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Exercice d’un recours contre l’audition d’un témoin sous anonymat

Le recueil d’un témoignage anonyme se conteste uniquement dans les conditions prévues par l’article 706-60 du code de procédure pénale et non dans le cadre d’une demande en annulation présentée en application de l’article 173 du même code.

par Hugues Diazle 17 janvier 2018

Au cours d’une information judiciaire portant sur des faits de traite d’être humain et proxénétisme aggravé, un témoin était entendu anonymement dans les conditions prévues par l’article 706-58 du code de procédure pénale.

Outre la possibilité de rendre anonyme en procédure l’adresse de son domicile (C. pr. pén., 706-57), il est également permis, en cas de crime ou de délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement, d’entendre anonymement un témoin, lorsque sa déposition est susceptible de mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique, celle des membres de sa famille ou de ses proches (C. pr. pén., 706-58, al. 1). Pour ce faire, le magistrat instructeur doit saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) par requête motivée : en cas d’autorisation, la décision rendue, qui doit également être motivée, est jointe au procès-verbal d’audition. L’identité et l’adresse du témoin sont alors consignées dans un dossier distinct de celui de la procédure (C. pr. pén., art. 706-58, al. 2). Une telle méthode interroge légitimement puisqu’elle prive « la personne poursuivie d’éléments d’information, qui peuvent se révéler essentiel pour discuter le témoignage » (v. not. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 4e éd., Economica, n° 2478). Aussi, certaines garanties procédurales ont été mises en place par le législateur : d’une part, ce procédé est exclu si, au regard des circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise ou de la personnalité du témoin, la connaissance de l’identité est indispensable à l’exercice des droits de la défense (C. pr. pén., art. 706-60, al. 1), d’autre part, un tel témoignage ne peut être retenu comme seul fondement d’une décision de condamnation (C. pr. pén., art. 706-62). En outre, la personne poursuivie peut demander à être confrontée avec le témoin par l’intermédiaire d’un dispositif technique d’anonymisation permettant son audition à distance (C. pr. pén., art. 706-61).

Ces dispositions ne sont pas nécessairement incompatibles avec le droit pour la personne poursuivie d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et à décharge (Conv. EDH, art. 6) : en effet, selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), si la personne poursuivie doit avoir une possibilité réelle de contester les allégations dont elle fait l’objet (CEDH 15 déc. 2011, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, req. nos 26766/05 et 22228/06, Dalloz actualité, 6 janv. 2012, obs. O. Bachelet , note J.-F. Renucci ; RSC 2012. 245, obs. D. Roets ), § 127), les intérêts de sa défense doivent néanmoins être mis en balance avec ceux des témoins ou des victimes appelés à déposer (CEDH 26 mars 1993, Doorson c. Pays-Bas, req. n° 20524/92, § 70, D. 1997. 207 , obs. J.-F. Renucci ; RSC 1997. 484, obs. R. Koering-Joulin ; 23 avr. 1997, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, req. nos 21363/93, 21364/93, 21427/93 et 22056/93, § 53, D. 1997. 359, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 1998. 174, obs. J. Pradel ; RSC 1998. 396, obs. R. Koering-Joulin ). Les témoignages anonymes sont alors parfaitement admissibles à condition que les autorités nationales avancent des raisons pertinentes et suffisantes pour en justifier, et, plus généralement, que la procédure compense suffisamment les obstacles auxquels pourrait se heurter la défense (CEDH 26 mars 1993, req. n° 20524/92, préc., § 72 ; 23 avr. 1997, nos 21363/93 s., préc., § 54).

Au cas de l’espèce, le demandeur au pourvoi avait sollicité une confrontation avec le témoin anonyme : cette demande avait été successivement rejetée par ordonnance du magistrat instructeur, puis par ordonnance du président de la chambre de l’instruction saisi sur appel. Sur le fondement de l’article 173 du code de procédure pénale, le demandeur sollicitait ultérieurement la nullité des procès-verbaux d’audition anonyme en raison de l’impossibilité matérielle à être confronté avec le témoin : la chambre de l’instruction rejetait toutefois cette requête après avoir constaté l’absence de toute irrégularité de forme, de toute irrégularité de fond, ainsi que de toute atteinte démontrée aux intérêts du demandeur. Suivant examen immédiat de son pourvoi, le demandeur reformulait le grief devant la Cour de cassation qui l’écartait selon les motifs suivants : « attendu que le recours à la procédure de recueil d’un témoignage anonyme ne peut être contestée que dans les conditions prévues par l’article 706-60 du code de procédure pénale, les dispositions de l’article 173, relatives à l’annulation des pièces d’une procédure d’instruction, étant inapplicables ; que les prescriptions de l’article 706-60 précité n’ayant pas, en l’espèce, été observées, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que la chambre de l’instruction ait rejeté sa requête en annulation des procès-verbaux d’audition du témoin anonyme, dès lors que les juges auraient dû la déclarer irrecevable ».

