Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Coronavirus : volet social du projet de loi d’urgence sanitaire

Le projet de loi « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 » autorise le gouvernement à prendre par ordonnance toute une série de mesures provisoires en matière notamment de bénéfice de l’activité partielle, de conditions d’acquisition et de prise de congés payés, de repos, d’intéressement et de participation, du suivi de santé des salariés ou encore de modalités d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel.

par Caroline Dechristéle 21 mars 2020

Examiné selon la procédure accélérée les 19 et 20 mars, le projet de loi « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 » détermine en son titre III intitulé les « mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie de covid-19 », les champs pour lesquels le gouvernement va pouvoir procéder par ordonnance, dans un délai de trois mois après la publication de la loi.

Ainsi, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le gouvernement pourra prendre par ordonnance « toute mesure, conforme au droit de l’Union européenne, relevant du domaine de la loi » pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales et, notamment, « pour limiter les cessations d’activités d’entreprises, quel qu’en soit le statut, et les licenciements ».

Ce texte encadre toute une série de mesures provisoires annoncées en matière de droit du travail, de la sécurité sociale en matière notamment de bénéfice de l’activité partielle, de conditions d’acquisition et de prise de congés payés, de repos, d’intéressement et de participation, du suivi de santé des salariés ou encore de modalités d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel.

Le Syndicat des avocats de France (SAF) a d’ores et déjà manifesté à travers une lettre ouverte à la ministre du travail son inquiétude quant aux domaines faisant l’objet de ce texte d’urgence qui permet d’envisager des « dérogations à des règles jusqu’à présent considérées comme d’ordre public ». Le SAF souligne qu’il n’est pas question que « des réformes puissent être décidées dans l’urgence avec des effets au-delà de la période exceptionnelle du confinement ».

Extension du recours à l’activité partielle

Afin de limiter les ruptures des contrats de travail, le gouvernement pourra, selon le projet de loi d’urgence, prendre toute mesure pour renforcer le recours à l’activité partielle, notamment en :

• l’étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires, le dispositif d’activité partielle pourrait notamment être ouvert, selon l’exposé des motifs du projet de loi, aux travailleurs à domicile ou aux assistants maternels qui n’y ont pas accès jusqu’à présent ;
• réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l’employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en œuvre ;
• favorisant une meilleure articulation avec la formation professionnelle pendant la baisse d’activité induite par la crise sanitaire ;
• prévoyant une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel.

Congés payés

Le texte permet également au gouvernement de prendre par ordonnances des dispositions destinées à modifier les conditions d’acquisition de congés payés et de permettre à l’employeur d’imposer ou modifier unilatéralement au salarié les dates de prise d’une partie des congés payés, des jours de réduction du temps de travail ou des jours de repos affectés sur un compte épargne-temps du salarié en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités de prise applicables.

L’employeur pourra ainsi imposer au salarié la prise de congés payés pendant toute la période d’état d’urgence sanitaire.

Aujourd’hui, aux termes de l’article L. 3141-16 du code du travail, l’employeur définit, après avis, le cas échéant, du comité social et économique, la période de prise des congés et l’ordre des départs. Et il ne peut, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, modifier l’ordre et les dates de départ moins d’un mois avant la date de départ prévue. L’objectif du texte serait donc de réduire ce délai de prévenance. Présenté comme un « effort raisonnable » demandé au salarié alors que l’État « met en place un plan exceptionnel pour sauver l’emploi et éviter les licenciements », l’article 7 du projet de loi autorise ainsi le gouvernement à permettre à l’employeur de fixer une partie des congés pendant la période de confinement. Un amendement du Sénat - adopté en commission des lois - a toutefois précisé que cette possibilité ne saurait porter sur plus de six jours ouvrables

L’habilitation permet aussi au gouvernement de modifier les conditions d’acquisition de congés payés. Il est possible d’envisager que cette mesure est destinée à modifier provisoirement l’assimilation à du temps de travail effectif des périodes de chômage partiel (C. trav., art. R. 5122-11) ;  les périodes d’activité partielle pendant la durée du confinement n’ouvriraient pas droit à congés payés.

Durée du travail et repos

À l’inverse, une fois les ordonnances adoptées, les entreprises qui doivent faire face à un surcroît exceptionnel d’activité pourront déroger de droit aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical.

L’article 17 du projet de loi autorise en effet le gouvernement à « permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger de droit aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ». Reste à préciser la notion d’activités essentielles.

Comme il est toutefois précisé dans l’étude d’impact – et rappelé dans l’avis du Conseil d’État –, les mesures prises devront être articulées dans le respect des normes du droit international et du droit de l’Union européenne.

En ce qui concerne les questions de dérogations aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical, ainsi que les conditions d’acquisition des congés payés et d’utilisation du compte épargne – temps du salarié, le Conseil d’État rappelle qu’il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » (décis. n° 2007-556 DC, 16 août 2007, consid 17). Le Conseil d’État rappelle en outre que le gouvernement devra également veiller à ce que les dérogations envisagées à la durée du travail respectent les dispositions de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Cette directive imposant aux États membres de l’Union européenne de garantir à tous les travailleurs une durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours ne devant pas dépasser quarante-huit heures, heures supplémentaires comprises et droit à un congé annuel payé d’au moins quatre semaines.

