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Protection des lanceurs d’alerte et rôle du Défenseur des droits : les enseignements des lois du 21 mars 2022

Les lois visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte et à renforcer le rôle du Défenseur des droits ont été promulguées, le 21 mars dernier. Elles viennent renforcer le dispositif de protection des lanceurs d’alerte conçu par la loi Sapin II et transposer la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne.

C’est une loi particulièrement attendue qui vient parachever le dispositif de protection des lanceurs d’alerte qui avait été dessiné par la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II » et qui, par la même, transpose la directive du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne.

Parallèlement à l’adoption de cette loi, il est utile de noter qu’une loi organique visant à renforcer les prérogatives du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte a été adoptée le même jour.

Plusieurs points d’intérêts méritent l’attention à l’instar de l’élargissement de la définition du lanceur d’alerte, de la création d’un statut de facilitateur dans le cadre de la réalisation du signalement, la mise en œuvre de canaux de signalement simplifiés, l’instauration de mesures de protection renforcées, enfin les nouvelles missions dévolues au Défenseur des droits.

Les nouveaux contours de la définition de lanceur d’alerte

Le premier article de la loi du 21 mars 2022 vient compléter la définition du lanceur d’alerte telle que prévue à l’origine par l’article 6 de la loi Sapin II.

La notion de lanceur d’alerte désigne désormais « une personne physique qui signale ou divulgue sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation, d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

Plusieurs observations méritent ici d’être apportées. Tout d’abord, la notion de désintéressement qui avait été jugée trop floue est désormais remplacée par le concept de « sans contrepartie financière directe », dont l’acception est plus concrète.

Ensuite, la loi précise que, lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre professionnel, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance. Ce faisant, le législateur vient élargir le champ des alertes pouvant être traitées.

Il est intéressant de relever que désormais les alertes pourront porter sur des « informations » relatives à un délit, un crime ou une violation de la loi mais également « les tentatives de dissimulations de ces violations ». Au-delà, la violation de la règle n’aura plus à être grave et manifeste.

La liste des informations exclues du régime de lanceur d’alerte est également élargie. Est ainsi interdite la divulgation de faits, informations ou documents ayant trait au secret de la défense nationale, au secret médical, au secret des délibérations judiciaires, au secret de l’enquête, au secret de l’instruction judiciaire ou encore au secret professionnel de l’avocat.

Le statut de facilitateur

À l’origine, la loi Sapin II était muette quant au sort des personnes qui ont aidé le lanceur d’alerte à réaliser le signalement.

L’article 2 de la loi vient pallier cette lacune en transposant en droit interne le concept de « facilitateur » qui trouve son origine dans la directive européenne, laquelle le définit comme « une personne physique qui aide un auteur de signalement au cours du processus de signalement dans un contexte professionnel et dont l’aide devrait être confidentielle ».

Le texte européen a souhaité consacrer une protection aux facilitateurs contre les mesures de représailles comme en témoigne son considérant 40 : « La protection devrait être assurée contre les mesures de représailles prises non seulement directement à l’encontre des auteurs de signalement eux-mêmes, mais aussi contre celles qui peuvent être prises indirectement, y compris à l’encontre des facilitateurs, des collègues ou des proches de l’auteur de signalement qui sont également en lien dans un contexte professionnel avec l’employeur, le client ou le destinataire des services de l’auteur de signalement ».

La loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte retient quant à elle comme définition du facilitateur : « toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation dans le respect de la loi ». Ce faisant, elle retient un champ d’application plus étendu que la directive en permettant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif de bénéficier d’une telle protection légale.

Les différents canaux de signalement

La loi reprend les trois canaux de signalement que permettait la loi Sapin II, à savoir la réalisation d’un signalement interne, externe ou une divulgation publique, mais supprime la hiérarchie en trois temps qui existait à l’origine.

Désormais, le lanceur d’alerte peut choisir entre un signalement interne, c’est-à-dire au sein de l’entreprise, et un signalement externe à l’attention de l’autorité compétente, du défenseur des droits, à la justice ou un organe européen.

L’alerte publique ne pourra être mise en œuvre que dans certains cas :

  • en absence de traitement à la suite d’un signalement externe dans un certain délai ;
     
  • en cas de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir ;
     
  • ou en cas de « danger grave et imminent » ou pour les informations obtenues dans un cadre professionnel en cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ».

Ce nouveau régime retient pour l’alerte publique des critères particulièrement étendus et porte en germe un risque d’insécurité juridique pour les justiciables. Il apparaît en effet délicat de définir clairement ce qu’est un danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ou encore de déterminer les situations à l’occasion desquelles le signalement n’a aucune chance d’aboutir.

L’instauration de mesures de protection renforcées

Tout d’abord, les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués qu’avec le consentement de celui-ci. Ils peuvent toutefois être communiqués à l’autorité judiciaire, dans le cas où les personnes chargées du recueil ou du traitement des signalements sont tenues de dénoncer les faits à celle-ci.

La loi prévoit également des causes d’exonération de la responsabilité civile en son article 6. Cette disposition prévoit que les personnes ayant signalé ou divulgué publiquement des informations dans le respect de la loi ne sont pas civilement responsables des dommages causés du fait de leur signalement ou de leur divulgation publique dès lors qu’elles avaient des motifs raisonnables de croire, lorsqu’elles y ont procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.

