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La mère infanticide ou le « suicide altruiste »

Une femme comparaît devant les assises d’Ille-et-Vilaine, à Rennes, pour le meurtre de sa fille handicapée.

par Marine Babonneaule 14 septembre 2015

« Mon Dieu, prenez ma fille, prenez ma fille », a soufflé Laurence Nait Kaoudjt, le 22 août 2010 en étouffant Méline, sa fille de 8 ans, handicapée. Elle ne veut pas la toucher, elle utilise une écharpe. Elle ne veut pas voir son visage, elle le recouvre. Quand l’enfant meurt, elle croise les mains de sa fille sur la poitrine et dépose une croix sur son torse. Deux peluches aussi. Laurence Nait Kaoudjt avale une boîte de Lexomil, enfile un sac en plastique sur sa tête et s’ouvre les veines du poignet gauche. Elle a déposé deux enveloppes pour « la suite » mais elle ne mourra pas. C’est Simone Carneiro, la grand-mère de Méline, qui appelle les secours. Elle connaissait le désir de sa fille. Aux sapeurs-pompiers qui arrivent, elle leur dit : « Laissez les partir toutes les deux ». Laurence Nait Kaoudjt comparaît aux assises d’Ille-et-Vilaine pour homicide volontaire sur personne mineure et vulnérable. Elle risque la réclusion criminelle à perpétuité.

Elle pleure, beaucoup. En arrivant au palais de justice, accompagnée de son avocat Éric Dupond-Moretti. Dans le box. Pendant les suspensions d’audience. Laurence Nait Kaoudjt a 35 ans lorsqu’elle tombe enceinte. Elle a quitté son poste de conseiller commercial au Crédit Agricole quelques mois auparavant. Au cours d’une exposition photographique, elle rencontre « cet homme qui n’était pas une bonne personne ». « Il m’a battue, j’étais sous son emprise, j’ai connu la peur que connaissent les femmes battues (…) Méline a été conçue de cette manière-là, ce n’était pas un acte consenti ». Pas question d’interrompre sa grossesse, « c’était un petit être qui n’avait rien à voir avec ce qui s’était passé », raconte-t-elle. Le « géniteur » n’a d’ailleurs vu sa fille qu’une fois. Laurence Nait Kaoudjt se rend compte dès les premiers 15 jours de la naissance que Méline « ne bougeait pas, ne suivait pas du regard. J’ai cru qu’elle était aveugle (…) Elle basculait sa tête en arrière ». Et à partir de là, « tout s’est enchaîné ». L’hémisphère gauche du cerveau est atteint provoquant des troubles de la coordination motrice. Une scoliose invalidante la contraint au port d’un corset, elle est épileptique et incontinente. Elle ne parle pas non plus. « Je devais être à côté d’elle de manière constante, pour la faire manger, pour la faire boire, pour la transporter aux toilettes (…) S’occuper de ma fille, c’est un épuisement moral et physique. Le handicap, c’est nuit et jour ».

À la faveur d’un séjour à Saint-Malo, l’enfant fait ses premiers pas sur la longue plage du Sillon. « Un miracle, c’est peu de le dire ». Une rémission, peut-être. Depuis Paris, la décision est prise : Laurence, Méline et Simone – cette grand-mère « toujours présente » - s’installent dans une petite maison du quartier de Rochebonne dans la cité malouine. Et comme à Paris, Méline est en partie prise en charge par un centre spécialisé, presque à contrecœur pour cette mère « fusionnelle ». Elle veut croire « à la normalisation » de sa fille. De cet enfant, c’est la directrice adjointe du centre, Céline Herrou, qui en parle peut-être le mieux. « Méline était une petite fille qui s’est privée du monde extérieur. Son monde à elle était un monde de sensations, c’était un être qui pouvait sentir que quelque chose n’allait pas mais sans savoir que c’était elle (…) Elle était dans une nébuleuse, dans quelque chose de pas très défini (…) Marcher ne signifiait rien pour cet enfant. Elle n’avait pas l’envie d’aller d’un point vers l’autre ». L’état de santé se détériore, Laurence Nait Kaoudjt sait alors que les choses ne vont pas « se normaliser ». « Pour la maman de Méline, il fallait que le handicap s’arrête. (…) Le handicap cachait l’enfant (…) Elle remplissait son enfant d’intentions et de désirs mais c’était comme si elle remplissait une enveloppe vide. C’était une maman ventriloque ».

Viennent les problèmes financiers, en partie avec l’agence immobilière. La situation n’est alors plus tenable. Laurence Nait Kaoudjt prend la décision d’en finir. A-t-elle agi en toute lucidité ? Les experts ne sont pas d’accord. Une question cruciale pour déterminer sa responsabilité pénale ou pas. Le docteur Anne Henry estime, elle, que cette mère « corpulente et habillée de manière très voyante », « exubérante », « coléreuse », « très triste à la voix forte et martelée » a acquis « la conviction délirante qu’il n’y avait plus aucun espoir ». Cette « mélancolie délirante » qui lui a fait commettre « un suicide altruiste » n’est pas accessible à une sanction pénale. L’avocat de l’accusée fulmine. « Comment vous dire, madame, sans ambages, que si la cour vous suivait, ce serait une catastrophe absolue ? Nous, on a besoin d’empathie, d’humanité. Du délire, on n’en veut pas, car ça voudrait dire qu’on refuse de la comprendre, qu’elle a basculé. (…) Cette audience a un intérêt absolu et consubstantiel à ce qu’elle va devenir (…) Ici, c’est le contraire d’un délire, tout est parfaitement disséqué ! », s’agace Eric Dupond-Moretti qui veut un acquittement. Pour le docteur Jean-Claude Archambault, Laurence Nait Kaoudjt était « dans un état dépressif transitoire (…) Elle s’est construit l’image d’une petite fille heureuse et elle-même d’une mère heureuse. Elle a pris sa décision en toute lucidité (…) Il n’y a pas de pathologie mentale ». Elle n’avait pas d’autre choix, elle a eu un « geste d’amour ». Laurence Nait Kaoudjt a encore beaucoup pleuré.

Suite des débats aujourd’hui.