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Coronavirus : « Nous continuons à assurer les audiences en prison »

Alors que les prisons surpeuplées sont confinées dans leur angoisse, la Chancellerie a annoncé la libération de 5 000 détenus par la voie de l’aménagement de peine, et les avocats déposent des demandes de mise en liberté. Pour l’instant, malgré quelques mutineries, la situation est sous contrôle, bien que le nombre de cas, qui ne fait que croître, soit très probablement sous-évalué.

Avec une épidémie de covid-19 qui continue de s’étendre, les prisons, plus fermées que jamais, comptent leurs infectés. La Chancellerie a annoncé, vendredi 27 mars, que 21 détenus ont été testés positifs, tandis que 471 présenteraient les symptômes du virus (en confinement sanitaire). Pour se protéger, a dit la ministre, l’administration pénitentiaire dispose de 116 000 masques et d’éventuellement 100 000 masques disponibles. Cela n’a pas empêché la contamination de 50 personnels pénitentiaires (chiffres du 27 mars) et le placement en quatorzaine de 793 d’entre eux. Un surveillant, en poste à Orléans, est mort dans la nuit du 25 au 26 mars. Parmi les détenus, le premier décès remonte au 16 mars.

Le 17 mars, c’est la fermeture des parloirs : depuis, les détenus, plus que jamais, sont coupés du monde, enfermés dans leur incubateur géant. Cela peut engendrer des situations comme celle-ci, rapportée par l’Observatoire international des prisons : « Appel de la sœur de M. E…, en détention à Nîmes depuis quatre mois. Elle a des sanglots dans la voix : “Nous n’avons plus de nouvelles depuis le confinement. Je ne dors plus, je ne mange plus. Il a 24 ans, il est incarcéré pour pas grand-chose et il va avoir une petite fille au mois d’avril. Son avocat s’est vu refuser sa demande de parloir. Ce n’est pas facile du tout.” » Ou alors ce détenu, rapporte l’OIP, qui a appris l’existence de l’épidémie il y a seulement une semaine.

Si les mesures de confinement sont assez vite adoptées par les unités sanitaires, qui ont l’habitude des maladies contagieuses (la gale sévit en prison, par exemple), les impératifs de confinement et de distanciation sociale sont impossibles à mettre en œuvre, et la pression due à la surpopulation carcérale n’a jamais été aussi menaçante. Une quarantaine d’incidents et des mutineries ont éclaté depuis le début de la crise sanitaire, comme à Uzerche, Tarascon, Argentan ou au Mans, selon le Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP). Dimanche, quatorze incidents ont été signalés, et si aucun nouvel incident n’a été rapporté, la situation demeure « très fragile » et pourrait même empirer, de l’aveu d’un directeur de prison. À la suite des incidents, des condamnations ont été prononcées : cinq à Béziers, deux au Mans, une à Meaux, deux à Fleury-Mérogis, une à Nice. Vendredi, il y avait 20 déferrements en cours, 29 gardes à vue, et 107 mesures disciplinaires.

« La déception en milieu collectif peut entraîner des mutineries »

Au 1er janvier 2010, les prisons comptaient 70 651 détenus, dont 21 075 prévenus. Ils étaient 1 614 à dormir sur un matelas au sol. En maison d’arrêt, la moyenne de la surpopulation carcérale est de 138 %. Seuls 40 % des détenus disposent de cellules individuelles. Ils sont nombreux à partager 9 m2 (toilettes incluses) à deux, trois, parfois quatre détenus (dont l’un dort sur un matelas posé au sol). Dans certains établissements, comme à Agen, il existe même des dortoirs de 20 m2 prévus pour accueillir huit détenus. Ces configurations, complètement inadaptées à l’état d’urgence sanitaire, ont amené la Chancellerie, qui « n’était pas dans cette optique », comme disait Mme Belloubet, à envisager la libération de 5 000 détenus (alors que l’OIP ou la CGLPL, par exemple, appelle à la libération de 12 000 détenus – pour ramener le taux d’occupation à 100 %). Cela se fera uniquement par la voie juridictionnelle, la ministre ayant écarté l’idée de recourir au droit de grâce.

L’ordonnance portant adaptation des règles de procédure pénale prévoit notamment des mesures permettant des réductions de peines supplémentaires, la sortie anticipée de personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans ou qui ont deux mois ou moins à subir, ou encore le report de l’exécution de peines. Censées faire baisser la tension, elles pourraient cependant avoir un effet négatif. « Il risque d’y avoir des réactions de déception de ceux qui pensaient bénéficier de ces mesures mais qui ne présentent pas suffisamment de garanties », estime Jean-Michel Dejenne, conseiller national du SNDP CFDT. « La déception en milieu collectif peut entraîner des mutineries. » Un risque qui prévaut tant en maison d’arrêt qu’en centre de détention. Les personnels n’ont toujours pas de masques, gants et gel, sauf pour ceux qui s’occupent des détenus confinés. « Les agents tiennent plutôt bien et font leur travail. On attend d’avoir les moyens de les rassurer avec les équipements tels que masque et gants », relève M. Dejenne.

Sortir les détenus en fin de peine

Les sorties peuvent se faire par deux voies : les détentions provisoires et les fins de peine. La seconde option semble avoir été privilégiée par la Chancellerie (« je suis opposée à une mesure générale qui viserait à libérer toutes les personnes qui sont en détention provisoire », disait Nicole Belloubet le 26 mars à France Inter), qui exclut néanmoins des bénéficiaires de ces dispositions exceptionnelles les personnes condamnées pour des faits de nature terroriste, pour les auteurs de violences intrafamiliales ainsi que pour les auteurs des crimes les plus graves.

