Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Avant-projet de réforme des contrats spéciaux : la garantie d’éviction (mise en œuvre de la garantie)

Alors que le ministère de la Justice rend public un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux qui sera officiellement soumis à consultation publique en juillet 2022, Dalloz actualité vous propose, sous la direction des professeurs Gaël Chantepie et Mathias Latina, de participer pleinement à cette réflexion au travers d’une série de commentaires critiques de cet important projet de réforme qui complète la réforme majeure du droit des obligations de 2016. Focus sur la garantie d’éviction.

Par Hania Kassoul le 20 Juin 2022

Le troisième volet consacré à la garantie d’éviction dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux est dédié à la mise en œuvre de la garantie. Sur ce point, les rédacteurs ont manifestement choisi, dans leur article 1627, de ne pas bouleverser le droit existant. Leur action s’est limitée, pour reprendre les termes de la commission, à « perfectionner » et « moderniser » le droit de la vente. L’exercice est difficile parce qu’il met en jeu la réécriture de l’actuel article 1640 du code civil. Ce dernier règle les conséquences tirées du choix de l’acheteur de mettre en œuvre la garantie à titre principal ou incident. Il mérite une importante rénovation, mieux adaptée à la procédure civile moderne. L’avant-projet ne semble pas pleinement y parvenir, ce qui justifie qu’une analyse lui soit pleinement consacrée. Moderniser et perfectionner la mise en œuvre de la garantie aurait effectivement nécessité de rompre davantage tant avec l’esprit qu’avec la lettre du droit positif.

Texte de l’avant-projet

Art. 1627 : Lorsque l’acheteur a été évincé à la suite de l’action d’un tiers faisant valoir son droit, à laquelle le vendeur n’a pas été appelé, celui-ci n’est pas tenu de garantir l’éviction s’il prouve que des moyens suffisants pour rejeter la demande n’ont pas été invoqués par l’acheteur.

Mise en œuvre de la garantie

L’article 1627 reprend l’esprit de l’actuel article 1640 du code civil prévoyant que la garantie cesse lorsque l’acquéreur « s’est laissé condamner par un jugement en dernier ressort, ou dont l’appel n’est plus recevable, sans appeler son vendeur, si celui-ci prouve qu’il existait des moyens suffisants pour faire rejeter la demande ». Il n’en reprend toutefois pas la lettre.

Sur l’esprit

Le texte n’innove pas. Il permet au vendeur de se libérer de son obligation quand il n’a pas été appelé en la cause et que l’acheteur s’est mal défendu. Pour ainsi dire, la Commission accepte de reconduire la liberté consentie à l’acheteur de ne pas appeler en garantie son vendeur. Le choix de l’acheteur n’influe pas par principe sur ce qui lui est dû par le vendeur. Afin de préserver un petit îlot d’intérêts en faveur du vendeur n’ayant pas pu assurer la défense de son acheteur, celui-ci peut opposer une mauvaise direction du procès pour se dégager de la garantie. La charge de la preuve pèse sur le vendeur qui entend se libérer. À titre de comparaison, l’article 37 de l’offre de réforme de l’Association Capitant crée une rupture importante avec le droit positif en imposant clairement une obligation positive à l’acheteur, celle de faire intervenir son vendeur. Est alors inversée la charge probatoire : l’acheteur qui se dispense de l’appel devra prouver que l’intervention du vendeur aurait été indifférente. Cette volonté de rééquilibrage des droits et devoirs des contractants est digne d’attention, même s’il est vrai qu’en se positionnant sur le terrain de la notion même de garantie, il devrait revenir au garant de s’exonérer de ses obligations. Le choix de la Commission est donc orthodoxe à l’égard de ce dernier point, mais peut-être dépassé.

En effet, sur le plan de la justice contractuelle, il serait aussi possible de considérer que le contractant garanti doit mettre en mesure son garant de satisfaire à son obligation de garantie. En s’y refusant, il fait obstacle à l’exécution, en même temps qu’il accroît le risque d’éviction, ce qui doit libérer le garant.

Sur le plan de l’opportunité politique, exiger que l’acheteur fasse intervenir son vendeur contribue à une concentration du contentieux, justifiée par le principe de loyauté qui gouverne le procès civil, et opportune relativement à l’objectif de bonne administration de la justice. L’argument du désengorgement des juridictions et d’une meilleure fluidité du contentieux ne doit pas être négligé.

Pour ces raisons, émettons le souhait que la Commission renonce cette fois-ci à l’orthodoxie en proposant une mise en œuvre modernisée de la garantie d’éviction. L’ambition n’est pas excessive si elle laisse la chance à l’acheteur, décidément obstiné ou insouciant, de se rattraper en prouvant que les arguments de son vendeur n’auraient pas permis d’éviter l’éviction. La modernisation du texte doit aussi passer par une reformulation de sa lettre.

