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Dépenser mieux, le fardeau des juridictions

Un rapport de janvier 2017 de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de la Justice a fait un état des lieux fourni des dépenses de fonctionnement courant des juridictions françaises.

par Marine Babonneaule 9 mars 2017

« Le poste de dépense le plus controversé au sein des juridictions est l’informatique, qui ne représente que 4 % des dépenses de fonctionnement des juridictions mais qui détermine à la fois fortement leur productivité et leur capacité à dégager – par la dématérialisation – des économies à moyen terme », résume notamment le rapport de l’IGF qui a analysé la situation financière, l’organisation budgétaire et détecter les éventuelles failles de gestion de 45 juridictions. Les inspecteurs ont passé au crible les dépenses relatives au mobilier de bureau, à la documentation, à l’équipement informatique ou encore les fournitures. Le constat n’est pas accablant mais la justice dépense parfois trop et mal, faute de rationalisation efficace au niveau notamment de l’administration centrale. C’est le cas de l’affranchissement, qui pèse à lui seul 20 % des dépenses des juridictions, ou encore des dépenses liées au poste de travail trop faibles alors que de nouvelles recrues arrivent dans les tribunaux. En revanche, les économies faites sur l’accès à la documentation ou au remplacement du mobilier n’ont eu qu’un impact financier limité. Or, comme le rappelle l’IGF, toutes ces dépenses « ont un caractère déterminant pour le quotidien des magistrats, fonctionnaires, professions de la justice et justiciables au quotidien ».

Le fonctionnement courant des juridictions représente 4 % de la mission Justice, soit 354 millions d’euros (projet de loi de finances 2017). Les crédits, après une baisse et une stagnation jusqu’en 2015, ont « bénéficié d’une progression dynamique en 2016 (+ 17 millions d’euros) puis en projet de loi de finances 2017 (+ 36 millions d’euros) ». Et pourtant. « Les cours d’appel rencontrées par la mission ont toutes dénoncé l’insuffisance des crédits disponibles en début d’année et le caractère erratique du processus de la dépense en fin d’année, pour répondre aux dégels et dotations complémentaires qui s’opèrent au dernier trimestre. Ce phénomène renforce leur ressenti sur le caractère contraint du budget, alors même que les crédits progressent en loi de finances », pointe la mission.

Un facteur qui pourrait expliquer cela : le poids des charges1. Ces dernières, malgré une situation hétérogène, restent lourdes pour les juridictions et plus particulièrement les cours d’appel chargées des « budgets opérationnels de programmes » (BOP). Les charges ont été multipliées par cinq depuis 2010, pour atteindre 42 millions d’euros en 2015. Les intérêts moratoires suivent la même dynamique du fait des délais de paiement prolongés (0,6 million d’euros en 2015 contre 0,1 million d’euros, hors BOP immobiliers) […] Ainsi en 2015, les budgets totaux (crédits disponibles en fin de gestion) étaient amputés de plus de 15 % de leur montant pour sept BOP (Sud-Ouest, Grand Ouest, Grand Est, Papeete, Cayenne et Basse-Terre) du fait des charges à payer ». La mission reconnaît néanmoins que les dix BOP que compte le territoire ont tous fait des « démarches de rationalisation » de la dépense2

Informatique et dématérialisation, « levier majeur d’économies »

Justice du 21e siècle. Le constat des inspecteurs des finances est sans équivoque : la justice pâtit d’un sévère manque de pilotage dans ce qui devrait être l’une des priorités du ministère, alias la dématérialisation. Celle-ci présente « un potentiel d’économie important ». Une évidence. Or « les dépenses relatives à l’informatique, imputables sur le fonctionnement courant des juridictions (achat de matériel et de logiciels, consommables informatique, maintenance, prestations de service type location) représentent 4 % de la dépense globale de fonctionnement courant en 2015, soit 12,2 millions d’euros ». Ce n’est pas beaucoup mais pis, cette dépense augmente à des postes qui n’engendrent aucune efficacité à long terme. Que dit l’Inspection ? « Des grands projets comme la signature électronique et la dématérialisation ne sont pas suffisamment portés alors que, très attendus des acteurs, ils constituent des leviers d’économie et un champ fondamental de modernisation. À titre d’illustration, la mission n’a pas réussi, en trois mois, à identifier le pilote du projet de déploiement de la signature électronique, ni à connaître les prochaines étapes du projet, alors même que les juridictions sont déjà équipées des cartes nécessaires à son déploiement depuis près d’un an et qu’elles attendent ce projet avec impatience compte tenu des économies potentielles qu’il pourrait générer ». Quant au grand projet de portail d’accès au justiciable Portalis, le calendrier « de déploiement très étalé dans le temps » est incompréhensible pour les juridictions. 