Au tribunal judiciaire de Créteil, « toujours en avance pour tester de nouveaux dispositifs », dit Samra Lambert, juge d’application des peines à Créteil et secrétaire générale de l’ANJAP, les magistrats ont devancé l’appel de la Chancellerie. Depuis le début de la période de crise sanitaire, ils ont systématisé les audiences « hors débat contradictoire », pour libérer au plus vite les personnes obéissant aux critères retenus. Les détenus dont la fin de peine se situe à six, voire huit mois, sont éligibles à cette procédure s’ils n’ont pas été condamnés pour des faits terroristes, de violences conjugales ou pour des crimes graves. Il leur reste à démontrer qu’ils possèdent une adresse fiable pour que le juge de l’application des peines, en accord avec le parquet et après examen individuel de chaque dossier, accorde un aménagement de peine. « J’en suis à un “hors débat” par jour, alors qu’habituellement, c’était un par mois, voire un par trimestre », rapporte Samra Lambert. Depuis une dizaine de jours, le nombre de détenus libérés de la sorte dépasse désormais les soixante-dix. Autre changement : les placements sous surveillance électronique ne sont plus en option, car la pose des bracelets a cessé (sauf cas particuliers), les personnels n’étant plus en mesure, du fait de la crise sanitaire, de venir au domicile de la personne concernée. Ce sont donc les libertés conditionnelles et les placements extérieurs (qui se font au domicile de la personne et non dans des structures dédiées) qui sont décidés, soit des aménagements plus favorables.

Pour Samra Lambert, il est important que les détenus se sachent considérés, et l’existence de ce nouveau « circuit » permet de calmer l’anxiété des détenus de l’établissement de Fresnes, le deuxième de France par sa taille, surpeuplé et parmi les plus vétustes du pays, qui est situé dans le ressort de Créteil. « Nous continuons à assurer les audiences en prison, c’est important qu’ils soient suivis. » Avant, les détenus demandaient : « et si on est confinés, vous continuerez à venir ? », explique-t-elle. La situation à Fresnes, où l’unique détenu décédé du covid-19 était incarcéré, est pour le moment assez calme.

Demandes de mise en liberté nombreuses et infructueuses

Parallèlement, les avocats fourbissent leurs demandes de mise en liberté (qu’ils ne peuvent toujours pas faire par fax ou par mail), qui s’accumulent dans les palais. Avec une audience par jour mutualisée entre les sept chambres de l’instruction, les journées sont chargées, convient-on à la cour d’appel de Paris. Soit une vingtaine de dossiers relatifs à la détention environ à examiner. « Le service est tendu, mais toutes les situations sont examinées au cas par cas, précise la procureure générale près la cour d’appel de Paris Catherine Champrenault. Et nous restons particulièrement vigilants concernant les demandes de remise en liberté des détenus les plus dangereux. »

Les juges d’instruction tirent la langue face aux très nombreuses demandes de mise en liberté. « Nous n’avons pas la capacité de faire face à cet afflux », s’inquiétait mercredi Marion Cackel, présidente de l’Association française des magistrats instructeurs. La magistrate s’interroge sur cette vague, entre demandes opportunes et inquiétudes légitimes de détenus sur la propagation du coronavirus en détention. « À Lille, on arrive encore à traiter toutes les demandes, mais avec de grosses difficultés », précisait-elle. Mais à Bobigny, on croule. Il y aurait eu lundi, selon elle, cent cinquante demandes non traitées encore en stock. À Paris, les magistrats et greffiers traitent quatre-vingts demandes par jour.

Si mercredi les juges d’instruction n’ont pas obtenu de délai supplémentaire pour traiter les demandes de mise en liberté, l’ordonnance portant adaptation de règles de procédure pénale desserre cependant bien l’étau dénoncé par les magistrats. Le délai imparti à la chambre de l’instruction, qui peut être saisie en l’absence de traitement, par le juge d’instruction, de la demande de mise en liberté, est en effet augmenté d’un mois. Autre point de satisfaction pour l’association française des magistrats instructeurs : le gouvernement n’a pas retenu l’option d’un envoi par courriel d’une demande de mise en liberté – les magistrats craignaient dans ce cas une nouvelle vague. « À Lille, l’afflux continue, mais cela commence à baisser dans d’autres juridictions », signale Marion Cackel.

Les avocats ont des arguments à faire valoir, mais se heurtent aux mêmes obstacles qu’en temps normal. « C’est toujours le même scénario, déplore Sylvain Cormier, avocat à Lyon. Le procureur prononce un réquisitoire de deux minutes, se bornant à réciter les critères de la détention provisoire, je plaide et, dans sa décision, le juge des libertés et de la détention, pour rejeter la mise en liberté, m’oppose des éléments qui n’ont pas été développés », déplore-t-il. « Le coronavirus vient amplifier la nécessité d’appliquer la loi », reprend Me Cormier, c’est-à-dire la nécessité de faire de la détention provisoire l’exception qu’elle devrait être. « Alors que l’on constate que les aménagements de peine, ça se passe plutôt bien, ce qui ne fonctionne pas, c’est la détention provisoire, comme d’habitude. »