Sur la lettre

L’article 1627 apporte une précision importante, bien qu’évidente, à savoir que les arguments suffisants pour rejeter la demande du tiers ne doivent pas simplement avoir existé mais surtout ne pas avoir été invoqués. Il laisse cependant de côté des critères de mise en œuvre posés par l’actuel article 1640, dont on rappelle le contenu : l’acheteur doit avoir été condamné par « un jugement en dernier ressort, ou dont l’appel n’est plus recevable, sans appeler son vendeur, si celui-ci prouve qu’il existait des moyens suffisants pour faire rejeter la demande ». De façon avisée, le spécialiste de procédure civile rappellera que le législateur du Code Napoléon ne connaissait pas encore le code de procédure civile. Cela explique pourquoi l’article est daté et mérite une sérieuse mise à jour. D’ailleurs, relevons en aparté que la règle peut sembler aujourd’hui quelque peu superflue, dès lors que le vendeur assigné en garantie à titre principal pourrait théoriquement former une tierce opposition incidente et obtenir ainsi que lui soit déclaré inopposable le jugement d’éviction. Autrement dit, si la disposition du code civil n’existait plus, le code de procédure civile permettrait éventuellement au vendeur d’utiliser la voie de la tierce opposition pour se dégager de son obligation. Il n’en demeure pas moins que l’explicitation des conditions de mise en œuvre de la garantie mérite d’être maintenue dans le code civil, à condition de revenir sur la formulation.

Pour sa part, la Commission choisit de se centrer sur « l’éviction à la suite de l’action d’un tiers ». Ainsi présentée, l’éviction doit-elle être comprise comme le trouble résultant de l’action – étant donc déjà constitué en cours d’instance – ou comme le résultat d’une décision judiciaire ? Le rapprochement doit être fait avec l’actuel article 2233, alinéa 3, du code civil, disposant que la prescription ne court pas à l’égard d’une action en garantie, jusqu’à ce que l’éviction ait lieu. À la lumière de cette disposition, l’éviction s’entendrait donc, dans la lignée de l’actuel article 1640 du code civil, comme le résultat d’une décision judiciaire. À cet égard, la référence des rédacteurs de l’avant-projet à « l’action » peut être regrettée, d’autant qu’elle pose un problème d’articulation avec la suite de l’énoncé : « à laquelle le vendeur n’a pas été appelé ». À quoi le vendeur n’a-t-il pas été appelé : à l’action ? À l’instance, ou en la cause, faudrait-il comprendre de façon plus correcte. Il faudrait donc y renoncer au profit d’une autre terminologie. Encore faut-il deviner, revenons-y, le cadre de mise en œuvre de la garantie imaginé par la Commission. L’éviction doit-elle résulter d’une décision rendue en dernier ressort ? Rien ne le dit, et c’est sans doute un bon choix de ne plus retenir ce critère qui n’est pas le meilleur repère. En effet, si l’acheteur est condamné par une décision exécutoire, nul doute que l’éviction est consommée. La condamnation de l’acheteur par une décision exécutoire doit donc être, à notre sens, le critère pertinent devant être mis en lumière par le nouveau texte. La solution serait vertueuse : plus simple que l’actuel article 1640 du code civil, plus précise que l’article 1627 de l’avant-projet.

Reste encore à traiter de la mise en apposition « sans appeler son vendeur en garantie ». Sans analyser à nouveau l’esprit du texte, il faut se demander s’il faut continuer de raisonner sur la base de ce mécanisme procédural. Ce qui nuit fondamentalement aux intérêts du vendeur, c’est que lui soit opposée une décision non contradictoire à son égard. Or, théoriquement, la décision contradictoire à l’égard du vendeur pourrait résulter non pas d’une intervention forcée mais, par exemple, d’une jonction d’instances. Est-ce pour autant qu’il faudrait libérer le vendeur de son obligation de garantie ? Certainement pas. Allons donc jusqu’au bout de la rénovation du texte en préconisant de délaisser la notion d’appel en garantie, afin de retenir le critère plus opérationnel de la décision exécutoire non contradictoire à l’égard du vendeur.

Propositions de réécriture

In fine, le texte pourrait être entièrement repensé, rompant avec l’esprit du droit positif, ou plus modestement reformulé. Compte tenu de ces analyses, nous proposons donc alternativement une réécriture discordante et l’autre concordante :

Proposition de réécriture discordante :

Art. 1627 : Si l’éviction a lieu par l’effet d’une décision exécutoire non contradictoire à l’égard du vendeur, ce dernier est libéré de son obligation de garantie, à moins que l’acheteur ne prouve que les arguments du vendeur n’auraient pas permis d’éviter l’éviction.

Proposition de réécriture concordante :

Art. 1627 : Si l’éviction a lieu par l’effet d’une décision exécutoire non contradictoire à l’égard du vendeur, ce dernier doit la garantie, à moins qu’il ne prouve que l’acheteur n’a pas invoqué les moyens suffisants à éviter l’éviction.