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Violences sexuelles sur mineur : le Sénat développe ses propres propositions

En octobre 2017, à la suite de l’affaire Weinstein et de l’annonce d’un projet de loi sur les violences sexuelles (v. Dalloz actualité, 17 oct. 2017, obs. P. Januel isset(node/187136) ? node/187136 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187136), la commission des lois du Sénat a décidé de lancer un groupe de travail transpartisan sur le sujet, mené par la sénatrice Marie Mercier (LR). Après avoir auditionné plus de 120 personnes, la mission a rendu son rapport début février. Si, sur l’allongement de la prescription et l’âge du non-consentement, le rapport adopte une position mitigée, il dresse d’autres pistes d’évolution.

par Pierre Januelle 21 février 2018

Une infraction difficilement traitée pénalement

En 2017, il y a eu 8 788 plaintes ou signalements pour viol concernant des victimes mineures et 14 673 pour agression sexuelle. Mais, concernant les mineurs de 15 ans, on comptabilise environ 400 condamnations pour viol, 2 000 pour le délit d’agression sexuelle et un peu moins de 300 pour celui d’atteinte sexuelle.

Seuls 9 % des viols commis sur les mineurs le sont avec des violences physiques. Le plus souvent, ce sont la contrainte ou la menace (49 % des cas) ou un stratagème (42 %) qui sont utilisés. Seuls 2 % des viols (contre 21 % pour les victimes majeures) sont commis la nuit et la même proportion suivent une rencontre sur internet. Par ailleurs, 30 % à 40 % des auteurs dans les affaires poursuivables étaient mineurs.

Si le taux de réponse pénale est de 90 % lorsque les faits sont poursuivables, seules 27 % des affaires le sont. Les procureurs, en l’absence de preuves matérielles, doivent s’appuyer « sur les témoignages indirects, les circonstances de la révélation de l’infraction, les contradictions du mis en cause, la crédibilité de la victime ou encore son expertise psychologique ». Toutefois, « si les déclarations de la victime, contredites par celles du mis en cause, ne sont corroborées par aucun autre élément objectif, le parquet décide bien souvent d’un classement sans suite ». Par ailleurs, 10 % des classements sans suite sont dus à des dénonciations mensongères.

Le traitement judiciaire est long : en 2015, une procédure pour viol (toutes victimes confondues) durait en moyenne plus de six ans et demi, et plus de deux ans pour les agressions sexuelles. Du fait de l’engorgement des pôles d’instruction et des cours d’assises, un grand nombre de viols sont requalifiés en agression sexuelle. Le rapport explique aussi cette correctionnalisation par le fait que « le verdict d’un procès aux assises apparaît, à tort ou à raison, trop aléatoire en raison de la présence d’un jury populaire », notamment lorsqu’il s’agit de victimes « qui ne correspondent pas à l’image idéale de la victime selon l’opinion publique ».

La position mitigée de la mission sur la prescription et l’âge de non-consentement

La mission revient ensuite sur la proposition présidentielle d’instaurer une présomption de non-consentement en deçà de 15 ans (v. Dalloz actualité, 27 nov. 2017, art. P. Januel isset(node/187876) ? node/187876 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187876). Cette présomption aboutirait à systématiser la qualification pénale de viol pour des actes relevant aujourd’hui du délit d’atteinte sexuelle. Le rapport rappelle qu’en raison des jurisprudences constitutionnelle et européenne, cette présomption ne pourrait être irréfragable, la charge de la preuve appartenant toujours à l’accusation.

Actuellement, de jeunes majeurs peuvent faire l’objet de plaintes avec constitution de partie civile de la part des parents d’un mineur pour atteinte sexuelle. La mission s’interroge sur le fait de poursuivre ces jeunes majeurs pour viol. Cela entraînera plusieurs conséquences pour l’accusé (garde à vue, détention provisoire, assises). De plus, l’introduction d’un « âge seuil » risque d’être interprétée par les juridictions comme une limite. Il existe aussi un risque constitutionnel à maintenir une circonstance aggravante du viol fondé sur l’âge de la victime tout en faisant reposer l’élément constitutif de l’infraction sur l’âge de la victime (Cons. const. 6 févr. 2015, n° 2014-448 QPC, D. 2015. 324 ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2015. 248, note E. Dreyer ; RSC 2015. 86, obs. Y. Mayaud ).

Enfin, la mission considère difficilement justifiable « que des mineurs délinquants de 13 ans soient considérés comme suffisamment responsables et matures pour une peine d’emprisonnement alors que tout mineur du même âge se verrait dénier toute latitude en matière sexuelle ». C’est pourquoi la mission propose d’instaurer, pour les faits de viol, une présomption simple de contrainte fondée sur l’incapacité de discernement du mineur ou la différence d’âge entre le mineur et l’auteur.

Sur un nouvel allongement des délais de prescription pour les infractions sexuelles commises sur des mineurs, la mission y est favorable, tout en revenant longuement sur les difficultés pratiques qu’il pose : sauf en cas d’aveu ou de pluralité de témoignages concordants, ces affaires sont classées ou aboutissent à un non-lieu. Le traumatisme qu’entraîne une prescription peut être tout aussi fort en cas de classement sans suite, non-lieu ou d’acquittement. Selon la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), « l’allongement des délais de prescription mis en œuvre depuis 1989 n’est pas forcément traduit par une hausse des condamnations ».

D’autres pistes pour améliorer la lutte contre les violences sexuelles

La mission insiste d’abord sur les moyens alloués à la justice et à la prise en charge des victimes : moins de 1 300 policiers sont formés aux modalités d’enquête inhérentes aux violences sexuelles (qui nécessite un stage de cinq semaines). La brigade de protection des mineurs de la préfecture de police de Paris ne comptait que 79 fonctionnaires en 2017 (contre 88 en 2012). Dans de nombreux cas, les victimes se voient remettre une convocation pour être entendues à un autre moment. Le rapport revient également longuement sur les retards de paiement du ministère de la justice envers les centres hospitaliers assurant les missions de consultations médico-judiciaires.

La mission préconise d’alourdir les peines prévues pour les atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans. Si cet âge de 15 ans est dans la moyenne européenne, les peines encourues sont souvent plus élevées ailleurs. Le rapport propose aussi de revoir le régime des circonstances aggravantes entourant cette infraction, pour prévoir les cas de pluralité de victimes ou de traumatisme sévère.

La mission propose aussi d’affirmer le caractère continu de l’infraction de non-dénonciation en considérant son âge (ce qui allongerait de fait la prescription) en renversant la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière (v. Dalloz actualité, 1er juill. 2009, obs. A. Darsonville isset(node/131744) ? node/131744 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>131744).

Le rapport insiste sur les alternatives à la justice pénale et appelle à privilégier les mesures de médiation et de justice restaurative. Pour les victimes, elles permettent un apaisement et une possibilité d’exprimer leur souffrance. Les mesures de justice restaurative devraient être systématiquement proposées lorsque les faits sont prescrits ou non prouvables, ces mesures étant préférables à des acquittements intervenant après un long processus judiciaire. Ce développement aura évidemment des conséquences budgétaires.

Le rapport insiste aussi sur les avantages de l’action civile par rapport à l’action pénale. Celle-ci se prescrit par vingt ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé et permet la reconnaissance de la responsabilité civile de l’auteur des faits. La mission souhaite élargir la prise en charge de ces actions par l’aide juridictionnelle.