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Recours de l’ONIAM contre l’assureur : l’imputabilité de la contamination à la transfusion

Engage sa responsabilité le centre ayant fourni un produit sanguin administré à une victime contaminée après transfusion et dont l’innocuité n’a pas été établie, permettant ainsi à l’ONIAM d’être garanti des sommes versées à cette victime par les assureurs de ce centre. 

par Anaïs Hacenele 6 octobre 2017

L’arrêt de cassation partielle rendu le 20 septembre 2017 par la première chambre civile porte sur le triste contentieux du sang contaminé à la suite de transfusions ayant eu lieu dans les années 1980.

En l’espèce, une victime, après deux transfusions sanguines au sein d’un centre hospitalier, développa une hépatite C. Une fois l’origine transfusionnelle de sa contamination admise, elle demanda réparation de ses préjudices. L’établissement français du sang (EFS) assigna en garantie l’assureur du centre départemental de transfusion sanguine (CDTS) ayant fourni un des produits transfusés dont l’absence de contamination n’avait pu être établie pour qu’il contribue à la dette de réparation du dommage subi par la victime. L’ONIAM, substitué à l’EFS en vertu de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique, poursuivit la procédure contre l’assureur du CDTS. 

La cour d’appel de Paris rejeta sa demande en arguant que sur les treize produits transfusés à la victime, cinq n’avaient pas pu être contrôlés, dont un provenant du CDTS, et que la présomption simple d’imputabilité de la maladie à la transfusion édictée au profit de la victime par l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 ne s’étendait pas à l’ONIAM, tenu de prouver la responsabilité du CDTS. La preuve de la contamination du produit fourni par celui-ci n’étant pas faite, les conditions de sa responsabilité n’étaient pas réunies. L’ONIAM n’était donc pas en mesure de réclamer à l’assureur du CDTS sa garantie. 

Comme la présomption d’imputabilité ne s’appliquait pas, il revenait à l’ONIAM de démontrer la réunion de toutes les conditions de la responsabilité du centre en application du droit commun – c’est-à-dire – des règles de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Saisie d’un pourvoi formé par l’ONIAM, la Cour de cassation devait s’interroger sur l’application ou non de la présomption d’imputabilité de la contamination à la transfusion au profit du solvens dans le cadre d’un recours en contribution. 

Elle casse partiellement l’arrêt d’appel au visa des articles 102 de loi du 4 mars 2002 et L. 1221-14 du code de la santé publique, reprochant aux juges du fond d’exclure la responsabilité du CDTS alors même qu’ils constatent l’admission de l’origine transfusionnelle de la contamination et le fait que l’innocuité d’un des produits sanguins qu’il a fourni n’était pas établie. 

En matière de maladies développées à la suite de transfusion de sang contaminé, la difficulté pour les victimes peut provenir tant de la pluralité d’établissements dans lesquels elles ont séjourné que de la pluralité de fournisseurs de produits sanguins. Au stade de l’obligation à la dette, pour faciliter leur indemnisation et tenant compte de ces problématiques, le législateur a posé une présomption d’imputabilité de la maladie à la transfusion sanguine. Lorsque cette présomption s’applique, l’imputation est matérielle et consiste à imputer un fait à un autre fait (sur les différentes natures de l’imputation v. F. Leduc, Causalité et imputation in les distorsions du lien de causalité, RLDC 2007, n° 2). Il s’agit ni plus ni moins d’une présomption de causalité. Il revient donc au défendeur de démontrer que le sang n’est pas contaminé ou qu’il n’existe entre les deux aucun lien de cause à effet.

Le législateur a également prévu que l’indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l’hépatite C se ferait par l’ONIAM, substitué à l’EFS depuis l’entrée en vigueur en 2010 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 peu important que le fournisseur de sang ne soit pas identifiable (Civ. 1re, 3 févr. 2016, n° 14-22.351, Dalloz actualité, 23 févr. 2016, obs. N. Kilgus ; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RDSS 2016. 375, obs. D. Cristol ; RTD civ. 2016. 383, obs. P. Jourdain ).

L’arrêt du 20 septembre ne revient sur aucune de ces deux affirmations. En revanche, au stade de la contribution à la dette, les règles sont moins précises et n’ont pas toujours été très favorables au solvens.

Précisions que l’ONIAM n’est ni auteur ni responsable du dommage mais seulement débiteur de l’obligation de réparation à laquelle la victime de la maladie post-transfusionnelle a droit. Le législateur ne lui impute pas le fait dommageable mais la dette de réparation à laquelle celui-ci donne naissance. En ce sens, l’imputation de cette dette dans son patrimoine n’est pas personnelle mais comptable (V. F. Leduc, préc.).

