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Le droit en débats

Avant-projet de réforme du contrat d’entreprise et répercussions sur le travail de création des œuvres de l’esprit

L’avant-projet du droit des contrats spéciaux du groupe de travail présidé par le professeur Philippe Stoffel-Munck retiendra l’attention du spécialiste de droit de la propriété littéraire et artistique car ses pages traitant du nouveau contrat d’entreprise apportent un nouvel éclairage au débat relatif à l’encadrement du travail de création.

Par Stéphanie Le Cam le 13 Juillet 2022

Pour l’écosystème de la création, cet avant-projet est à la fois porteur d’intérêts théoriques et très pratiques. Les rédacteurs ont récemment soumis une proposition de réécriture des articles composant le chapitre du code civil, relatif au contrat de louage et d’industrie (art. 1779 à 1799-1), chapitre devenu selon eux « l’un des plus lacunaires au regard de l’empire conquis par l’opération qu’il contemplait », puisque « l’univers immense des prestations de services intellectuels ou de la réalisation d’ouvrages mobiliers restait à la périphérie du droit écrit » (P. Stoffel-Munck, P. Puig et Y. Maunand, Présentation de l’avant-projet de réforme du contrat d’entreprise, mai 2022). Et si l’univers des prestations intellectuelles et des ouvrages mobiliers intègre évidemment celui des œuvres de l’esprit, il convient d’observer quelles conséquences juridiques pourrait avoir le nouveau contrat d’entreprise sur les rapports contractuels impliquant la commande d’une œuvre de l’esprit ; la pratique des commandes d’œuvre impliquant l’encadrement du travail de création, ayant été récemment l’objet de débats inédits.

Commande et travail de création, objet de débats inédits

Pour rappel, l’opportunité d’encadrer le travail de création par le biais d’un dispositif légal spécial a donné lieu à d’importantes réflexions collectives. Le débat a été lancé lors de la remise d’un rapport au ministère de la Culture sur la situation sociale des auteurs. Le responsable de cette mission, Bruno Racine, avait recommandé de confier au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique un travail de réflexion sur l’opportunité d’encadrer la commande d’une œuvre afin de lutter contre l’invisibilisation du travail de création et mieux rémunérer les auteurs (B. Racine, L’auteur et l’acte de création, rapport au ministre de la Culture, janv. 2020). Par la suite, une mission flash de l’Assemblée nationale annonçait ne pas être favorable à cette proposition, refusant que la rémunération des auteurs puisse être corrélée au temps de travail lié à l’activité créatrice. Une telle mesure était jugée « contraire à la conception française du droit d’auteur » (Mission flash sur le statut des auteurs, comm. de P. Bois et C. Le Grip, rapporteurs, juill. 2020). Puis, un communiqué signé par le Conseil permanent des écrivains, le Syndicat national de l’édition et le Syndicat de la librairie française allait globalement dans le même sens en considérant le contrat de commande comme « une fausse bonne idée » (comm. commun du CPE, du SNE et du SLF, 19 oct. 2020).

C’est dans ce contexte que la mission Sirinelli-Dormont rendait son rapport au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Ils concluaient notamment que l’encadrement de la commande aurait pour avantage de « préciser la structure de la rémunération de l’auteur pour valoriser la phase de création », par la création d’une étanchéité « entre la rémunération payée en amont pour la création et celle obtenue au titre de l’exploitation de l’œuvre » (P. Sirinelli et S. Dormont, Le contrat de commande, rapport présenté à la réunion plénière du CSPLA du 15 déc. 2020, p. 20). Les rapporteurs de la mission avaient alors cerné un « curieux paradoxe » : « le mécanisme des avances mis en place (quand il existe) dans l’édition littéraire a pour conséquence que le paiement d’une partie des fruits de l’exploitation dès la commande de l’œuvre permet – de façon heureuse – d’apporter des subsides à l’auteur durant la phase de création, mais pas nécessairement de lui fournir des revenus durant l’exploitation de sa création, car le point de recoupement ne serait pas, le plus souvent, atteint » (P. Sirinelli et S. Dormont, op. cit., p. 44). Ayant bien admis le problème à surmonter, la mission avait conclu qu’il ne pouvait pas être réglé par un mécanisme ajouté au sein du code de la propriété intellectuelle, puisque la fonction de ce dernier est très différente. Ils avaient alors recommandé que les partenaires sociaux se réunissent pour y apporter une solution via la négociation collective. Et depuis cette publication, la question de l’encadrement du travail de création est restée au point mort. La publication récente de l’avant-projet de réforme Stoffel-Munck sur le contrat d’entreprise relancera donc très certainement le débat.

