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Procès de Youssouf Fofana : la « terreur » et le silence

Le chef du « gang des barbares », qui purge une peine de réclusion à perpétuité pour l’assassinat d’Ilan Halimi, a été condamné hier par le tribunal correctionnel à dix ans de prison supplémentaire.

par Marine Babonneaule 11 janvier 2017

À 13 heures, le plateau des chambres correctionnelles du palais de justice est déjà bondé. La presse et quelques badauds sont là pour Youssouf Fofana, l’odieux assassin d’Ilan Halimi, condamné en 2009 à la réclusion criminelle à perpétuité. Il comparait pour des faits – antérieurs – de tentatives d’extorsion et des menaces de mort auprès d’une quarantaine de personnes.

Les journalistes, amassés devant la grille installée là pour cette funeste et peut-être spectaculaire occasion judiciaire, se demandent s’il sera présent. Rien n’est moins sûr tant le prévenu est incontrôlable, il a viré son dernier avocat et a refusé l’assistance d’un commis d’office. L’huissière audiencière sort. « Vous n’êtes pas au courant ? Il n’arrivera pas avant 15 heures. Nous ne faisons entrer que les parties civiles et les victimes », qui ne sont pas bien nombreuses à s’être déplacées. Il n’y a là que l’ancien directeur des programmes de M6 et l’avocat Joseph Cohen-Sabban, menacés en 2004 par l’ex-chef du « gang des barbares ». « S’il arrive en retard, c’est qu’il a pris son temps pour partir de sa cellule », souffle un gendarme. Youssouf Fofana est détenu dans la prison ultrasécurisée de Condé-sur-Sarthe. 

À l’heure dite, l’audience s’ouvre. Entouré de quatre gendarmes, le diable a bonne allure, vêtu d’une chemise à carreaux et d’une veste sombre, dans un box non vitré. Il ne se lève pas lorsque la présidente Isabelle Prévost-Desprez entre. « Je suis un trader de la terreur (…) PDG de Katiba1», répond-il plutôt que de décliner son identité. Youssouf Fofana a 36 ans et il est en prison depuis dix ans. À la lecture de la prévention, il fait des tas de mimiques, lève les yeux au ciel, fronce les sourcils, tord la bouche à droite puis à gauche, ferme les yeux, esquisse un sourire, passe la main sur sa bouche et plante parfois son regard sur les journalistes assis en face de lui. « Je souhaite garder le silence », ajoute-t-il.

Entre 2002 et 2004, il est soupçonné d’avoir envoyé des lettres de menaces de mort et des demandes de rançons à plus de quarante personnes, qui avaient toutes en commun d’être riches, de confession juive ou les deux. Parfois, les courriers contenaient des allumettes consumées, d’autres fois des grenades incendiaires « en état de fonctionnement » étaient déposées sur le perron des victimes. Souvent, ces dernières recevaient une photo prise devant leur domicile d’un homme portant une djellaba, visage couvert, tenant une grenade et un lance-roquette. Tout cela se faisait au nom d’un impôt palestinien, de Ben Laden et plus tard, d’Armata Corsa. En juin 2004, le directeur financier d’une importante société était la cible d’une attaque au cocktail Molotov. « Deux engins incendiaires étaient lancés sur son domicile à Sceaux (…), l’un atterrissant chez ses voisins ». Rony Brauman, le fondateur de Médecins sans frontières (MSF), constatait, lui, en septembre, que son portail métallique était percé par « un projectile tiré d’une arme à feu ». À tous, le maître chanteur exigeait des centaines de milliers d’euros. Que personne ne lui a versés. Ce n’est qu’à la faveur de l’enquête sur la séquestration et l’assassinant d’Ilan Halimi que les policiers feront le rapprochement. Interrogé en 2008 sur les faits de 2002, l’homme avait déclaré : « j’avais commencé avec le FLP [Front de libération de la Palestine, ndlr] en 2002 et en fait pour récupérer l’argent c’était difficile (…) Après 2002 quand j’ai commencé à faire avec Armata Corsa, la mafia africaine et les médecins (…) je comptais pouvoir financer les comptes off shore pour tous les racquetter d’un coup ».

« Monsieur Youssouf Fofana a coupé court à tout débat judiciaire »

Une heure vient de passer. Youssouf Fofana s’étire discrètement sous les regards prudents des gendarmes. L’avocat Joseph Cohen-Sabban, partie civile, raconte ce qu’il a vécu, les coups de téléphone « bizarres », les « irruptions nocturnes » à son domicile, les lettres, les mails, son déménagement forcé et la « grosse frousse ressentie rétrospectivement ». Pourquoi le menacer, lui ? « Je suis avocat, pénaliste, connu, je suis juif… comme dirait l’autre, que de bonnes raisons », résume-t-il. « Avez-vous subi un préjudice ? », lui demande son avocat. « Oui, que mon fils ait dû attendre sa majorité pour s’appeler comme moi. Ça, c’est un préjudice ». L’ancien journaliste et directeur des programmes de M6, Alain Chartiez, est venu sans avocat. Au temps des premières menaces, « j’ai cru à une plaisanterie (…) mais les détails assez précis sur ma famille m’ont incité à prendre quelques précautions (…) En gros, il a fait l’écrémage du Who’s Who ». Les témoignages sont terminés.

Youssouf Fofana demande à prendre la parole. « Je peux partir ? ». « Pardon ? », rétorque la présidente. « Je peux partir, je vous le demande poliment ». « Mais où ? ». « Partir en détention. Je veux partir ». « Emmenez M. Fofana », déclare la magistrate. Le prévenu est resté une heure vingt minutes à son procès qui devait durer jusqu’à vendredi. « Je dois avouer que c’est une déception incontestablement, avec ces tomes de procédure, lance le procureur. On avait mis quatre jours sur ce procès (…) on allait pouvoir le questionner, essayer de comprendre (…) Youssouf Fofana n’a pas changé (…) On avait la possibilité de le juger pour ce qu’il avait fait avant, juger cette montée en puissance (…) Monsieur Youssouf Fofana a coupé court à tout débat judiciaire ». Or il y a la longévité des faits, le nombre de victimes, « une détermination sans faille » et même si « l’on peut se dire que c’est un amateur » à l’époque, « on sait comment cela va finir, ce n’est donc pas de l’amateurisme ». Et Youssouf Fofana n’a que 36 ans, souligne le parquet. Il est théoriquement éligible à une libération dans 12 ans, c’est beaucoup trop court. « C’est une audience capitale (…) Dans, dix, vingt, trente ans, personne ne peut savoir ce que pourra décider une juridiction sur son cas (…) Il doit être jugé pour ce qu’il a fait (…) Il fait partie de la société, et dix ans après son incarcération, il est incapable de livrer quoique ce soit. Je ne dirai jamais d’un prévenu ou d’un accusé qu’il est un monstre mais ce qu’il a fait est odieux ». Il requiert dix ans de prison avec une peine de sûreté fixée aux deux tiers de la peine. La 16e chambre va suivre les réquisitions. L’huissière, elle, n’avait pas attendu la fin de l’audience pour s’éclipser. Elle est repartie emportant avec elle le livre qu’elle feuilletait, « Je suis fou de toi ».

 

 

1 Selon Wikipedia, « la katiba (en arabe كتيبة, correspondant généralement à un bataillon ou à une compagnie) est le nom utilisé en français pour une unité ou un camp de combattants lors de différents conflits en Afrique du Nord ou dans le Sahel ».