C’est une des raisons pour lesquelles la Cour de cassation lui a, dans un premier temps, refusé la possibilité de se retourner contre l’assureur de l’EFS ou celui d’un centre de transfusion repris par ce dernier (Civ. 1re, 28 nov. 2012, nos 11-24.022 et 12-11.819, Dalloz actualité, 12 déc. 2012, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; ibid. 2013. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2013. 128, obs. P. Jourdain ; ibid. 393, obs. P. Jourdain ; RCA 2013. Comm. 62). L’office était donc tenu d’indemniser les victimes en lieu et place de l’EFS sans pouvoir se retourner contre les assureurs de celui-ci.

Techniquement, la solution était justifiée, précisément parce que l’EFS, en raison de la substitution de l’ONIAM, n’était pas condamné, son assureur ne pouvait alors pas garantir une responsabilité qui ne serait jamais engagée. Du point de vue financier, en revanche, la solution posait problème, ce qui poussa le législateur à intervenir et à modifier, rétroactivement, les anciennes dispositions (art. 67-IV) par la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012. Depuis, l’action de l’ONIAM contre les assureurs de l’EFS ou de tout autre centre est ouverte (Civ. 1re, 18 juin 2014, n° 13-13.471, Dalloz actualité, 10 juill. 2014, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; ibid. 1779, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ), à condition que le fournisseur de sang contaminé soit identifiable (Civ. 1re, 3 févr. 2016, n° 14-22.351, Dalloz actualité, 23 févr. 2016, obs. N. Kilgus ; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RDSS 2016. 375, obs. D. Cristol ; RTD civ. 2016. 383, obs. P. Jourdain ). L’arrêt du 20 septembre vient confirmer, s’il était besoin, ces solutions et le respect des dispositions législatives. La solution est, sur ce point, favorable au solvens

En ce qui concerne la possibilité pour le solvens (l’EFS avant 2010, l’ONIAM depuis) de bénéficier de la présomption d’imputabilité lorsqu’il se retourne contre le responsable ou un des coresponsables du dommage (ou leurs assureurs), la jurisprudence est plus fluctuante. La Cour de cassation a d’abord admis l’extension du bénéfice de la présomption à son profit en la jugeant « opposable à toute partie tenue à la réparation du dommage causé par cette contamination » (Civ. 2e, 20 oct. 2005, n° 04-14.787, D. 2006. 492 , note G. Chantepie ; RTD civ. 2006. 122, obs. P. Jourdain ) avant d’opposer finalement son refus (Civ. 2e, 17 juin 2010, nos 09-10.786 et 09-65.190, D. 2010. 1706 ; RTD civ. 2010. 570, obs. P. Jourdain ) en considérant qu’elle n’est édictée qu’au seul bénéfice des victimes.

De son côté, le Conseil d’État admet la possibilité pour les tiers payeurs subrogés dans les droits de la victime d’invoquer cette présomption (CE 22 oct. 2014, ONIAM c. MAIF, n° 369081, Dalloz actualité, 5 nov. 2014, J.-M. Pastor ; AJDA 2014. 2096 ).

Par l’arrêt du 20 septembre, en censurant les juges du fond qui l’excluaient, la première chambre civile reconnaît la possibilité pour l’ONIAM de bénéficier de cette présomption d’imputabilité. Elle affirme clairement que la garantie des assureurs est due à l’ONIAM dès lors que l’origine transfusionnelle d’une contamination est admise, que l’établissement de transfusion sanguine qu’ils assurent a fourni au moins un produit administré à la victime et que la preuve que ce produit n’était pas contaminé n’a pu être rapportée. La présomption d’imputabilité de la maladie à la transfusion ne bénéficie pas qu’à la victime.

La Cour de cassation considère que le fait qu’il n’a pas été prouvé que le produit fourni par le centre n’était pas contaminé suffit à engager la responsabilité du centre garantie par son assureur. Comme le Conseil d’État, la Cour de cassation étend la présomption d’imputabilité au tiers payeur. 

La solution présente un double avantage. D’une part, elle respecte la nature subrogatoire du recours en garantie de l’ONIAM qui impose qu’il bénéficie des droits et actions de la victime. Si la victime peut faire valoir la présomption, il doit pouvoir le faire aussi. D’autre part, elle évite de faire application du droit commun pour que soit engagée la responsabilité du centre. En refusant de faire bénéficier l’office de la présomption, il aurait fallu qu’il prouve un défaut du produit sanguin et que ce défaut était bien la cause du dommage. Une double preuve pas toujours aisée à rapporter. S’il est vrai que le refus de l’extension de la présomption n’aurait pas empêché tout recours de l’ONIAM contre l’assureur, il aurait été bien plus complexe du point de vue de la preuve. 

En définitive, l’arrêt rapporté précise que, dans le contentieux né des transfusions de produits sanguins contaminés, rien n’empêche, sans contrevenir aux règles favorables à la victime au stade de l’obligation à la dette, d’appliquer des règles tout aussi favorables au solvens, au stade de la contribution à la dette.