Œuvres créées versus œuvres à créer

En l’absence de traitement spécifique de la commande des œuvres, on en vient à traiter juridiquement de manière identique deux situations pourtant éloignées. La première situation concerne l’auteur ayant déjà créé une œuvre et partant à la recherche d’un exploitant (éditeur, diffuseur, producteur, etc.) en vue d’obtenir de ce dernier la prise d’un risque économique d’exploiter les droits patrimoniaux nés sur cette œuvre. La seconde situation concerne le cas d’une œuvre qui n’est pas encore réalisée : l’auteur et l’exploitant convenant entre eux que l’auteur réalisera l’œuvre en vue ensuite de permettre à l’autre d’en exploiter les droits. Or, à défaut d’être spécialement encadrée, cette seconde réalité est conçue de la même manière que la première.

Pourtant, cette figure de l’œuvre à créer est très répandue en pratique puisque depuis deux siècles, les logiques des industries culturelles ont largement évolué. Face aux disponibilités inédites de nouveaux publics, la recherche de nouveaux contenus culturels a été de plus en plus active afin de répondre à de nouveaux besoins (notamment ceux de classes ouvrières ayant vu leur temps de travail réduire et de facto leur temps de loisir augmenter, tout au long du XXe siècle, v. en ce sens H. Arendt, La crise de la culture, Gallimard, coll. « Folio essais », 1989). Et la Révolution numérique, que nous connaissons depuis trente ans, en a amplifié les effets. Face à la multiplication des plateformes, on ne s’étonnera pas de constater que dans le domaine de l’audiovisuel, les œuvres commandées sont largement répandues (P. Sirinelli et S. Dormont, op. cit., p. 27). En outre, les politiques culturelles françaises ne cessent de développer des campagnes, des appels à projets dans le but de faire travailler des auteurs en leur commandant des œuvres. Cette pratique est aussi impulsée par les institutions (en ce sens, le président de la République, E. Macron, avait présenté dans une conférence de presse du 6 mai 2020, un grand projet de commande publique d’œuvres en espaces publics).

Ces deux cas de figure – une œuvre déjà créée versus une œuvre à créer – entretiennent la tension entre vocation et profession, la figure de l’auteur étant systématiquement renvoyée à une représentation dans laquelle l’acte de création est éloigné de toute directive préalable (au risque de perdre la qualité d’œuvre et d’auteur). Pourtant, on admet parfaitement qu’un auteur salarié puisse rester titulaire des droits sur les œuvres qu’il crée au service d’une entreprise, laquelle lui a donné l’ordre et les directives pour créer lesdites œuvres. On peine donc à comprendre le blocage consistant à concevoir l’auteur comme un « entrepreneur » au service d’un « maître d’ouvrage », alors même que la figure contractuelle définie par les rédacteurs de l’avant-projet ici commenté se calque parfaitement aux réalités pratiques que beaucoup d’auteurs vivent au quotidien en recevant des commandes. D’ailleurs, les rédacteurs du présent avant-projet visent eux-mêmes à titre d’illustration ces « auteurs » en tant qu’entrepreneurs, lorsqu’ils font référence à propos du contrat d’entreprise aux accords de volontés portant sur un bien ou un service sans rémunération en visant notamment le cas de « l’artiste » qui à titre gratuit se produirait pour une grande cause…

Le nouveau contrat d’entreprise… à titre gratuit ou onéreux

Parfaitement adaptable aux réalités préalablement décrites, ce nouveau contrat d’entreprise a pour objet « la création d’une richesse nouvelle par l’activité indépendante de l’entrepreneur dans l’accomplissement d’une prestation aux contours concrètement déterminés » (P. Stoffel-Munck, P. Puig et Y. Maunand, op. cit.). Les rédacteurs précisent qu’il se distingue du contrat de travail, étant dépourvu d’un lien de subordination, lequel ne se caractérise qu’à l’aide d’un faisceau d’indices (lieu d’exécution de la prestation : Soc. 13 nov. 1986, n° 84-40.672 P ; contraintes d’horaires de la prestation : Soc. 12 déc. 1990, nos 89-60.812 et 89-60.812 P ; apport du matériel : Soc. 13 nov. 1986, n° 84-40.672 P ; instructions données : Soc. 10 mai 1990, n° 85-10.958 P). Un auteur indépendant peut donc parfaitement s’engager dans un contrat d’entreprise, sans risquer une requalification en contrat de travail…

