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Loi Dupond-Moretti : le secret de l’avocat au cœur des débats

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire renforce le secret de l’avocat, notamment en matière de défense pénale. À l’Assemblée, les députés avaient étendu ce secret aux activités de conseil. Cet été, magistrats, enquêteurs et services fiscaux sont montés au front. Tout en validant le principe, les sénateurs souhaitent exclure certains délits économiques et financiers.

par Pierre Januelle 27 septembre 2021

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire sera débattu à partir de ce mardi au Sénat. Le texte initial introduisait de nouvelles garanties pour les avocats, en matière de perquisitions, d’interceptions judiciaires et d’accès aux fadettes et consacrait un « secret de la défense pénale ». À l’Assemblée, les députés ont décidé d’aller plus loin : ils ont étendu ce secret aux activités de conseil. Cet amendement est une réponse à une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim. 25 nov. 2020, n° 19-84.304 P, Dalloz actualité, 23 déc. 2020, obs. L. Priou-Alibert), qui jugeait légale la saisie de correspondances entre avocat et client, dès lors qu’elles ne concernaient pas l’exercice des droits de la défense. L’article 3 était adopté à l’unanimité à l’Assemblée.

Cette extension du secret a suscité l’émoi de nombreux enquêteurs, notamment ceux qui travaillent sur les grandes entreprises. Devant les sénateurs, l’Association française des magistrats instructeurs a relevé que « l’extension de cette protection à l’activité de conseil pose question, notamment parce que toute investigation dans le milieu économique pourrait s’en trouver entravée ». Pour le procureur de la République financier, cette réforme « aurait pour conséquence d’affaiblir la politique publique maintes fois réaffirmée et approfondie de lutte contre la fraude fiscale et contre la corruption internationale, mais aussi de mettre la France en contradiction avec la jurisprudence constitutionnelle et européenne ». Cette extension va en effet à rebours des obligations déclaratives qui pèsent de plus en plus sur les avocats.

Une extension limitée par le Sénat

C’est pourquoi les rapporteurs au Sénat ont souhaité exclure du champ du secret professionnel du conseil la fraude fiscale, la corruption et le trafic d’influence. Trois délits qui recouvrent l’essentiel de la délinquance économique et financière, mais qui n’incluent ni le droit de la concurrence, ni le droit boursier.

Ce compromis sénatorial a fortement déplu au Conseil national des barreaux qui a adopté une motion pour rappeler l’indivisibilité du secret. Son président, Jérome Gavaudan, conteste vigoureusement l’amendement du Sénat : « les députés avaient considéré qu’il devait y avoir dans la protection du justiciable un élément essentiel au fonctionnement de la démocratie : le secret professionnel de l’avocat ». Pour lui, la « confiance nécessite la confidentialité », qui est une protection pour les citoyens. La version de l’Assemblée permettait un « recadrage législatif » et un rappel, pour la justice pénale, de ce que prévoit la loi de 1971.

Pour lui, les exceptions introduites par le Sénat ouvrent une boîte de Pandore, d’autant que certaines consultations peuvent couvrir plusieurs matières. Toutefois, il insiste : « il n’est pas question d’empêcher les enquêtes ou de protéger les avocats qui seraient complices d’infraction ».

De son côté, le sénateur Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour la commission des Lois, insiste sur le fait que le Sénat a validé l’extension du secret aux missions de conseil. Il a toutefois voulu la concilier avec le principe constitutionnel de recherche d’auteurs d’infractions. En effet, contrairement aux magistrats et aux parlementaires, les avocats ne bénéficient pas de protection constitutionnelle spécifique. Lorsque le législateur a souhaité en 2016 renforcer le secret des sources des journalistes, le conseil avait considéré qu’elle n’était pas équilibrée avec les objectifs à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et de prévention des atteintes à l’ordre public. De plus, l’activité de conseil est, pour les avocats, une activité concurrentielle. Or d’autres professions ne bénéficieront pas d’une telle protection du secret, ce qui pourrait mettre à mal le principe constitutionnel d’égalité devant la loi. « Face aux problèmes de constitutionnalité posés par l’article, il faut une rédaction plus robuste ».

Le gouvernement, arbitre silencieux

Dans cette tentative d’élaborer un compromis, il est soutenu par plusieurs associations. Pour Sarah El Yafi de Transparency International « Les enquêtes en matière éco-fi sont déjà difficiles. Cet article donne un signal très inquiétant, à l’international, dans la politique publique de lutte contre la corruption ».

Dans ce dialogue entre Assemblée et Sénat, le ministère de la Justice reste en retrait. L’amendement adopté n’était pas d’origine gouvernementale et n’avait pas reçu d’avis favorable, mais une « sagesse bienveillante » du ministre. Si Éric Dupond-Moretti semble personnellement soutenir cette disposition, ce n’est pas le cas de tous les services gouvernementaux. Il n’a donc pas déposé d’amendement de rétablissement en séance. Celui-ci sera porté par un sénateur LREM.

La commission des lois du Sénat a également supprimé la disposition qui prévoyait la présence de l’avocat dans les perquisitions et veut limiter à l’encadrement à trois ans des enquêtes préliminaires concernant les délits de corruption, fraude fiscale et trafic d’influence.

S’appuyant sur un récent rapport de la HATVP, le Sénat a également restreint le champ du délit de prise illégale d’intérêts, comme il l’avait déjà tenté. La chancellerie se tient à l’écart de cette proposition : le garde des Sceaux ne tient pas à être associé à la réforme d’un délit pour lequel il est mis en examen.