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Dissimulation de cadavre et prescription de l’action publique

La dissimulation d’un cadavre ne constitue pas un obstacle insurmontable à l’exercice de poursuites pouvant justifier une suspension de la prescription de l’action publique.

par Victoria Morgantele 11 janvier 2018

Le point de départ de la prescription de l’action publique est un des points clés de la procédure pénale suscitant encore aujourd’hui, une jurisprudence fournie et de nombreuses réformes législatives. Deux conceptions s’affrontent inéluctablement : le mis en cause qui argue de l’exception de prescription en prenant en compte comme point de départ, le jour de la commission des faits et le ministère public qui souhaite le retarder dans le dessein d’une plus grande répression. Ces deux conceptions se heurtent cependant à une plus grande question, celle de la dissimulation du fait criminel.

En l’espèce, à la suite de la dénonciation d’un crime en date du 15 mars 2015 par la compagne de l’un des trois mis en cause, une information était ouverte le 21 octobre 2015 contre le père et son fils des chefs de meurtre et complicité de meurtre, et contre le second fils du chef de recel de cadavre entre le 9 décembre 2001 et le 16 juin 2016. Le cadavre avait été dissimulé puis enterré dans un sous-sol par les trois intéressés. Les mis en examen des chefs de meurtre et complicité de meurtre avaient finalement déplacé, seuls, le cadavre pour l’enterrer en forêt en 2010. Le corps était découvert le 21 juin 2016.

Par requête déposée devant la chambre de l’instruction, l’acquisition de la prescription décennale du crime a été soutenue par les intéressés, et celle de la prescription triennale du délit était soulevée par le second frère, à compter du déplacement du cadavre effectué, sans qu’il ne le sache, par son père et son frère. Sur ce second point, la chambre criminelle fait valoir afin de très justement écarter le moyen, que le délai de prescription ne court qu’à compter du jour où la dissimulation a cessé, peu importe que le corps ait été déplacé ultérieurement à l’insu du demandeur, d’autant qu’il n’a pas agi pour faire cesser l’infraction.

Nous nous attacherons plus particulièrement au pourvoi formé par le père poursuivi du chef de meurtre. Pour retarder le point de départ au jour de la découverte du corps, la chambre de l’instruction énonce que « le simple signalement de la famille pour “ fugue, disparition de personne” ne pouvait en lui-même laisser supposer l’existence d’un crime, les signalements de cette nature étant assez courants, celui-ci n’étant pas accompagné en l’espèce d’éléments pouvant y faire penser et ce d’autant que la personne était susceptible d’avoir disparu à l’étranger pour des raisons liées à sa toxicomanie et n’avait pas de situation stable » et rajoute que « le ministère public n’était pas à même d’exercer l’action publique faute d’éléments ou d’indices ».

C’est au visa de l’article 7 du code de procédure pénale, dans sa version antérieure à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, que la chambre criminelle rappelle que l’action publique se prescrit par dix années révolues, en matière criminelle, à compter du jour où le fait a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite, seul un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites pouvant entraîner la suspension du délai de prescription de l’action publique. Autrement dit, la dissimulation du corps n’est pas pour la Cour, un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites pouvant justifier la suspension de la prescription de l’action publique.

Cette jurisprudence nous renvoie quelques années en arrière s’agissant de la célèbre affaire des huit meurtres de nouveau-nés commis par leur mère venant d’accoucher, en l’espace de 18 ans. La chambre criminelle avait dans un premier temps indiqué que le secret et l’absence d’indices apparents ne constituaient pas un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, de nature à reporter le point de départ de la prescription (Crim. 16 oct. 2013, n° 13-85.232 et n° 11-89.002, Dalloz actualité, 31 oct. 2013, obs. M. Bombled , note Y. Mayaud ; ibid. 2014. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 30 , note J. Pradel ; RSC 2013. 803, chron. Y. Mayaud ; ibid. 933, obs. X. Salvat ). Dans un second temps, la Cour de cassation en son assemblée plénière opérait un revirement et énonçait un nouveau principe, celui de la suspension de la prescription en matière criminelle en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites (Cass., ass. plén., 7 nov. 2014, n° 14-83.739, Dalloz actualité, 21 nov. 2014, obs. C. Fonteix , note R. Parizot ; ibid. 2469, point de vue L. Saenko ; ibid. 2015. 1738, obs. J. Pradel ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ pénal 2015. 36, note A. Darsonville ; RSC 2014. 777, obs. Y. Mayaud ;ibid. 2015. 121, obs. A. Giudicelli et plus particulièrement, D. Boccon-Gibod, Prescription : en matière criminelle, la prescription de l’action publique est suspendue lorsqu’un obstacle insurmontable empêche l’exercice de cette dernière, RSC 2014. 803 ).