L’article 1745 du projet dispose alors que « le contrat d’entreprise est celui par lequel l’entrepreneur réaliser, de façon indépendante, un ouvrage au profit de son client, maître de l’ouvrage. L’ouvrage peut être matériel ou intellectuel. Il consiste en un bien ou un service ». Parties au contrat d’entreprise lorsqu’ils s’engagent à créer une œuvre pour le compte d’un maître d’ouvrage, les auteurs seraient alors soumis aux dispositions communes à tous les contrats d’entreprise.

S’il était de la substance du contrat de louage qu’il y ait un prix : « celui qui donne l’ouvrage à faire s’oblige de payer à celui qui s’est chargé de le faire » (R.J. Pothier, Traité du contrat de louage et Traité des cheptels selon les règles, tant du for de la conscience que du for extérieur, Paris, 1778, n° 397), les rédacteurs de l’avant-projet rompent ainsi avec les origines romaines de la locatio operis faciendi, qui n’admettait pas qu’un louage pût être gratuit. En ce sens, l’article 1746 dispose que « le contrat d’entreprise peut-être gratuit ou onéreux ». Il contient cependant un second alinéa, le contrat d’entreprise « est présumé onéreux lorsque l’ouvrage à réaliser est en rapport direct avec l’activité professionnelle de l’entrepreneur ». Et à ce titre, son application au secteur littéraire et artistique est intéressante à deux égards.

D’abord, comme nous l’avons vu précédemment, le travail de création est souvent invisibilisé lorsqu’il est rémunéré sous forme d’avance sur droits d’auteur afin de permettre à l’auteur de vivre en attendant l’exploitation de l’œuvre. On note d’ailleurs que cette avance ne lui permet pas seulement de créer l’œuvre, mais de faire face au coût des transferts de charges techniques plus fréquents qui appartenaient avant aux éditeurs (scans et nettoyage de planches, corrections, promotions sur les réseaux, etc.). Il en résulte qu’ils touchent en amont une somme qu’ils auraient du toucher lors de l’exploitation de l’œuvre, ce qui revient à engager gratuitement leur force de travail.

Ensuite, la présomption de non-gratuité lorsque l’entrepreneur est un professionnel nous semble la bienvenue dans les cas plus généraux tant elle participe à rendre visible ce travail professionnel qui ne l’était pas. En revanche, elle paraît assez mal ajustée au secteur de la création qui occulte globalement la différence entre les auteurs professionnels et non professionnels (P. Sirinelli et S. Dormont, op. cit., p. 42). En l’absence de critères de professionnalité, on pourra y voir une vraie difficulté d’application en pratique… Sur la base de quels critères faudra-t-il conclure à la professionnalité des auteurs et admettre le maintien d’une présomption du caractère onéreux du contrat d’entreprise ? En l’absence de règles, il faudra prouver qu’on a signé le contrat d’entreprise en tant que professionnel. Le numéro de Siret d’artistes-auteurs suffira-t-il ? Faudra-t-il prouver l’exercice régulier de l’activité ou le gain de revenus suffisant ? En somme, l’avant-projet a le mérite de soulever le doute qui existait à propos du caractère toujours onéreux du contrat d’entreprise. Et même si la possibilité d’en faire un contrat à titre gratuit est admise par les rédacteurs, on cerne dans leur esprit que c’est bien à titre exceptionnel que cette caractéristique du contrat devra être appréciée par le juge.

La prévision de figures contractuelles hybrides

Parmi les dispositions communes à tous les contrats d’entreprise est introduit un article 1747 disposant que, « lorsque l’ouvrage requiert, pour sa parfaite exécution, des prestations relevant habituellement d’autres contrats nommés, telles que la mise à disposition, la garde, la conservation, le déplacement d’un bien ou la conclusion d’actes juridiques, ces prestations obéissent, en tant que de raison, aux règles particulières régissant ces contrats ». Cette référence à l’association possible du contrat d’entreprise à d’autres figures contractuelles est très pertinente quand on voit apparaître des hybridations de plus en plus complexes. D’ailleurs, au sein du secteur de la création, de nombreux contrats dénommés « cession », « édition », « production audiovisuelle » sont en réalité des contrats mixtes puisqu’ils stipulent aussi des clauses propres à la commande d’une œuvre et au travail de création. Certains vont même jusqu’à annexer un cahier des charges relatif aux exigences matérielles convenues par les parties (date de rendu, nombres de pages, style, caractéristique des personnages, etc.), ce qui implique évidemment que le contrat n’est pas seulement un contrat de cession, mais un contrat hybride.

