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Interview

« La défense consiste à réintégrer dans la communauté des hommes celui qui doit être jugé »

Niché dans son bureau en plein cœur du sixième arrondissement, Henri Leclerc nous reçoit pour parler de ses Mémoires, ceux d’un avocat pénaliste, ceux d’un avocat militant. Dans La parole et l’action, il retrace son histoire, ses 60 ans de carrière, de la « formation » aux grandes affaires, en passant par les périodes agitées. C’est l’éloge de la défense pénale.

le 8 septembre 2017

La rédaction : La formule accompagnant le titre de votre livre, « itinéraire d’un avocat militant », est intéressante, l’avocat pénaliste n’est-il pas, selon vous, un militant ? S’agit-il de deux missions strictement séparées ? 

Henri Leclerc : Avocat et militant sont deux pôles d’activités qui se chevauchent. J’exerce une activité militante qui est externe à ma profession, je suis un « citoyen engagé » à travers la politique mais également au sein de la ligue des droits de l’homme. Je milite aussi d’une certaine façon dans le cadre de ma profession dans certains dossiers. Dans cette hypothèse, le citoyen déteint sur l’avocat.

La rédaction : Qu’est-ce que défendre ?

Henri Leclerc : Défendre, c’est deux choses. C’est d’abord contrôler la façon dont la justice est rendue, exiger le respect des formes de la procédure avant même de vérifier l’exactitude des faits et l’application stricte de la loi pénale. C’est veiller à ce que l’on ne juge pas comme un ennemi celui qui est accusé mais comme un membre de la famille qui a commis une faute. La défense consiste à réintégrer dans la communauté des hommes celui qui doit être jugé, voire puni.

La rédaction : Défense ou partie civile ?

Henri Leclerc : Je suis principalement du côté accusé. Néanmoins, je ne refuse pas les parties civiles dans certains dossiers. C’est important de défendre aussi des victimes pour mieux comprendre leur souffrance et mieux défendre ceux qui sont accusés.

La rédaction : Quelles affaires vous ont le plus marqué ?

Henri Leclerc : Vous savez, en soixante ans de carrière, il y en a beaucoup ! L’affaire Richard Roman, aux cotés de mon ami et confrère Alain Molla et de mon associée Muriel Brouquet-Canale. Roman était accusé du viol et du meurtre de la petite Céline. C’est une affaire terrible. Et la tension était palpable… Je recevais tous les jours un petit cercueil dessiné avec la mention du nombre de jours nous séparant de la reconstitution devant avoir lieu, ainsi que des lettres d’injures et de menaces. Le jour de la reconstitution, la défense fut prise à partie par la foule. Vint l’audience devant la cour d’assises, les auditions des témoins, les plaidoiries et cette chute poignante d’Alain Molla : « Je souhaite à Roman de retrouver le plaisir de marcher pieds nus sur la terre chaude en hiver ». Le 17 décembre 1992, celui que l’on appelait l’Indien fut acquitté après que l’avocat général lui-même l’eut demandé.

Il y a aussi l’affaire du docteur Diallo, qui fut accusé lors d’une anesthésie d’avoir inversé les tuyaux d’arrivée d’oxygène et de protoxyde d’azote. Les trois accusés dans cette affaire furent acquittés. Il y a également la défense de Jean Chouraqui dans l’affaire dite « des cliniques de Marseille », l’affaire Florence Rey, celle que l’on appelait la « tueuse de flics ». J’ai également assisté la famille de Ghislaine Marchal dans l’affaire Omar Raddad, avec une conviction qui demeure encore aujourd’hui à contre-courant.

La rédaction : Est-ce que la défense de rupture a encore un sens aujourd’hui ?