Et lorsque les juridictions prennent des initiatives « intéressantes », le ministère ne suit pas. « Les juridictions sont freinées dans leur volonté d’innovation […] Ces initiatives […] sont insuffisamment ou tardivement accompagnées, quelques fois freinées par l’administration centrale, ce qui n’incite pas les juridictions à les y associer ». Pointés du doigt, les trop nombreux acteurs du ministère : le secrétariat général, les départements informatiques interrégionaux (DIT) la direction des services judiciaires (DSJ), les responsables informatiques régionaux et les correspondants locaux informatiques (CLI) en juridiction.

L’absence de pilotage est patente également dans le développement de la numérisation – communication, transmission et stockage de données – qui permettrait « la réduction des dépenses de fournitures, notamment pour les consommables informatiques » (alors qu’en parallèle le budget pour ces postes diminue). Malgré les réformes votées en 2015, la démarche « demeure freinée par des pesanteurs techniques : l’absence de finalisation dans les juridictions de la signature électronique et l’inadaptation du parc des applicatifs aux exigences de la gestion électronique des procédures ».

Faut-il insister sur les problèmes liés à la maintenance informatique ? Le rapport raconte la dantesque implantation des imprimantes en réseau. « Deux obstacles ont fortement compromis le déploiement de la mutualisation des imprimantes : le marché interministériel SOLIMP II a été presque partout mal exécuté et les DIT [départements informatiques, ndlr] n’ont pas répondu dans des délais efficaces pour régler les difficultés d’installation et de mise en réseau des imprimantes. La gestion défaillante des questions informatiques par les plateformes conduit les juridictions à percevoir très négativement ces services du secrétariat général ».

Les rois du timbre

Envois de recommandés obligatoires, de convocations ou même de décisions judiciaires… le papier a encore un bel avenir au sein des juridictions françaises. Et le timbre qui va avec. Selon le rapport de l’Inspection générale des finances, les dépenses d’affranchissement (qui étaient jusqu’en 2012 imputées sur les crédits des frais de justice) atteignent en 2015 presque 60 millions d’euros. Si elles ont augmenté depuis 2014, c’est essentiellement, note le rapport, en raison de la progression du coût moyen du pli de près de 9 %.

Quoiqu’il en soit, la dépense reste trop importante. La Direction des services judiciaires a appelé à la rationalisation des modes d’affranchissement : « principe de l’envoie en éco pli et suppression de la lettre prioritaire, limitation des envois en recommandés aux cas prévus par la loi, mutualisation du parc des machines à affranchir ». À Douai, Lille et Paris, les juridictions ont opté « pour un traitement du courrier en mode industriel ». Du côté de Reims, la dématérialisation et l’externalisation des « courriers simples » sont expérimentées depuis octobre 2016, avec des économies estimées à 27 % du coût actuel. La mission mise également sur la mise en place du portail Portalis qui permettra d’informer le justiciable par SMS ou mail. « Courant 2017 », dit le rapport. 

Mais il n’y aura pas d’amélioration globale si certains « freins » ne sont pas levés. Notamment procéduraux. Là encore, les rapporteurs sont précis. « En matière civile comme en matière pénale, les avis et convocations qui peuvent être envoyés par transmission électronique ne doivent en aucun cas comporter d’informations personnelles sur l’affaire en cours ». Et de un. « Le consentement de la personne est un préalable mais les applicatifs métiers restent inadaptés aux envois dématérialisés en ce qui concerne les mentions de recueil du consentement ». Et de deux. « La fiabilité de l’identification de la personne, la sécurité et la confidentialité des échanges et la conservation des transmissions, conditions pourtant prévues dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, ne sont en l’état pas garanties ». Et de trois. « Enfin, l’envoi en recommandé reste imposé par de nombreux textes, y compris récents, conduisant le volume de ce type de courrier à progresser depuis 2012 ». Il y a également « les freins » techniques, comme l’absence de signature électronique. L’IGF préconise donc notamment « de penser la procédure à l’aune des nouveaux outils de télécommunications au lieu de s’efforcer de plaquer des outils sur des procédures existantes » ou de faire évoluer la technologie judiciaire.

 

Lire le rapport intégral, ses propositions et ses annexes sont à lire ici

 

1 Quatre postes représentent 62,7 % des charges à payer, pour 48,8 % des dépenses exécutées en 2015 : affranchissement, fluides, nettoyage et gardiennage.
2 Si les dotations restent les mêmes qu’aujourd’hui, les charges pourraient être apurées dès 2019, facilitant ainsi de nouveaux projets.