L’arrêt du 13 décembre 2017 vient préciser ce principe, à l’instar de deux arrêts plus anciens (Crim. 17 sept. 2006 ; 20 juill. 2011, n° 11-83.086) : le point de départ de la prescription de l’action publique ne devait pas être reporté à la date à laquelle le ministère public avait eu connaissance de la découverte du cadavre d’une personne dont la disparition avait été signalée plus de dix ans auparavant. La différence est donc notable avec la célèbre affaire des huit homicides.

Si pour la première affaire, personne n’était informé de l’état de grossesse et de l’accouchement et que les huit homicides n’étaient aucunement portés à la connaissance du ministère public, pour notre arrêt d’espèce, comme pour les deux arrêts plus anciens, la disparition de la victime avait bien été signalée. En l’espèce, une plainte avait été déposée en 2005 suivie de l’instruction pour enquête du parquet enregistrée le 27 février 2008. Le signalement pour disparition ou fugue, par un proche de la victime semble ainsi effacer le caractère dissimulé de l’infraction.

La chambre criminelle refuse dès lors de fixer le point de départ de la prescription à la découverte du corps. Si sur le plan moral, cette solution n’est pas concevable, au niveau juridique la solution semble cohérente : un signalement étant préalablement porté à la connaissance des autorités en charge de l’enquête, le ministère public avait des possibilités de mettre en œuvre des actes de poursuite. La Cour semble vouloir sanctionner l’inertie et la négligence des autorités en charge de l’enquête et des poursuites. Si les termes « d’obstacle insurmontable » font plutôt penser à la force majeure, il n’en demeure pas moins que la chambre de l’instruction a démontré des circonstances de fait caractérisant une impossibilité absolue d’exercice de l’action publique : toxicomanie de la victime, départ à l’étranger, absence de stabilité de vie. La Cour paraît strictement limiter et restreindre l’appréciation souveraine de la chambre de l’instruction sur cette question sensible.

La dissimulation d’un cadavre n’est pas un « obstacle insurmontable » à l’action publique. Il semblerait par conséquent que les criminels aient carte blanche pour s’adonner à volonté aux crimes les plus abjects,  le signalement d’une disparition de la victime suffisant à faire courir le délai de prescription. Il faut bien reconnaître que cette réponse conforme à la lettre de la loi, est justifiée dans notre cas d’espèce : des actes d’enquête ayant été réalisés et le dossier contenant les pièces ayant été perdu, la chambre de l’instruction ne pouvait pas dans le même temps avancer que l’enquête avait bien commencé et par conséquent que l’action publique n’était pas éteinte, tout en expliquant que le ministère public n’avait pas la possibilité de supposer l’existence de ce crime en raison de la dissimulation du corps. La Cour a valablement sanctionné le raisonnement incohérent de la chambre et a fortiori, la maladresse des autorités.

Le dessein de tout crime, cependant, n’est-il pas d’être dissimulé afin d’obtenir l’impunité ? À l’heure où les criminels usent de toutes techniques pour éviter tout moyen d’identifier tant la victime que les auteurs eux-mêmes, la tendance est à la sanction des autorités chargées d’enquête et de poursuite et à l’indulgence juridique des auteurs d’infractions contre les personnes que ne connaissent pas les auteurs d’infractions contre les biens. Suffirait-il alors pour l’auteur de l’infraction de signaler lui-même la disparition de sa victime, pour y voir une sortie de secours accélérée ? En somme, cet arrêt qui vient sanctionner l’inertie des autorités n’est pas novateur. Reste à voir si la récente loi précédemment citée viendra mettre un terme à l’indulgence jurisprudentielle dont les auteurs d’infractions corporelles bénéficient, et à l’instabilité qui demeure sur la question de la prescription de l’action publique.