Une telle solution, déjà affirmée par la Cour de cassation (Crim. 15 févr. 2006, n° 05-87.002, D. 2006. 949 ), résulte directement de l’article 706-58 du code de procédure pénale qui précise effectivement que la décision du JLD n’est susceptible de recours que dans les conditions fixées par le deuxième alinéa de l’article 706-60, à savoir que « la personne mise en examen peut, dans les dix jours à compter de la date à laquelle il lui a été donné connaissance du contenu d’une audition réalisée dans les conditions de l’article 706-58, contester, devant le président de la chambre de l’instruction, le recours à la procédure prévue par cet article. Le président de la chambre de l’instruction statue par décision motivée qui n’est pas susceptible de recours au vu des pièces de la procédure et de celles figurant dans le dossier mentionné au deuxième alinéa de l’article 706-58 […] ».

Si la décision de la Cour était donc prévisible, le pourvoi du demandeur pouvait aussi raisonnablement s’expliquer. En effet, le refus du magistrat instructeur d’ordonner la confrontation, en raison de « l’absence de moyens techniques suffisants », apparaît pour le moins discutable. D’ailleurs, le demandeur l’avait précisément contesté devant le président de la chambre de l’instruction, lequel avait toutefois considéré ces motifs comme « pertinents, exacts et suffisants ». Or, selon l’article 706-60 susvisé, aucun recours n’est a priori possible contre l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction. Aussi, le contentieux de la nullité a permis au demandeur de chercher à soumettre ses griefs à l’appréciation de la Cour de cassation : cet artifice procédural ne pouvait toutefois pas emporter la conviction de la chambre criminelle dans la mesure où « les raisons invoquées au soutien d’une contestation fondée sur les dispositions de l’article 706-60, alinéa 2, du code de procédure pénale ne peuvent être à nouveau présentées devant la chambre de l’instruction, saisie, sur le fondement de l’article 173 du même code, d’une requête en nullité du procès-verbal d’audition » (Crim. 12 juill. 2006, n° 06-82.931, D. 2006. 2348 ; AJ pénal 2006. 511, obs. G. Royer ). Précisons en dernière analyse que la haute juridiction – saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité, précisément relative à l’absence de recours contre l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction, qu’elle avait d’ailleurs refusé de transmettre (Crim. 8 juil. 2015, n° 15-82.383, Dalloz actualité, 17 sept. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2015. 554, obs. D. Brach-Thiel ) – a en revanche déjà pu préciser qu’une telle ordonnance « peut toujours faire l’objet d’un pourvoi pour excès de pouvoir » (v. égal. Crim. 21 mars 2007, n° 07-80.363, AJ pénal 2007. 288 ; RSC 2007. 842, obs. R. Finielz ).

Force est de constater que les différents recours entrepris par le demandeur n’ont pas jusqu’ici abouti favorablement : néanmoins, la confrontation pouvant également être demandée « devant la juridiction de jugement » (C. pr. pén., art. 706-61), il pourra par hypothèse envisager d’y renouveler sa demande le moment venu.

Dans un moyen distinct de cassation, le demandeur constatait que les réquisitions écrites du parquet général étaient reproduites ad litteram par l’arrêt de la chambre de l’instruction (sous réserve de quelques modifications de pure forme), ce qui, selon lui, faisait peser, au visa de l’article 6 de la Convention européenne, un « doute légitime sur l’impartialité de la juridiction ». Néanmoins, pour la Cour de cassation, « ni le texte conventionnel invoqué ni aucune disposition de la loi ne font obstacle à ce que la chambre de l’instruction, après avoir exposé les faits et la requête en annulation, reprenne les motifs contenus dans les réquisitions du parquet général pour conforter en droit et en fait le rejet de la requête, dès lors qu’elle a répondu aux moyens soutenus dans sa requête par le demandeur, excluant par là même tout défaut d’impartialité » : le moyen était donc rejeté.

La décision de la Cour fait ici nécessairement écho au contentieux du règlement de l’information judiciaire et à la pratique consistant à reproduire dans les motifs de l’ordonnance de renvoi le texte du réquisitoire définitif. En effet, la Cour de cassation considère qu’un tel procédé n’est pas nécessairement irrégulier dès lors que le magistrat se prononce sur l’ensemble des éléments à charge et à décharge, et, qu’il répond aux articulations essentielles des observations produites par la personne poursuivie (Crim. 12 sept. 2012, n° 11-87.281, Dalloz actualité, 23 oct. 2012, obs. O. Martineau isset(node/155048) ? node/155048 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>155048). Au cas de l’espèce, l’approche adoptée semble similaire puisque, pour la Cour il importe avant toute chose que la chambre de l’instruction ait répondu aux moyens soulevés par le demandeur, nonobstant la reproduction des « motifs contenus dans les réquisitions du parquet général pour conforter en droit et en fait [sa décision] ».