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Dénonciation du harcèlement moral : les juges jouent sur les « maux »

Le salarié qui n’a pas expressément qualifié d’agissements de harcèlement moral les faits qu’il a dénoncés ne peut se prévaloir de la protection contre le licenciement prévue pour avoir relaté de tels agissements.

par Julien Cortotle 6 octobre 2017

L’article L. 1152-1 du code du travail prévoit qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Afin de protéger les salariés du harcèlement moral, le législateur a mis en place un dispositif particulier (G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 31e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, § 935 s.). Ainsi, au-delà de l’interdiction de principe du harcèlement moral, des mesures concrètes ont été adoptées en vue de rendre nulle toute mesure prise à l’encontre d’une victime de harcèlement ou d’un salarié ayant refusé de subir une telle situation. Le code du travail prévoit la même protection à l’égard des travailleurs qui témoigneraient ou relateraient de tels faits (C. trav., art. L. 1152-2). C’est sur l’étendue de la protection de celui qui relate des agissements de harcèlement moral que la Cour de cassation s’est penchée dans le cadre de sa décision du 13 septembre 2017.

Dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt commenté, un salarié avait adressé un mail à son employeur afin de lui faire part de sa volonté de l’informer de vive voix « du traitement abject, déstabilisant et profondément injuste » qu’il estimait être en train de subir. Il sollicitait de ce dernier une rencontre dans un premier temps puis une vérification de ses propos dans un second temps. Bien mal lui en a pris, car il fût licencié pour faute grave le mois suivant. La lettre de rupture vise notamment le reproche d’avoir essayé de créer l’illusion d’une brimade et de proférer des accusations diffamatoires, les propos qu’il a tenus dans son mail n’étant assortis d’aucune justification. L’employeur a dès lors retenu à son encontre des faits de dénigrement, de manque de respect manifesté par des propos injurieux, constitutifs d’un abus dans la liberté d’expression.

Le salarié ayant saisi les juridictions sociales en nullité de la rupture, s’estimant licencié pour avoir relaté des agissements de harcèlement moral, le débat s’est porté sur l’applicabilité de la protection susvisée, issue de l’article L. 1152-2 du code du travail.

Il s’agissait de déterminer la portée qu’il convenait de donner au mail du salarié. En se plaignant auprès de son employeur du traitement abject, déstabilisant et profondément injuste dont il estimait être victime, devait-il être considéré comme ayant relaté des faits de harcèlement moral ? De la réponse à cette question résultait la possibilité de prononcer la nullité de son licenciement subséquent. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que le grief tiré de la relation des agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n’est pas alléguée, emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement (Soc. 10 mars 2009, n° 07-44.092, Bull. civ. V, n° 66 ; Dalloz actualité, 24 mars 2009, obs. L. Perrin ; ibid. 453, obs. P. Adam ).

Pour les juges du second degré, l’auteur du mail a, par le contenu de son message, visé des agissements de harcèlement moral, même si ces termes ne sont pas formellement employés. La cour d’appel a donc retenu la nullité de la rupture. La Cour de cassation, bien plus stricte, n’est pas de cet avis.

Il ressort en effet de l’arrêt de la chambre sociale, réunie en formation plénière, que le salarié n’a pas qualifié les faits dénoncés d’agissements de harcèlement moral. Dans ces conditions, il ne peut bénéficier de la protection mise en place par l’article L. 1152-2 du code du travail.

La Cour de cassation retient donc une interprétation stricte du texte : celui-ci protégeant le salarié qui a dénoncé des faits de harcèlement moral ne saurait être appliqué si la dénonciation en cause ne retient pas elle-même, expressément, cette qualification.

L’analyse surprend. Elle conduit à restreindre la portée d’un dispositif conçu dans un objectif manifeste de protection de travailleurs en situation de faiblesse face au comportement d’un collègue ou d’un supérieur hiérarchique.

Elle surprend d’autant plus que l’article 12 du code de procédure civile confie au juge le soin de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Dans ces conditions, les juges du fond pouvaient légitimement analyser les termes du mail litigieux et les qualifier comme visant une situation de harcèlement moral. Certes, la Cour de cassation exige que le demandeur sollicite cette qualification (Soc. 30 oct. 2002, n° 00-45.572, Bull. civ. V, n° 332 ; D. 2002. 3124 ; Dr. soc. 2003. 465, note C. Roy-Loustaunau ), mais ne doit-on pas voir une telle demande dans la seule saisine du salarié qui invoquait avoir été licencié pour avoir relaté des agissements de harcèlement moral ? En tout état de cause, les juges du droit ne se sont pas placés sur ce terrain. En outre, ils ne critiquent pas la qualification retenue par la cour d’appel, mais considèrent bien qu’elle était impossible au regard des termes de la dénonciation.

Malgré la position de la Cour de cassation, l’employeur n’échappera pas nécessairement à la nullité de son licenciement. En effet, reste au salarié à se placer sur le terrain de la violation de sa liberté d’expression. La rupture demeure basée sur les propos tenus par le salarié (l’employeur avait d’ailleurs mis en avant, dans notre affaire, un abus de la liberté d’expression de son salarié dans le mail qu’il lui avait adressé).

On sait depuis l’arrêt Clavaud (Soc. 28 avr. 1988, n° 87-41.804, Bull. civ. V, n° 257) que la violation de la liberté d’expression à l’occasion d’un licenciement conduit à la nullité de celui-ci ainsi qu’à la réintégration du salarié. Sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées, en vertu de l’article L. 1121-1 du code du travail (Soc. 28 avr. 2011, n° 10-30.107, Bull. civ. V, n° 96 ; Dalloz actualité, 9 mai 2011, obs. A. Astaix ).

Reste qu’en l’état la position dure de la Cour de cassation a un impact direct sur les dénonciations de faits de harcèlement, non seulement moral mais également sexuel, les dispositions applicables à la dénonciation de ces comportements étant identiques (C. trav., art. L. 1153-3). Il en va de même pour la dénonciation de faits discriminatoires (C. trav., art. L. 1132-3).