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Droit d’asile : les tribunaux administratifs allemands en surchauffe

Organisations professionnelles et magistrats tirent depuis plusieurs mois la sonnette d’alarme face à une année 2017 qui s’annonce compliquée à gérer, tant les contentieux s’accumulent.

par Gilles Bouvaistle 29 septembre 2017

« La boutique menace de craquer de toute part ! », lance Robert Seegmüller, président de l’Association des juges administratifs allemands, qui évoque « une situation dramatique, il n’y a pas d’autre mot ». Contrecoup de l’entrée sur le territoire allemand de plus d’un million de demandeurs d’asile, les tribunaux administratifs croulent en effet aujourd’hui sous le poids des contentieux liés aux demandeurs déboutés ou contestant le statut qui leur a été accordé.

Les chiffres sont éloquents : « Le nombre des procédures liées au droit d’asile a bondi, de 20 000 en 2010 à 50 000 en 2015, égrène Robert Seegmüller, qui occupe par ailleurs le poste de juge au tribunal administratif de Leipzig. Depuis, cela a encore empiré, puisque leur chiffre a atteint 100 000 en 2016. Nous tablons sur environ 200 000 procédures cette année ». Sans compter que, dans le même temps, le nombre global de procédures examinés pourrait lui gonfler jusqu’à 300 000.

Stefanie Seifert, juge au tribunal administratif de Cologne, dont elle est également la porte-parole, confirme : « Les procédures liées au droit d’asile représentent désormais une part considérable de notre travail. En 2015, sur environ 11 800 nouvelles procédures, 3 500 concernaient des demandes d’asile, contre 8 350 sur 16 000 en 2016. De janvier à août 2017, plus de 10 500 nouvelles procédures autour de demandes d’asile ont déjà été lancées ».

Les tribunaux administratifs se trouvent dans une situation comparable à celle de l’Office fédéral pour les migrations et les réfugiés [Bundesamt für Migration und Flüchtlinge], l’administration chargée d’examiner les demandes d’asile, en 2015. La décision de la chancelière Angela Merkel de suspendre l’application du règlement Dublin III (permettant d’expulser un demandeur d’asile vers le pays par lequel il est entré dans l’Union européenne) avait marqué un tournant dans la crise migratoire européenne, et l’arrivée massive de migrants, pour la plupart en provenance de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan. Dépassé par l’ampleur du phénomène, l’Office fédéral avait alors mis de longs mois à reprendre la situation en main. Aujourd’hui, l’institution semble avoir rétabli un contrôle relatif du traitement des dossiers.

« Cette hausse s’explique en première ligne par une augmentation du nombre de procédures en amont, estime Stefanie Seifert. Du côté de l’Office fédéral, un nombre croissant de procédures reçoivent une réponse négative, ce qui augmente mécaniquement le nombre de procédures de notre côté. » L’Office fédéral des migrations a fait évoluer sa pratique décisionnelle, conformément à une loi promulguée en mars 2016, dans le sens d’un durcissement croissant des conditions d’obtention du statut de réfugié, en particulier à l’égard des ressortissants syriens. Ces derniers « ne reçoivent plus que la protection subsidiaire », poursuit Stefanie Seifert. « En règle générale, leur objectif reste d’obtenir de la reconnaissance du statut de réfugié. » La protection subsidiaire gèle notamment tout regroupement familial jusqu’à mars 2018, poussant nombre de demandeurs à faire appel.

Face à cette surcharge de travail, les réactions des juridictions – dépendantes, dans le contexte fédéral allemand, du budget pour la justice de l’État-région – varient fortement, certains « grands » Länder, comme la Bavière ou le Bade-Württemberg, consentent à davantage d’efforts financiers, tandis que d’autres, moins bien lotis, comme le Brandebourg, traînent la patte. Ce qui implique néanmoins, même en Rhénanie-du-Nord-Westphalie – le Land allemand le plus peuplé – de bricoler avec les moyens du bord : « Nous avons pu augmenter le nombre de magistrats, de 76 l’an dernier pour atteindre 80 cette année », détaille Stefanie Seifert. « Il ne s’agit pas seulement d’embauches, mais également de magistrats d’autres juridictions, civiles ou sociales par exemple, qui nous ont été délégués pour une période déterminée. Mais le tribunal a également reçu des subventions pour recruter des renforts : 6 employés sont venus soutenir le personnel administratif. » Sans compter d’anciens salariés récemment pensionnés venus prêter main-forte.

Que faire pour relever à plus long terme ce défi ? « En tant qu’organisation professionnelle, nous constatons que la possibilité pour un tribunal administratif de rendre rapidement sur le fond une décision d’envergure fédérale, à des questions factuelles ou juridiques qui ne cessent de se répéter, est insuffisante », martèle Robert Seegmüller. L’idée d’un appel passant directement au tribunal administratif fédéral sans transiter en appel par les tribunaux administratifs, ce qui permettrait de trancher clairement ces questions, fait son chemin mais n’a pour autant pas encore été adoptée : « À travers celle-ci, une jurisprudence unifiée pourrait rapidement voir le jour, souligne Stefanie Seifert. Le préalable serait néanmoins un changement de la loi relative au droit d’asile ».