Vie collective de l’entreprise

L’exposé des motifs de la loi indique que le recours massif au télétravail ou au travail à distance associé à un fort taux d’absentéisme peut rendre difficile l’application des procédures d’information-consultation du comité social et économique (CSE). Aussi, le projet de loi autorise le gouvernement à modifier provisoirement les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis. Aujourd’hui, aux termes de l’article L. 2315-4 du code du travail, le recours à la visioconférence pour réunir le comité social et économique peut être autorisé par accord entre l’employeur et les membres élus de la délégation du personnel du comité. En l’absence d’accord, ce recours est limité à trois réunions par année civile. L’objectif du projet de loi d’urgence serait de permettre l’adoption des mesures visant à faciliter le recours à une consultation dématérialisée de l’instance.

S’agissant de la vie syndicale, il est relevé que, compte tenu de la crise sanitaire, l’organisation du scrutin auprès des salariés des entreprises de moins de onze salariés – et qui permet la désignation des conseillers prud’hommes ainsi que des membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles –, prévu le 23 novembre et 6 décembre prochain, pourrait être impactée. Le dépôt des candidatures syndicales étant en cours, la constitution et la fiabilisation de la liste électorale pourraient être affectées. Le maintien du calendrier électoral ferait peser un risque sur la bonne organisation du scrutin, aussi le projet de loi d’urgence prévoit la possibilité d’adapter l’organisation de cette élection, en modifiant si nécessaire la définition du corps électoral, et, en conséquence, proroger, à titre exceptionnel, la durée des mandats des conseillers prud’hommes et des membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles.

Intéressement et participation

S’agissant de l’intéressement et de la participation, le gouvernement pourra prendre toute mesure pour modifier les dates limites et les modalités de versement des sommes au titre de ces dispositifs. En effet, aux termes des articles L. 3314-9 pour l’intéressement et L. 3324-12 pour la participation, les sommes issues de la participation et de l’intéressement doivent être versées avant le 1er jour du sixième mois suivant la clôture de l’exercice de l’entreprise (soit le 31 mai lorsque l’exercice correspond à l’année civile). Ces délais légaux pourront donc être assouplis afin – selon l’étude d’impact – de permettre aux établissements teneurs de compte de ne pas être pénalisés par les mesures prises dans le cadre de l’épidémie.

Suivi de l’état de santé des travailleurs

Est également envisagée la possibilité d’aménager les modalités de l’exercice par les services de santé au travail de leurs missions et notamment du suivi de l’état de santé des travailleurs et de définir les règles selon lesquelles le suivi de l’état de santé est assuré pour les travailleurs qui n’ont pu, en raison de l’épidémie, bénéficier du suivi prévu par le code du travail.

Une instruction du ministère du travail anticipait déjà sur cette disposition et présentait une instruction le 17 mars 2020 destinée à adapter le fonctionnement des services de santé au travail pendant la période de confinement. Ainsi, il est indiqué que toutes les visites et toutes les actions en milieu de travail peuvent en principe être reportées sauf si le médecin du travail « estime qu’elles sont indispensables ». Dans cette optique, et si cela est possible, il est conseillé de privilégier la téléconsultation. En revanche, les visites autres que périodiques concernant les salariés exerçant une activité nécessaire à la vie de la nation doivent être maintenues. Enfin, priorité doit être donnée aux services de santé de relayer activement les messages de prévention et d’assurer une permanence téléphonique de conseils aux employeurs et salariés.

Formation professionnelle

S’agissant de la formation et de l’apprentissage, le gouvernement sera habilité à adapter les dispositions afin de permettre aux employeurs, aux organismes de formation et aux opérateurs de satisfaire aux obligations légales en matière de qualité et d’enregistrement des certifications et habilitations, de versement de contributions. Selon l’exposé des motifs, l’ordonnance permettra d’aménager les conditions de versement des contributions dues au titre du financement de la formation professionnelle, en cohérence avec les dispositions qui seront prises en matière fiscale et sociale. De même, France compétences devrait disposer d’un délai supplémentaire afin d’enregistrer les certifications dans le répertoire spécifique, notamment celles dont l’enregistrement arrive à échéance dans les prochains mois. Des dispositions devraient également permettre d’adapter les conditions de prise en charge des coûts de formation, des rémunérations et cotisations sociales des stagiaires de la formation professionnelle. S’agissant des coûts de formation, l’exposé des motifs indique qu’une ordonnance devrait permettre de simplifier les modalités de prise en charge en privilégiant une logique forfaitaire, plus simple à mettre en œuvre. Enfin, précise l’exposé des motifs, l’ordonnance permettra de prendre les dispositions nécessaires afin d’éviter les ruptures dans la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle.