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Victimes d’attentat : un pas indemnitaire est franchi mais de quelle taille ?

Le Fonds de garantie d’indemnisation des victimes d’attentat a reconnu l’existence de deux préjudices spécifiques : un préjudice d’angoisse et un préjudice d’atteinte pour certains proches. La décision a pourtant provoqué un tollé.

par Thomas Coustetle 2 octobre 2017

Comment évaluer juridiquement les atteintes extrapatrimoniales subies par les victimes d’attentats ? Cette épineuse question, autant technique que sensible, a fait l’objet de tractations pendant des mois entre associations, assureurs et l’État. Un rapport à ce sujet a été remis aux pouvoirs publics en mars 2017, sous la présidence de la professeure Stéphanie Porchy-Simon, en parallèle d’un Livre blanc publié par un collectif d’avocats de victimes. Tous préconisaient de franchir le pas et de reconnaître spécifiquement le préjudice d’angoisse pour les victimes directes ; d’attente et d’inquiétude pour leurs proches.

Le Fonds d’indemnisation des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) a arbitré la question lundi 25 septembre 2017. Dans son communiqué, il annonce reconnaître ces deux nouveaux postes de façon autonome. Il prévoit d’indemniser les victimes directes du « préjudice d’angoisse de mort imminente », entre 5 000 et 30 000 € pour les victimes décédées et, pour les blessés, après expertise, entre 2 000 et 5 000 €. Leurs proches auront droit à une majoration forfaitaire lorsque les victimes sont décédées et l’indemnité sera comprise entre 2 000 et 5 000 €. Le préjudice exceptionnel spécifique, encore appelé PESVT, ne concernera plus que les personnes directement visées par l’attentat.

D’un côté, le ministère de la justice salue « un pas important » et le présente comme une « avancée majeure ». Pour ses services, la décision du fonds de garantie consacre « la volonté de l’État de garantir une réparation effective et intégrale aux victimes d’attaques terroristes, en particulier pour celles qui sont le plus gravement atteintes ». D’un autre côté, les avocats de victimes dénoncent une hérésie. Gérard Chemla, avocat membre du collectif, y voit « de la poudre aux yeux », quand Frédéric Bibal, avocat spécialiste ayant participé à la rédaction du Livre blanc, qualifie la mesure de « coquille presque vide ». Tous deux fustigent à l’unisson « la logique budgétaire » qui sous-tend ces mesures, selon eux, réductrices du droit de ces victimes. Les auteurs du Livre blanc ont réagi en ce sens dans un communiqué le vendredi 29 septembre.

Une méthodologie dissuasive

C’est moins sur le principe que sur les nouvelles modalités que le bât blesse. Jusqu’à maintenant, précise Frédéric Bibal, la méthode préconisée était de travailler hors expertise, contrairement au fonds de garantie qui en fait un recours préalable pour les blessés, avec pour effet redouté de décourager les victimes qui préféreront ne pas passer par l’expertise dans un délai non raisonnable. Comme il s’agit de préjudices situationnels, « on voit difficilement comment retenir une qualification médico-légale », avoue-t-il, alors que le traumatisme est multifactoriel. Or il n’existe pas d’évaluation expertale de principe dans un tel domaine : « on ne peut pas le traiter comme une séquelle physique », s’inquiète-t-il.

De même, les montants accordés sont plus faibles que ceux attribués par les juridictions du fond dans les dossiers de catastrophes collectives. Face au drame d’Allinges, le tribunal avait alloué une indemnisation de 50 000 € au titre du préjudice d’angoisse (Trib. corr. Thonon-les Bains, 26 juin 2013, n° 683/2013, D. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ) ; dans l’affaire du crash de Yemenia Airways, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait versé 50 000 € pour l’angoisse vécue par chaque passager durant quelques minutes et 200 000 € à la victime survivante (Aix-en-Provence, 30 juin 2016, source : Livre blanc, préc.), alors que le Fonds propose au maximum 5 000 € pour les survivants d’attentat : « c’est dix fois moins qu’avant », lâchent les deux avocats.

Un cercle des bénéficiaires restreint

Le FGTI opère désormais une distinction pour la compensation du préjudice d’angoisse des proches, selon que la victime directe est décédée ou non. « Le FGTI nous dit que si la personne est vivante, cela éponge, en quelque sorte, la détresse », s’est insurgé Gérard Chemla. Pour sa part, Frédéric Bibal parle de « non-sens conceptuel », avant d’ajouter que « le principe de ce préjudice repose sur l’incertitude : l’inquiétude ne dépend pas du sort final de la victime ».

Enfin, le fonds limite la majoration, jusqu’à présent automatique, du PESVT aux victimes directes, excluant celles du « cercle 2 ». En clair, les témoins de la zone visés indirectement par l’attentat. Dans le cas de l’attentat de Nice, il s’agit des victimes sur la plage ou les trottoirs voisins.

Cette suppression ne vaudra « que pour les éventuels attentats à venir », a réagi Nathalie Faussat, directrice du FGTI. « Pour ces dommages non économiques, l’évaluation et surtout la perception par les victimes sont plus compliquées car il est toujours délicat de mettre de l’argent sur ce qui n’est pas patrimonial », admet-elle. D’où cet arbitrage, même s’il se situe en deçà des revendications des spécialistes. Pour rappel, la victime ne dispose d’aucun délai. Elle peut refuser la proposition formulée par le FGTI et saisir les tribunaux.

Cette délibération du FGTI, où l’État est majoritaire, est sans doute inspirée par ses propres difficultés financières. En janvier 2017, il a fallu, pour apporter une réponse indemnitaire satisfaisante aux attentats dits « de masse », augmenter de 4,30 à 5,90 € la taxe prélevée sur les contrats d’assurance de biens.