Henri Leclerc : C’est une défense qui est très adaptée à une situation particulière : la défense de combat. Pour Jacques Vergès, le procès est la poursuite du combat. Mais, quand la bataille politique est perdue, on peut adopter, comme l’explique Albert Naud dans Pourquoi je n’ai pas défendu Pierre Laval, une forme de rupture absolue par le silence. Face à un simulacre d’audience, c’est le refus total de faire mine de poursuivre le combat. Se pose ensuite la question de la légitimité du combat ou au moins de sa compatibilité avec les principes fondamentaux. C’est l’exemple des « gauchistes » de mai 1968 qui menaient une bataille politique certes violente mais qu’ils inscrivaient dans un combat pour une République qu’ils voulaient plus juste et plus démocratique. La défense de rupture pour les terroristes d’aujourd’hui est difficilement concevable dans cette acception de la continuation du combat. La défense des terroristes est néanmoins nécessaire et essentielle.

La rédaction : Que pensez-vous du dispositif de lutte contre le terrorisme (état d’urgence, projet de loi antiterrorisme) ?

Henri Leclerc : J’ai rapidement alerté sur les risques de la première prorogation de l’état d’urgence et dénoncé ses prolongations successives inéluctables (Henri Leclerc, Crimes et Loi, Dalloz actualité, 24 nov. 2015). Ce qui est terrible avec la mise en place de l’état d’urgence, c’est que l’on ne peut pas y mettre fin car cela signifierait que l’on peut affirmer avec certitude que l’on a jugulé le danger. Il ne me semble pas qu’il faille, au motif de la préservation de la sécurité, limiter les libertés de tous.

Actuellement, le législateur est en train de travailler sur un projet de loi pour lutter contre le terrorisme. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis critique et des réflexions sont menées à ce sujet. Introduire les mesures d’exception que prévoyait l’état d’urgence dans la loi ordinaire n’est pas une solution. Le projet prévoit une petite réintroduction du juge judiciaire ce qui est salutaire. Il est néanmoins à regretter que le juge des libertés et de la détention ne dispose pas d’un véritable statut, à l’instar du juge d’instruction.

La rédaction : La prison est-elle efficace aujourd’hui en France ?

Henri Leclerc : Depuis que la prison existe comme peine, elle n’a de cesse d’être critiquée, qu’il s’agisse des conditions de détention ou de la surpopulation carcérale. En 2000, le Sénat a rendu un rapport intitulé Prisons : une humiliation pour la République, dénonçant ces dérives. Actuellement, la situation est catastrophique : on pensait résoudre le problème en construisant des prisons mais cela n’est qu’une illusion. Plus on construira des places supplémentaires en détention, plus le nombre de détenus s’accroîtra. Le second problème est la question de la réinsertion sociale, la prison reste un lieu où se construit et se développe la délinquance et où la violence règne, le film Un prophète de Jacques Audiard en est une parfaite illustration. On ne supprimera pas la prison, mais elle reste une verrue de notre société. Et je combattrai la prison dans sa conception actuelle comme j’ai combattu la peine de mort. Il faut, comme le prescrit la loi, qu’elle soit, au-delà de sa fonction répressive, un moyen de réinsérer en faisant reculer la récidive.

La rédaction : Les liens entre le pénal et la morale sont très forts. Avez-vous constaté une évolution ?

Henri Leclerc : Je ne suis pas sûr qu’il y ait une évolution. J’ai pendant longtemps été l’avocat de plusieurs médias. À la fin des années 1970, le procureur général de Paris poursuivait pour atteinte aux bonnes mœurs le journal Libération pour des articles un peu lestes au langage cru. C’est une conception insupportable. Plus récemment, l’affaire Strauss-Kahn a mis en avant cette tentation de mélanger le droit et la morale, en habillant sous le délit de proxénétisme ce que certains réprouvent au regard de la morale.

La rédaction : Les médias ont une place grandissante dans les affaires judiciaires, est-ce bénéfique ou au contraire néfaste ?

