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Demandeurs d’asile : la CJUE rejette les recours contre le mécanisme de relocalisation provisoire

La grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rejette entièrement les recours en annulation présentés par la Hongrie et la Slovaquie visant à annuler le dispositif provisoire mis en place par le Conseil afin de relocaliser les demandeurs d’asile arrivant en Grèce et en Italie. 

par Tennessee Soudainle 12 septembre 2017

Face à l’afflux de migrants au cours de l’été 2015, le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision (décis. [UE] 2015/1601 du Conseil, 22 sept. 2015) visant à mettre en place un dispositif provisoire de relocalisation des demandeurs d’asile. Cette décision avait pour objectif d’alléger la pression qui s’exerce sur les régimes d’asile grec et italien. Pour cela, le Conseil s’est fondé sur l’article 78, § 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : « au cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés. Il statue après consultation du Parlement européen ».

La Hongrie et la Slovaquie ont demandé l’annulation de la décision du Conseil devant la CJUE. À l’appui de leurs demandes, les États requérants alléguaient plusieurs moyens essentiellement liés à la procédure d’adoption de la décision et à sa proportionnalité. Dans le cadre de la procédure, la CJUE a accepté les soutiens extérieurs suivants : la Pologne a soutenu les conclusions des requérants alors que la Commission, la Belgique, l’Allemagne, la Grèce, la France, l’Italie, le Luxembourg et la Suède sont intervenus au soutien des conclusions du Conseil.

Les États requérants invoquaient le fait que la décision contestée devait être considérée comme un acte législatif et aurait dû en conséquence être adoptée selon la procédure législative. Dans le présent arrêt, la CJUE, réunie en grande chambre, a dû distinguer et délimiter les actes législatifs et les actes non législatifs. Pour cela, elle adopte une approche qu’elle qualifie de systémique et énonce « qu’un acte juridique ne peut être qualifié d’acte législatif de l’Union que s’il a été adopté sur le fondement d’une disposition des traités qui se réfère expressément soit à la procédure législative ordinaire, soit à la procédure législative spéciale ». En l’absence d’un tel fondement, la décision du Conseil est qualifiée d’acte non législatif et ne peut, dès lors, être assujettie aux obligations de la procédure législative, notamment la participation des parlements nationaux et la publicité des délibérations et du vote du Conseil.

Les dispositions contestées doivent être perçues comme des dérogations aux actes législatifs – notamment le règlement Dublin III – relatifs aux critères et aux mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile ou de protection subsidiaire (S. Barbou des Places, La CJUE, le règlement Dublin et les droits fondamentaux, RTD eur. 2017. 346 ; Dalloz actualité, 9 juin 2016, obs. D. Poupeau ). Afin de répondre effectivement et rapidement à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de demandeurs d’asile, la Cour estime que les institutions de l’Union peuvent adopter toute mesure provisoire nécessaire en vertu de l’article 78, § 3, du TFUE. Ces mesures doivent cependant être encadrées matériellement et temporellement. Les juges concluent à ce que la décision en cause prévoit des mesures limitées visant à répondre à la situation d’urgence et que leur durée limitée à deux ans n’est pas excessive.

De même, d’autres éléments de procédure ont été validés par la CJUE. En particulier, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en se fondant sur des données statistiques non contestées qui étaient à sa disposition. Il pouvait, dès lors, considérer que l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile était « soudaine » tout en s’inscrivant dans le prolongement d’une période d’arrivée déjà massive de migrants. Les juges ont également considéré que l’obligation de consultation du Parlement européen avait été respectée, tant pour la version initiale de la décision que la version ultérieure qui contient des modifications substantielles dont l’exclusion, à sa demande, de la Hongrie des États membres bénéficiaires de ces mesures d’aide provisoires.

Sur le fond, les juges européens concluent à la proportionnalité de la décision compte tenu de l’objectif, à savoir l’aide à la Grèce et l’Italie dans leur accueil des demandeurs d’asile. Lorsqu’il a adopté ces mesures provisoires, le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation car il ne pouvait prévoir, à cette période, un certain nombre d’éléments, dont le manque de coopération de certains États membres. Les mesures provisoires doivent être considérées comme complémentaires afin de contribuer à mieux maîtriser de nouveaux afflux de demandeurs d’asile sans pour autant remédier au problème de la saturation des régimes d’asile grec et italien. Enfin, en vertu du principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les États membres, la clé de répartition pour les relocalisations n’est pas disproportionnée. D’autant plus que la décision contestée prévoit, sous certaines conditions, la possibilité pour un État membre de suspendre les obligations qui lui incombent.