridictions et privilégie la tenue d’audience à juge unique. Plusieurs dérogations sont en effet prévues pour faciliter le recours à la procédure de juge unique, toujours sous réserve d’un renvoi en cas de complexité ou de gravité des faits. Ainsi, la chambre de l’instruction peut statuer, en matière correctionnelle, en n’étant composée que de son seul président, ou d’un magistrat désigné pour le remplacer, sur décision du premier président de la cour d’appel constatant que la réunion de la formation collégiale de la juridiction n’est pas possible. De même, le tribunal correctionnel peut statuer, quelle que soit la nature du délit dont il est saisi et quel que soit le mode de sa saisine, en n’étant composé que de son seul président, ou du magistrat désigné pour le remplacer, sur décision du président du tribunal judiciaire. Quant à la chambre des appels correctionnels et à la chambre spéciale des mineurs, elles peuvent statuer, dans tous les cas, en n’étant composées que de leur seul président, ou d’un magistrat désigné pour le remplacer, sur décision du premier président de la cour d’appel (art. 9).

En outre,

• sur décision du président du tribunal judiciaire, le tribunal pour enfants peut statuer en n’étant composé que de son seul président, ou d’un juge des enfants, et à défaut d’un magistrat désigné pour le remplacer (art. 10) ;

• sur décision du président du tribunal judiciaire ou du premier président de la cour d’appel, le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel peuvent être composés de leur seul président, ou du magistrat désigné pour le remplacer (art. 11) ;

• si des juges d’instruction sont absents, malades ou autrement empêchés, le président du tribunal judiciaire ou, en cas d’empêchement, le magistrat qui le remplace désigne, dans un tableau de roulement, le ou les magistrats du siège pour exercer les fonctions de juge d’instruction (art. 12).

Durant la crise sanitaire, le législateur permet donc aux juridictions, pour des raisons pratiques évidentes, de s’affranchir de certains principes directeurs de la procédure pénale comme la publicité des débats et la collégialité.

Le chapitre 4, composé de deux articles, concerne la garde à vue. Il y est prévu que l’entretien avec un avocat de la personne gardée à vue ou placée en rétention douanière, ainsi que l’assistance de la personne par un avocat au cours de ses auditions, peut se dérouler par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique, y compris téléphonique, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges (art. 13). En outre, les prolongations des gardes à vue des mineurs âgés de 16 à 18 ans, ainsi que les prolongations des gardes à vue prévues par l’article 706-88 du code de procédure pénale peuvent intervenir sans présentation de la personne devant le magistrat compétent (art. 14).

Le chapitre 5 aborde la thématique de la détention provisoire. Les articles 15 à 20 permettent de prolonger les délais maximums de placement en détention provisoire et d’assignation à résidence durant l’instruction et pour l’audiencement.

Le chapitre 6 est relatif à l’affectation des détenus et à l’exécution des peines privatives de liberté. Il permet, des articles 21 à 29, d’assouplir les conditions de fin de peine, en prévoyant notamment des réductions de peine de deux mois liées aux circonstances exceptionnelles.

Enfin, le chapitre 7 concerne les mineurs poursuivis ou condamnés. Il permet la prorogation pour une durée qui ne peut excéder quatre mois des mesures de placement ordonnées par le juge des enfants.

En définitive, cette ordonnance crée, pour faire face à la crise sanitaire, une nouvelle justice pénale. Cette justice d’exception n’est pas limitée à la durée du confinement. En effet, ces nouvelles règles sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020.