Or la pratique semble retenir une qualification exclusive du contrat de cession (v. en ce sens un arrêt très récent, Paris, pôle 5, ch. 1, 11 mai 2022, n° 20/11386, Dalloz actualité, 2 juin 2022, obs. D. Goulette). Il en résulte que le régime du contrat nommé s’impose aux règles encadrant normalement les autres figures contractuelles apparentes, par exemple le contrat d’entreprise. La qualification exclusive supposant la mise en œuvre de la maxime accessorium sequiture principale. Or ce choix est très discutable tant il semble que les deux composantes (contrat d’entreprise, d’une part, et contrat de cession, d’autre part) sont impossibles à réduire l’une à l’autre. Si d’un côté, l’exploitation de l’œuvre n’est pas accessoire au contrat d’entreprise et de l’autre côté, le contrat d’entreprise, encadrant le travail de création, ne peut pas être réduit au contrat de cession.

Cette figure contractuelle hybride appelle une qualification distributive permettant à chacune des composantes de conserver son intégrité et de respecter le régime qui lui est associé. Du reste, les contrats sont successifs, leur temporalité est très distincte : le passage du contrat d’entreprise au contrat de cession des droits étant matérialisé par le transfert de l’œuvre au maître d’ouvrage, garant de son exploitation, on ne voit pas en quoi le cumul des régimes du contrat d’entreprise et du contrat de cession poserait un problème.

C’est en ce sens que les rédacteurs de l’avant-projet ont tranché. Et à la question de savoir si l’on doit opter pour une qualification exclusive ou, au contraire, une qualification distributive, leur réponse ne fait aucun doute et est, à ce titre, parfaitement à l’abri de la critique : la qualification distributive s’imposant : « le contrat est alors hybride » et la méthode « distributive » (P. Stoffel-Munck, P. Puig et Y. Maunand, op. cit.).

La formation du contrat d’entreprise

À propos de la formation du contrat, deux articles retiendront particulièrement l’attention. Le premier (art. 1749) prévoit qu’« un devis peut être établi pour décrire l’ouvrage à réaliser et estimer son prix. Il ne donne pas lieu à rémunération, sauf convention contraire. Le devis engage l’entrepreneur pendant la durée fixée ou, à défaut, pendant un délai raisonnable ». Le second (art. 1750) dispose que « le contrat d’entreprise est valablement formé sans accord préalable sur le prix. À défaut d’accord sur le prix, le juge le fixe en fonction de la qualité de l’ouvrage réalisé, des attentes légitimes des parties, des usages de tout autre élément pertinent ».

La référence au devis provoquera sans doute une crainte pour une partie des acteurs de l’écosystème de la création, dans la mesure où certains ne sont absolument pas habitués à cette pratique. Le secteur littéraire et artistique est confronté à deux pratiques divergentes. Du côté des artistes visuels, des designers, des photographes, les devis sont courants (la liste n’est pas exhaustive, certains écrivains, scénaristes, traducteurs sont habitués à cette pratique). Ils reçoivent une demande de prestations et adressent un devis à leurs clients. Si celui-ci est accepté, ils réalisent le travail artistique commandé. À la remise de l’œuvre, ils renvoient alors leur facture, laquelle peut prévoir directement par l’ajout de quelques lignes que les droits d’exploitation sont compris dans le prix et cédés pour une durée déterminée, sans précisions concrètes sur les usages autorisés de l’œuvre transférée. On remarque alors que le formalisme lié aux cessions des droits est plutôt négligé au risque parfois de créer des incertitudes dans les usages autorisés… En revanche, le travail de création est plus visible.

Dans d’autres domaines (livre, musique, cinéma et audiovisuel), l’usage des devis est plus rare, et cela même si l’auteur a été sollicité pour réaliser un travail artistique et qu’il a reçu une commande. Dans ce cas, auteurs et futurs exploitants parviennent à un accord sur le montant d’une avance qui sera versée en plusieurs fois durant le temps de la réalisation de l’œuvre. Cette contrepartie directe du contrat de cession est donc versée ici en guise de rémunération pour le temps de travail de création, sans le dire toutefois. L’avance sera amortissable et remboursable au fur et à mesure de l’exploitation de l’œuvre. Ici, le formalisme de la cession est plus strict (les contrats de cession atteignant parfois une trentaine de pages), mais c’est au détriment d’un encadrement plus rigoureux du travail de création.

