Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Les enseignements du dernier rapport de suivi de la détention provisoire

Le 20 juin 2018, la Commission de suivi de la détention provisoire a rendu son rapport. Elle dresse ainsi un bilan de la situation carcérale et soulève des réflexions autour des mesures alternatives à l’emprisonnement et du dispositif de visioconférence.

par Pauline Dufourqle 2 juillet 2018

Créée par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, la Commission de suivi de la détention provisoire (« la Commission ») intervient comme une instance de débats et d’analyse autour de la détention provisoire. Elle dresse régulièrement des rapports offrant un panorama autour de cette question.

Bilan autour de la détention provisoire

Dans son dernier rapport, la Commission de suivi de la détention provisoire relève une forte croissance du nombre de détenus prévenus, qui s’élève à 9 % entre janvier 2016 et janvier 2018.

Il est à noter qu’entre le 1er janvier 2015 et le 1er janvier 2017, l’augmentation du nombre de prévenus est de 17,8 %, soit 2 949. Elle se décompose de la sorte : 1 549 prévenus en instruction en cours ou terminée, soit 52,5 % de l’augmentation totale, 903 en comparution immédiate ou en appel après un premier jugement en comparution immédiate (soit 30,6 %), 497 en appel ou pourvoi (soit 16,9 %). Le rapport spécifie à cet égard que « les durées de procédure et délais d’audiencement croissants sont la raison principale de la variation totale ».

Parallèlement, les cas de détention d’une durée supérieure à deux ans avant la condamnation définitive font l’objet d’une augmentation significative entre 2012 et 2016, tant en matière criminelle que délictuelle. En ce qui concerne les facteurs pesant sur l’augmentation des durées de détention provisoire, le rapport note que l’obscurité est devenue complète sur la pratique de remise en liberté avant jugement et que « le recours plus intensif aux comparutions immédiates est probablement responsable d’une bonne partie de l’augmentation du nombre d’entrées en prison avec le statut de prévenu ». Étant précisé qu’il s’agit en principe de détentions provisoires de courte durée.

La nécessité de développer des mesures alternatives à l’emprisonnement

Le rapport soulève de façon pertinente la question des obstacles auxquels se heurte l’objectif poursuivi par le législateur de faire de l’emprisonnement la mesure de dernier recours qu’il s’agisse de procédure avant jugement ou du prononcé d’une peine en matière correctionnelle.

La Commission souligne que le législateur a doté l’institution judiciaire de moyens juridiques à l’instar de la contrainte pénale pour limiter le recours à l’emprisonnement. Pour autant, l’étude du rapport permet de constater que les juges ne se sont pas appropriés ce dispositif eu égard le faible nombre de mesures de cette nature qui ont été ordonnées.

Parallèlement, la chambre criminelle dans plusieurs arrêts du 29 novembre 2016 a rappelé les principes énoncés à l’article 132-19 du code pénal lequel prévoit que la peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée que si toute autre sanction est manifestement inadéquate (Crim. 29 nov. 2016, n° 15-86.712, Dalloz actualité, 12 déc. 2016, obs. S. Fucini ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 96 ), en outre, la peine d’emprisonnement sans sursis doit, en principe, faire l’objet d’un aménagement, les juges ne peuvent l’écarter que par une motivation spéciale (Crim. 29 nov. 2018, nos 15-83.108 et 15-86.116, réf. préc.).

La Commission manifeste également son inquiétude s’agissant du mode de gestion du parc pénitentiaire qui « met les établissements pour peine à l’écart des conséquences de la suroccupation et qui place les détenus provisoires en première ligne pour en subir les effets négatifs ». Sur ce point, il convient de noter qu’au « 1er janvier 2018, le taux d’occupation des maisons d’arrêt et quartiers maison d’arrêt (hors places mineurs) était de 139 % alors qu’il était inférieur à 90 % pour les autres types d’établissement. Le nombre de détenus hébergés dans une structure suroccupée à plus de 150 % reste élevé (18 901 au 1er janvier 2018) même s’il a diminué (2 397 au 1er janvier 2018) par suite d’augmentation des capacités opérationnelles ».

Elle constate enfin que le développement des alternatives à l’emprisonnement et tout particulièrement l’assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique, qui s’inscrit dans la démarche de lutte contre la surpopulation carcérale, rencontre des difficultés tenant notamment à un manque important d’effectifs et de moyens matériels.

Réflexion sur le dispositif de vidéoconférence

La Commission se penche dans son rapport sur le développement au sein des juridictions du dispositif de vidéosurveillance lequel vient pallier certains problèmes structurels de transfèrement des prévenus détenus à l’audience.

Sur ce point, elle exprime fermement son inquiétude qu’une nouvelle phase d’extension de la visioconférence soit envisagée alors qu’il n’a pas été apporté d’éléments objectifs sur le point de savoir comment les pratiques judiciaires en sont transformées quantitativement et surtout qualitativement.

À ce titre, il convient d’être attentif à ce que le développement de ce dispositif ne porte pas atteinte aux droits et libertés de la personne détenue. Il apparaît ainsi indispensable que la confidentialité des échanges entre un avocat et son client soit garantie conformément aux prévisions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

De l’avis de la Commission, le recours à la visioconférence participe de l’exercice de l’office du juge, qui doit pouvoir apprécier, pour une affaire déterminée, si la qualité de l’audience en serait affectée ou non. Elle s’étonne, après la recommandation émise par les auteurs du rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure pénale (« chantier de la justice n° 2 ») de maintenir la situation juridique actuelle de la visioconférence, que l’on puisse en proposer l’extension à la première comparution des personnes mises en examen, qui s’étendrait alors au débat contradictoire sur leur éventuel placement en détention, ou supprimer complètement leur possibilité de s’y opposer pour les cas où elle est prévue.

Parallèlement, elle ajoute qu’« aucune extension de ce moyen prétendument technique à d’autres contentieux, notamment en matière de détention provisoire, ne devrait être entreprise sans une évaluation préalable et sérieuse, par les services du ministère de la justice, de la qualité de l’audience là où ce mode de comparution personnelle de la personne poursuivie est désormais couramment pratiqué ».

La Commission précise enfin qu’une telle évaluation ne pourrait être cantonnée aux aspects techniques et organisationnels et gagnerait à s’appuyer sur un nouveau travail de recherche scientifique commandé par le ministère et qui prendrait en compte, outre l’avis des praticiens, le témoignage de personnes poursuivies dont la comparution personnelle, dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, a été réalisée sous cette forme.

Les perspectives ou la nécessité de lutter contre le phénomène de surpopulation carcérale

Au fil de son rapport, la Commission met en exergue au moyen de données statistiques l’existence d’une surpopulation carcérale, particulièrement criante au sein des maisons d’arrêt, établissement dont la vocation première était d’accueillir les personnes détenues à titre provisoire. C’est dans ce contexte que la Commission plaide pour que la question de la surpopulation carcérale soit placée au centre des préoccupations de tous les acteurs de la politique pénale.

À cet égard, il est utile de noter que le rapport du chantier « sens et efficacité de la peine » a mis en préliminaire de ses propositions la nécessité de réduire le recours à la détention provisoire et d’en diminuer la durée.

Il appartient désormais aux différents acteurs de se saisir de cette question en veillant à ce que le placement en détention soit l’exception en préférant des mesures alternatives à l’emprisonnement.