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Créteil, état des lieux d’un tribunal en crise

Nanterre, Évry, Marseille, Nancy, Angoulême… Ils sont nombreux, très nombreux, les tribunaux de grande instance (TGI) de France à subir non pas quelques dysfonctionnements mais une crise véritable faute de personnel, de matériel, d’équipement suffisants. À quoi ressemble un TGI en pleine crise ?

par Anaïs Coignac, journalistele 23 mars 2016

Une audience à juge unique ordinaire

« Merci, Mme Henrion, d’être revenue. Donc vous n’avez pas reçu votre convocation ? », s’enquiert le juge Didier Cocquio qui préside l’audience de la 11e chambre correctionnelle du TGI de Créteil, jeudi 10 mars au matin. Non, l’administratrice ad hoc, celle qui représente et accompagne les enfants victimes d’infractions devant le tribunal, n’a rien reçu. La greffière a dû sortir en pleine audience pour la rattraper dans le couloir alors que la première affaire pour laquelle Agnès Henrion avait été convoquée, dûment cette fois, venait d’être entendue. Les prévenus ne sont pas là. Ils n’auront probablement pas été informés eux non plus. « Je ne comprends pas, cela a pourtant bien été envoyé par le greffier », plaide Mme Mitte, la greffière. Mystère.

Il faut dire qu’au TGI de Créteil, où une motion d’alerte des magistrats du syndicat de la magistrature (SM) et de l’Union syndicale des magistrats (USM) a été adoptée le 1er décembre 2015, seuls 87 % des postes du greffe sont pourvus depuis plusieurs mois, sans compter les absences plus ou moins longues (congés maladie, maternité). Il manque sept adjoints techniques sur quatorze, contre 11 sur 13 voilà trois ans, avec une charge de travail au moins équivalente. À cela s’ajoutait il y a encore peu, le non-respect de la journée de repos après sept jours consécutifs de travail. La presse se faisait déjà le relai de ces difficultés voilà trois ans. Les syndicats évoquaient alors « un fonctionnement de crise depuis dix ans ». À l’époque, il fallait attendre le lundi pour aller chercher son stylo bille bleu, distribué au compte-goutte. Aujourd’hui, le personnel doit surévaluer ses besoins pour espérer obtenir un minimum. Et les réformes statutaires des greffiers et des greffiers en chef de 2015 n’ont pas vraiment satisfait : « on demande à des greffiers, payés comme tels, de faire des tâches de magistrat, de greffiers en chef », expliquait, lundi 14 mars, Cyril Papon, greffier au TGI de Bobigny et représentant de la CGT à la cour d’appel de Paris, face à l’assemblée réunie dans une salle étroite et insonorisée du TGI de Créteil. Ce jour-là, s’est tenu devant quelques médias et une pléiade de représentants des professionnels de la justice un vrai faux procès contre l’État organisé par le SM et le syndicat des avocats de France (SAF) pour « non-assistance à justice en danger ».

Cyril Papon évoque une autre mesure de la réforme de 2015 qui a permis d’élargir les compétences des greffiers pour compenser la suppression de « plusieurs centaines » de postes de greffiers en chef sans que les premiers soient rémunérés comme l’étaient les seconds. Elle permettrait au ministère de la justice d’économiser « huit millions d’euros par an ». Le représentant continue : « il n’a jamais été autant question des risques psychosociaux, de souffrance au travail ». « Le TGI de Créteil aurait pu connaître le même appel que celui de Bobigny », conclut-il, faisant référence à l’alerte lancée en février par les magistrats, fonctionnaires et avocats du 93, laquelle a débouché sur un plan pluriannuel de moyens annoncé par Jean-Jacques Urvoas, le nouveau garde des Sceaux. Un plan que beaucoup estiment largement insuffisant. « Le fonctionnement des tribunaux repose sur l’extrême conscience professionnelle des personnels dont le ministère abuse », lance-t-il encore. Et de réclamer une grève massive des tribunaux.

Agnès Henrion aurait dû, elle aussi, participer au tribunal d’opinion du 14 mars. Des problèmes à évoquer, elle en avait toute une liste. Passionnée par ses missions, elle n’en est pas moins désillusionnée. Seule administratrice ad hoc...

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