D’un point de vue juridique, la qualification distributive du contrat mixte (entreprise-cession) devrait conduire le juge à fixer un prix en contrepartie du travail de création, si celui-ci n’est pas prévu au contrat. Le juge pourrait alors déterminer ce prix en prenant en compte les éléments de l’espèce (Civ. 1re, 4 oct. 1989, n° 87-19.193 P) et notamment la quantité du travail fourni (Civ. 1re, 18 nov. 1997, n° 95-16.367, Defrénois 1998. 405, obs. C. Atias) ou la bonne ou mauvaise exécution du travail (Com. 2 mars 1993, n° 90-20.289 P, Compagnie française des Conseils indépendants c/ Biscuiterie Delfour (Sté), D. 1994. 11 , obs. J. Kullmann ; RTD civ. 1994. 346, obs. J. Mestre ). Le juge pourrait également prendre en compte les demandes de modifications substantielles qui ont été faites par le maître d’ouvrage. Celles-ci sont très fréquentes dans le secteur de la création, sans toutefois donner lieu à une révision du prix lorsque l’économie du contrat s’en trouve bouleversée.

Cette évolution aura des conséquences sur les modèles économiques de la création, et il se pourrait bien qu’elle n’entraîne pas d’enrichissement direct pour les auteurs. Il y a lieu de craindre que les rémunérations de l’exploitation basculant vers les rémunérations du travail ou que les avances baissent. Cela dit, cette étanchéité garantie entre les deux rémunérations dues permettra leur sécurisation juridique (elles ne seront plus remboursables) ; les auteurs touchant alors leurs droits d’exploitation dès le premier exemplaire vendu.

L’exécution du contrat d’entreprise

Parmi les autres dispositions de l’avant-projet propres à l’exécution du contrat d’entreprise, certaines auront un écho particulier au sein du secteur littéraire et artistique. Ainsi, l’article 1754 vise le cas de plusieurs entrepreneurs concourant à la réalisation d’un même ouvrage, ce qui ne sera pas sans rappeler le régime de l’œuvre de collaboration (v. CPI, art. L. 113-2). Il prévoit notamment que, « si plusieurs entrepreneurs concourent à la réalisation de l’ouvrage, chacun est tenu envers le client de coopérer dont l’intervention s’imbrique avec la sienne ». L’article 1756 prévoit le cas de l’immixtion du client dans la réalisation de l’ouvrage que l’entrepreneur pourrait estimer inappropriée. Cette disposition semble d’emblée parfaitement compatible avec les dispositions propres au droit moral de l’auteur (v. CPI, art. L. 121-1 s.).

On portera davantage l’attention sur l’obligation de remettre l’œuvre. L’article 1753 prévoit que « l’entrepreneur est tenu de réaliser l’ouvrage convenu et de le délivrer au client dans le délai fixé ou, à défaut, dans un délai raisonnable ». En tant qu’entrepreneur, l’auteur doit réaliser l’œuvre en respectant un délai, qui s’il n’est pas fixé devra être raisonnable, en ce sens les rédacteurs intègrent au projet la position claire de la Cour de cassation (v. not. Civ. 3e, 16 mars 2011, n° 10-14.051 P, Dalloz actualité, 31 mars 2011, obs. F. Garcia; D. 2011. 947 ; RDI 2011. 333, obs. B. Boubli ; RTD civ. 2011. 533, obs. B. Fages ; CCC 2011. Comm. 135, obs. L. Leveneur). Les dates de remise de l’œuvre étant fréquemment indiquées dans les contrats d’auteur (l’exploitant devant – et c’est tout à fait logique – pouvoir sécuriser juridiquement son projet éditorial), il s’agira alors pour le juge d’apprécier au regard des faits si le délai en question est raisonnable. Par exemple, l’avènement des risques liés à la vie de l’auteur pourrait être pris en considération afin d’aménager cette obligation de délivrer l’œuvre dans les délais fixés.

En tout état de cause, cet avant-projet redéfinit un régime juridique plus clair du contrat d’entreprise. Et, au vu des nombreux enjeux qui sont en cause, il devra rouvrir le débat sur l’encadrement du travail de création au sein du secteur littéraire et artistique.