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Procès du Carlton : les origines troubles de l’enquête

Parmi les avocats des quatorze prévenus pour proxénétisme aggravé, certains s’interrogent sur le contenu d’enquêtes menées avant la procédure judiciaire. Ils dénoncent la violation du droit à un procès équitable.

par Marine Babonneaule 10 février 2015

Les avocats de la défense sont-ils de simples gesticulateurs lorsqu’ils tentent de « pilonner » une procédure d’enquête qu’ils estiment inéquitable ? Le 2 février, s’est ouvert le procès du Carlton. Me Olivier Bluche, conseil de l’un des prévenus pour proxénétisme aggravé, a déposé une requête en nullité estimant que des éléments de l’enquête avaient été dissimulés (V. Dalloz actualité, 3 févr. 2014, obs. M. Babonneau isset(node/170891) ? node/170891 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>170891). Il est suivi par d’autres avocats, dont Henri Leclerc, Hubert Delarue, Éric Dupond-Moretti ou encore Sorin Margulis. « Un procès équitable, c’est un procès qui se tient au terme d’une procédure où l’on ne triche pas », plaide alors Olivier Bluche. Il n’en démord pas.

Tout part de la déposition d’un jeune policier, Loïc Lecapitaine, entendu – il avait également été placé sur écoutes judiciaires – pendant l’enquête. Il raconte qu’en décembre 2010, lors d’un repas de Noël, son supérieur, le commissaire Joël Specque le met en garde contre René Kojfer, entremetteur lillois et qui comparaît aujourd’hui au procès (V. Dalloz actualité, 4 févr. 2014, obs. M. Babonneau isset(node/170922) ? node/170922 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>170922), parce que ce dernier serait « branché administrativement ». Or, l’enquête judiciaire ne débute qu’en février 2011. Les avocats tiquent. Un « branchement administratif » signifie que des interceptions de sécurité auraient été pratiquées. La loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques – désormais intégrée dans le code de la sécurité intérieure – prévoit que des écoutes peuvent être autorisées par le Premier ministre, ou son délégué, dans le but de rechercher « des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous ». Les interceptions, classées « secret défense », sont ordonnées pendant quatre mois, renouvelables, puis détruites « à l’expiration d’un délai de dix jours au plus tard à compter de la date à laquelle il a été effectué ». Les transcriptions d’interceptions, elles, « doivent être détruites dès que leur conservation n’est plus indispensable » à la réalisation de l’objectif. C’est un peu moins précis.

En bref, le résultat d’écoutes administratives ne figure en principe jamais dans la phase judiciaire d’un dossier. Un problème de loyauté, selon les avocats, qui pointent du doigt, non pas un complot ni même des écoutes illégales, mais le fait que les enquêteurs ont nécessairement tenu compte de ces écoutes, à charge ou à décharge, dans le secret. Or, il y avait au moins trois policiers en commun lors des deux temps de l’enquête. « L’absence de contradictoire donne naissance à tous les fantasmes, s’est agacé Éric Dupond-Moretti devant le tribunal. Ce n’est pas rien 240 jours d’écoutes… Le parquet en était-il informé ? Ou il découvre cela aujourd’hui car il n’y a aucune raison qu’il en sache plus que nous ? ». D’ailleurs, le nom de Joël Specque ne figure à aucun moment dans le dossier, ajoute Olivier Bluche. Il n’est question dans les procès-verbaux que de « plusieurs renseignements ». Quid d’ailleurs de l’enquête commune entre services français et belges, évoquée par Me Sorin Margulis, lors de l’audience d’ouverture du procès, visant notamment Dodo la saumure ? Deux enquêtes et pas un mot.

Dans le 21e rapport d’activité de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), il est intéressant de relever que « les matières traitées dans le cadre des interceptions de sécurité, qui ont, (…) très majoritairement vocation à être « judiciarisées », peuvent donner lieu à des demandes de déclassification. Parfois, les interceptions de sécurité permettent de constater la commission d’infractions et deviennent le fondement d’une dénonciation à l’autorité judiciaire du crime ou délit, en vertu de l’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale »1. Sans compromettre toutefois le « secret défense ». Pour cela, la Commission précise que la procédure, « pour...

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