Henri Leclerc : C’est compliqué et cette question mérite plusieurs observations. Évidemment les médias jouent un rôle essentiel. Ils ont toujours eu beaucoup d’importance dans le suivi des affaires pénales et ce phénomène s’est accentué avec le développement des réseaux sociaux. La première difficulté de cette intervention médiatique concerne les risques de violation du secret de l’instruction. Le second risque à mon sens c’est le jeu entre médias et opinion publique, il faut être vigilant face aux mouvements d’opinion. Vincent de Moro-Giafferi avait eu cette formidable apostrophe lors du procès de la « Bande à Bonnot » : « Chassez-la, cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche ! C’est elle qui, au pied du Golgotha, tendait les clous aux bourreaux, c’est elle qui applaudissait aux massacres de Septembre et, un siècle plus tard, crevait du bout de son ombrelle les yeux des communards blessés ! ».

Reste la question de ce que doit faire la défense. Il existe une alternative. La première option est de se refuser en général à toute déclaration durant le procès. La seconde, c’est d’accepter de s’aventurer dans la houle médiatique en considérant qu’elle pèse sur le combat judiciaire. J’ai privilégié pour ma part la première formule.

La rédaction : Comment évolue selon vous la profession d’avocat pénaliste ?

Henri Leclerc : Il y a plusieurs évolutions notables. Tout d’abord, une évolution qui concerne toute la profession car nous sommes passés de quelques milliers d’avocats en France à 65 000 aujourd’hui. Cette année, encore plusieurs milliers de jeunes sortant des écoles d’avocats vont bientôt prêter serment. D’autres constats peuvent également être faits : beaucoup d’avocats pénalistes exerçaient autrefois à leur domicile, il existe désormais de véritables sociétés d’avocats comptant plusieurs centaines de praticiens au sein d’une même entité avec un secteur de droit pénal. Ceux qui étaient attachés à un exercice individuel doivent se regrouper. D’autres changements sont observables avec le développement de l’informatique.

En ce qui concerne l’avenir de la profession, il existe des dangers pouvant être résolus mais pour lesquels il convient de rester vigilant. Il est fondamental de se battre pour préserver l’unité de la profession en permettant une adaptation aux mécanismes de l’économie moderne ; le coût de la défense pénale est devenu élevé et la prise en charge financière par le justiciable compliquée. Certes, il existe l’aide juridictionnelle mais c’est insuffisant.

La question de cette prise en charge pose un problème complexe. Périodiquement revient l’idée absurde de la fonctionnarisation de la profession d’avocat, ce serait la perte de ce lien essentiel qui existe entre le client et l’avocat et de l’indispensable indépendance de ce dernier.

La rédaction : Que pensez-vous des nouvelles technologies dans le traitement des affaires pénales ?

Henri Leclerc : D’une manière générale, la science a transformé notre façon de traiter les affaires. Il y a eu deux étapes fondamentales qui ont bouleversé la recherche de la preuve, c’est l’ADN et la technologie téléphonique permettant les écoutes ou encore la géolocalisation. Ces évolutions ont permis de faciliter la recherche de la vérité et d’en finir avec cette « obsession de l’aveu », mais il faut que la défense soit prête techniquement à tenir compte de ces nouvelles données.

Je suis en faveur des outils techniques lorsqu’ils sont fiables. Il existe cependant des techniques qui sont plus incertaines, je pense notamment aux instruments prédictifs comme ce fut le cas notamment dans l’affaire Villemin. Les dispositifs qui prétendent trouver la vérité à l’aide d’algorithmes doivent selon moi n’être employés qu’avec une extrême précaution.

La rédaction : Quels sont les trois conseils que vous pourriez donner à un jeune avocat ?

Henri Leclerc : Premièrement, aimer défendre et le faire comme chacun le sent. Ensuite savoir que ce n’est pas la beauté du discours qui compte mais sa force de conviction. Enfin, il faut travailler, beaucoup travailler…

 

Propos recueillis par Pauline Dufourq

Henri Leclerc

Henri Leclerc est avocat.