De la même façon, le texte prévoit que les personnes qui réalisent un signalement dans le respect des exigences des articles 6 et 8 de la loi Sapin II bénéficient de l’irresponsabilité pénale telle que consacrée à l’article 122-9 du code pénal.

Enfin, une attention particulière est apportée pour lutter contre les mesures de représailles. C’est ainsi que les personnes à l’origine d’un signalement, les facilitateurs […], ne peuvent faire l’objet de mesure de représailles ni de menaces ou de tentatives de ces mesures.

Le texte dresse une liste particulièrement étendue de faits susceptibles d’être considérés comme une mesure de représailles. Constitue ainsi une mesure de représailles :

  • la suspension, mise à pied, licenciement ou mesures équivalentes ;
     
  • rétrogradation ou refus de promotion ;
     
  • transfert de fonctions, changement de lieu de travail, réduction de salaire, modification des horaires de travail ;
     
  • suspension de la formation ;
     
  • évaluation de performance ou attestation de travail négative ;
     
  • mesures disciplinaires imposées ou administrées, réprimande ou autre sanction, y compris une sanction financière ;
     
  • coercition, intimidation, harcèlement ou ostracisme ;
     
  • discrimination, traitement désavantageux ou injuste ;
     
  • non-conversion d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat temporaire en un contrat permanent, lorsque le travailleur pouvait légitimement espérer se voir offrir un emploi permanent ;
     
  • non-renouvellement ou résiliation anticipée d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat temporaire ;
     
  • préjudice, y compris les atteintes à la réputation de la personne, en particulier sur un service de communication au public en ligne, ou pertes financières, y compris la perte d’activité et la perte de revenu ;
     
  • mise sur liste noire sur la base d’un accord formel ou informel à l’échelle sectorielle ou de la branche d’activité pouvant impliquer que la personne ne trouvera pas d’emploi à l’avenir dans le secteur ou la branche d’activité ;
     
  • résiliation anticipée ou annulation d’un contrat pour des biens ou des services ;
     
  • annulation d’une licence ou d’un permis ;
     
  • orientation abusive vers un traitement psychiatrique ou médical.

Des mesures de soutien financier sont également consacrées par le texte. C’est ainsi qu’une provision pour frais de justice pourra être accordée au lanceur d’alerte qui conteste une mesure de représailles ou une procédure « baillon » à son encontre (c’est-à-dire une procédure ayant pour finalité d’intimider et de contraindre au silence le lanceur d’alerte). De même, une provision peut être accordée lorsque la situation financière du lanceur d’alerte s’est largement dégradée.

Des mesures de soutien psychologique et financier sont enfin prévues par les autorités externes, lesquelles peuvent être saisies directement ou via le Défenseur des droits.

Le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement

La loi organique du 9 décembre 2016 avait précisé le périmètre des missions du Défenseur des droits, lequel est compétent pour orienter les lanceurs d’alerte vers les autorités compétentes, pour recevoir leur signalement et veiller à leurs droits et leurs libertés.

La loi du 21 mars 2022 vient compléter ses missions en précisant que le Défenseur des droits interviendra pour informer, conseiller les lanceurs d’alerte et « défendre » leurs droits et libertés. Ces nouvelles missions seront conférées à un nouvel adjoint au Défenseur des droits chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte.

Il est à noter que ces mesures sont destinées aux lanceurs d’alerte mais également aux facilitateurs.

Par ailleurs, le Défenseur des droits pourra recevoir directement les signalements. Il sera ainsi en charge de leurs recueil et traitement. Si, toutefois, le signalement ne rentre pas dans son périmètre de compétence, le lanceur d’alerte sera orienté vers l’autorité compétente.

Par ailleurs, le Défenseur de droits est compétent pour « certifier » au moyen d’un avis la qualité de lanceur d’alerte d’une personne, soit au titre de la protection générale des lanceurs d’alerte, soit au titre d’un régime sectoriel de protection.

Le contrôle du Conseil constitutionnel

Ces deux lois ont été déférées pour contrôle au Conseil constitutionnel, lequel s’est prononcé à l’occasion de deux décisions du 17 mars 2022 (décis. nos 2022-839 et 2022-838 DC, AJDA 2022. 605 ). En ce qui concerne tout d’abord, la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, le Conseil constitutionnel conclut à la conformité de cette loi à l’exception de son article 11. Cet article avait vocation à modifier l’article 392-1 du code de procédure pénale afin de permettre au tribunal correctionnel, en cas de relaxe, de condamner la partie civile à une amende civile lorsqu’il a été saisi à l’issue d’une information ouverte sur plainte avec constitution de partie civile et qu’il estime que cette plainte était abusive ou dilatoire.

Le Conseil constitutionnel vient ainsi censurer l’introduction de ce cavalier législatif en relevant qu’il était adopté selon une procédure contraire à la Constitution car ne présentant pas de lien même indirect avec la proposition de loi déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale.

S’agissant ensuite de la loi organique relative au Défenseur des droits, le Conseil constitutionnel valide les dispositions déférées sous une réserve d’interprétation, laquelle consiste pour le Premier ministre à pouvoir mettre fin aux fonctions de l’adjoint chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte sur la proposition du Défenseur des droits.

Ces considérations étant faites, il convient d’attendre les prochains décrets d’application, lesquels viendront notamment définir les garanties d’indépendance et d’impartialité de la procédure d’enquête ainsi que les délais de retour d’information fait à l’auteur du signalement.