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Règlement Bruxelles I et action en constatation de non-contrefaçon de dessins et modèles

La CJUE précise la notion de prorogation de compétence au sens de l’article 24 du règlement Bruxelles I. 

par François Mélinle 7 septembre 2017

Un fabriquant italien de jantes pour roues de véhicules a assigné une société allemande devant une juridiction italienne aux fins d’obtenir un jugement déclaratoire de non-contrefaçon des dessins ou modèles communautaires enregistrés dont est titulaire cette société allemande pour des jantes, ainsi que la constatation d’actes d’abus de position dominante et de concurrence déloyale.

La société allemande s’est alors constituée partie à la procédure en déposant un mémoire en défense. Dans ce mémoire, elle a soulevé, à titre liminaire, des exceptions tirées de l’inexistence ou de la nullité de la notification de l’acte introductif d’instance et, à titre subsidiaire, a également excipé de l’incompétence des juridictions italiennes.

Le juge italien a alors saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de différentes questions préjudicielles, qui concernent le règlement Bruxelles I n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale, ainsi que les relations que ce texte entretient avec le règlement n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires. Il est à noter que les solutions qui sont affirmées par la Cour de justice à propos du règlement Bruxelles I conservent leur portée à propos du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012.

1. La première question portait sur la mise en œuvre de l’article 24 du règlement Bruxelles I, qui dispose qu’outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du règlement, le juge d’un État membre devant lequel le défendeur comparaît est compétent mais que cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence. Cet article 24 permet ainsi la prorogation tacite de compétence, lorsque le défendeur comparaît volontairement.

Dans ce cadre, il fut demandé à la Cour de justice de déterminer si cet article 24 doit être interprété en ce sens qu’une exception tirée de l’incompétence du juge saisi, soulevée dans le premier acte de défense à titre subsidiaire par rapport à d’autres exceptions de procédure soulevées dans le même acte, peut être considérée comme une acceptation de la compétence du juge saisi, conduisant ainsi à une prorogation de compétence en vertu de cet article.

La CJUE répond de façon négative à cette question : « L’article 24 du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens qu’une exception tirée de l’incompétence du juge saisi, soulevée dans le premier acte de défense à titre subsidiaire par rapport à d’autres exceptions de procédure soulevées dans le même acte, ne saurait être considérée comme une acceptation de la compétence du juge saisi et ne conduit donc pas à une prorogation de compétence en vertu de cet article ».

Sa position ne peut qu’être approuvée puisque le fait, pour le défendeur, de contester sans ambiguïté, dans son premier acte de défense, la compétence du juge saisi empêche la prorogation de compétence visée à l’article 24, sans qu’il importe que cette contestation soit ou non l’unique objet de ce premier acte de défense (arrêt, pt 34).

Cette position est dans la ligne de la jurisprudence de la Cour, qui retient que la contestation de la compétence du juge saisi empêche la prorogation lorsque la partie demanderesse et le juge saisi sont mis en mesure de comprendre, dès la première défense, que celle-ci vise à faire obstacle à cette compétence et qu’il en va ainsi également dans le cas où le premier acte de défense contient, outre la contestation de la compétence du juge saisi, des conclusions sur le fond du litige (CJUE 27 févr. 2014, aff. C-1/13, pt 37, D. 2014. 614 ; Rev. crit. DIP 2014. 694, note H. Muir Watt ).

2. La Cour de justice était ensuite interrogée sur le régime des actions en constatation de non-contrefaçon de dessins et modèles.
Pour bien cerner son arrêt, il faut rappeler que :

  • l’article 81 du règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires pose que les tribunaux des dessins ou modèles communautaires ont compétence exclusive : a) pour les actions en contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire ; b) pour les actions en constatation de non-contrefaçon, si la législation nationale les admet ;
  • l’article 82, § 1, du même règlement ajoute que, sauf exception, les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 81 sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de tout État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

Dans ce cadre, la difficulté était de déterminer le rapport à établir entre ces principes de compétence propres aux dessins et modèles et la possibilité d’une prorogation de compétence en application de l’article 24 du règlement Bruxelles I.

Sur ce point, l’arrêt retient que l’article 82 du règlement du 12 décembre 2001 doit être interprété en ce sens que les actions en constatation de non-contrefaçon visées à l’article 81, sous b), doivent, lorsque le défendeur a son domicile dans un État membre de l’Union européenne, être portées devant les tribunaux des dessins ou modèles communautaires de cet État membre, à moins qu’il y ait prorogation de compétence au sens de l’article 24 du règlement Bruxelles I.

Cette position est justifiée par la lettre de l’article 82, dont le quatrième paragraphe réserve l’hypothèse dans laquelle le défendeur comparaîtrait devant un autre tribunal des dessins et modèles communautaires.

3. L’affaire a également amené la CJUE à examiner les rapports entre les actions en constatation de non-contrefaçon de l’article 81, b), du règlement du 12 décembre 2001 et l’article 5, § 3, du règlement Bruxelles I.

Cet article 5, § 3, donne la possibilité au demandeur, en matière délictuelle, de saisir le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

La difficulté était, en substance, de rechercher si ce principe de compétence propre à la matière délictuelle pouvait trouver application à propos des actions en non-contrefaçon.

La position de la Cour de justice est sans ambiguïté : « La règle de compétence énoncée à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 ne s’applique pas aux actions en constatation de non-contrefaçon visées à l’article 81, sous b), du règlement n° 6/2002 ».

Cette position s’impose car l’article 73, § 3, a), du règlement du 12 décembre 2001 exclut précisément l’application de l’article 5, § 3, du règlement Bruxelles I.

La Cour de justice donne par ailleurs une pleine portée à cette règle, en retenant que la règle de compétence énoncée à l’article 5, § 3, ne s’applique pas à des demandes de constatation d’abus de position dominante et de concurrence déloyale qui sont connexes à une action en constatation de non-contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire dans la mesure où faire droit à ces demandes présuppose d’accueillir cette action en constatation de non-contrefaçon.