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Sacem : cap sur les NFT

Après les domaines du luxe, de l’art et du jeu vidéo, les NFT semblent avoir conquis un nouveau domaine : celui de la musique.

La Sacem a ainsi signé, le 15 novembre 2022, un contrat de partenariat avec la start-up française Pianity, afin d’assurer le versement d’une juste rémunération aux ayants droit, sur les ventes des œuvres musicales sous forme de NFT. Les termes de cet accord n’ont malheureusement pas été rendus publics, et le communiqué publié par les protagonistes est avare de détails. On y apprend simplement la mise en place d’« une juste rémunération sur les ventes des titres musicaux sous forme de NFT ». Mais rien ne filtre sur le contenu dudit accord (l’absence d’information sur le contenu de l’accord semble d’ailleurs contradictoire avec les termes de l’art. L. 326-2 du CPI, qui impose aux organismes de gestion collective une obligation de transparence portant notamment sur les contrats-types d’autorisation d’exploitation et les tarifs standards applicables.). Tout au plus le communiqué précise-t-il que l’accord inclut « le "droit de suite", une innovation majeure dans l’industrie musicale permise par les NFT ».

Pour comprendre les enjeux d’une telle déclaration, quelques prolégomènes s’imposent. La notion de NFT sera d’abord expliquée, puis les parties à l’accord objet de l’annonce seront présentées.

Le terme « NFT », acronyme de Non-fungible token, renvoie à la notion de jeton non fongible. La fongibilité désigne la caractéristique d’une chose qui n’est pas individualisée et ne peut être désignée que par son espèce et sa quantité. Une chose fongible est par conséquent interchangeable, tandis qu’une chose non fongible est au contraire non substituable : elle ne peut pas être remplacée par une autre. Un NFT donc désigne un jeton numérique qui est unique, non interchangeable, et auquel peut être associé un objet numérique (un fichier son, image, vidéo, etc.), qui se voit ainsi conférer un caractère unique. Un rapport du CSPLA sur la notion de NFT donne les explications suivantes : « ils s’appuient sur la technologie de la blockchain, permettant d’horodater, de stocker et de transférer de l’information de façon sécurisée sans recours à un organisme centralisateur, pour garantir à leur détenteur un titre de droits (jeton ou token en anglais), virtuel, unique, et infalsifiable sur une ressource (fichier, contenu numérique de toute nature : son, image, texte…) que ce titre symbolise » (rapport de la mission confiée par le CSPLA à Me Jean Martin sur les jetons non fongibles, juill. 2022, p. 15).

Les NFT se sont développés grâce à l’émergence de plusieurs technologies, parmi lesquelles notamment les smart contracts, des programmes informatiques inscrits sur une blockchain afin de conférer aux jetons certaines propriétés et fonctions. Les smart contracts peuvent notamment permettre l’exécution automatique de diverses commandes (ex. : « si la condition X est remplie, alors effectuer l’opération Y »). Il ne s’agit donc pas de contrats au sens juridique du terme, mais de protocoles informatiques auto-exécutables. Toutes les informations concernant le NFT (nom du créateur, date de création, URL où se trouve stockée une œuvre numérique, droits octroyés à l’acquéreur, etc.) vont ainsi être inscrites dans le smart contract.

C’est donc sur l’exploitation en ligne de ces jetons non fongibles que porte l’accord conclu entre la Sacem et Pianity, protagonistes qu’il convient à présent de présenter.

La Sacem, monument de la gestion collective, est bien connue de tous. Organisme de gestion collective fondé en 1851, cette société privée à but non lucratif se présente comme le leader mondial de la gestion collective des droits d’auteur. Elle représente les auteurs, les compositeurs et les éditeurs de musique qui, par leur adhésion, lui font apport de leurs droits de représentation publique et de reproduction mécanique, pour leurs œuvres actuelles et futures dès que créées, pour le monde entier et pour toute la durée de la société. En vertu de cet apport, la Sacem négocie ensuite au nom de ses membres avec les utilisateurs, collecte auprès d’eux les droits liés à l’utilisation des œuvres de son répertoire, puis procède à leur répartition entre ses membres.

Pianity est une plateforme de NFT musicaux lancée en 2021. Elle se propose, grâce à l’utilisation de la technologie blockchain, de connecter artistes et utilisateurs, en promettant aux premiers des ressources nouvelles et en incitant les seconds à collectionner et échanger des morceaux en édition limitée sous forme de NFT. La plateforme invite ensuite ses utilisateurs à acquérir et à collectionner ces pièces musicales, en agissant comme une place de marché secondaire pour permettre la revente et l’échange de ces NFT. Pianity propose en outre à ses membres un service d’écoute gratuite puisque chaque morceau mis en vente est disponible à l’écoute en streaming.

Pour bien comprendre les enjeux de l’accord conclu (ou ce que l’on déduit du contenu de cet accord au regard du communiqué publié par les parties), il apparaît nécessaire de déterminer en quoi l’activité de Pianity est susceptible de mettre en œuvre le droit d’auteur des artistes concernés.

Le service d’écoute en streaming

Commençons par l’évidence : il ne fait guère de doute que le service d’écoute des morceaux en streaming donne prise au droit d’auteur et justifie la mise en place d’un accord avec la Sacem, au même titre que pour des services comme Deezer ou Spotify. Ce type de service doit en effet donner lieu à autorisation de la Sacem, puisqu’il met en œuvre tant le droit de représentation (en ce qu’il offre au public la possibilité d’avoir accès à l’œuvre) que le droit de reproduction (dans la mesure où le...

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