Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : l’obligation de délivrance

Alors que le ministère de la Justice rend public un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux qui sera officiellement soumis à consultation publique en juillet 2022, Dalloz actualité vous propose, sous la direction des professeurs Gaël Chantepie et Mathias Latina, de participer pleinement à cette réflexion au travers d’une série de commentaires critiques de cet important projet de réforme qui complète la réforme majeure du droit des obligations de 2016. Focus sur l’obligation de délivrance.

Par Gaël Chantepie le 13 Juillet 2022

Outre les obligations de garantie en cas d’éviction et contre les vices du bien vendu, le vendeur est tenu d’une obligation de délivrance. Fidèle à l’esprit de l’article 1603 du code civil, l’article 1618 de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux maintient une présentation sous forme d’annonce de ces obligations, sans en développer le contenu. C’est seulement au sein d’un premier paragraphe, comprenant quatre articles, que l’obligation de délivrance est détaillée.

Formellement, la simplification paraît très nette, puisque la section actuelle du code contient une vingtaine d’articles. À mieux y regarder, un certain nombre de textes ont simplement été déplacés au titre des ventes immobilières, dans une sous-section consacrée à la garantie de contenance1. Mais à s’en tenir à l’obligation de délivrance stricto sensu, la commission propose malgré tout une réécriture sous une forme plus concise de textes assez désuets et parfois redondants. Ainsi, notamment, les règles consacrées aux modalités de la délivrance sont pour l’essentiel supprimées2. De même, les diverses sanctions de la violation de l’obligation de délivrance3, qui ne présentaient plus d’intérêt depuis la réforme du droit des obligations, ne sont pas reprises dans le droit de la vente, ce qui est heureux.

Le principal changement, néanmoins, ne figure pas explicitement dans la lettre des articles 1619 à 1622 de l’avant-projet, mais dans la définition du vice caché, qui inclut désormais non seulement le bien impropre à l’usage habituellement attendu d’un bien semblable, mais aussi le fait qu’il ne soit « pas conforme aux spécifications du contrat » (art. 1641). En intégrant le manquement à l’obligation de délivrance conforme au sein de la garantie des vices cachés, la commission a fait le choix opportun de la simplification. Mais l’obligation de délivrance qui subsiste présente-t-elle toujours le même intérêt ?

§ 1 – De l’obligation de délivrance

Art. 1619 : Le vendeur est tenu de mettre le bien vendu à la disposition de l’acheteur.
L’obligation de délivrer le bien comprend ses accessoires, notamment tout autre bien, ou information que requiert son usage.

Art. 1620 : Si, lors de la vente, le bien vendu se trouve déjà en la puissance de l’acheteur, le seul consentement des parties suffit à opérer la délivrance.

Art. 1621 : La délivrance doit être exécutée au lieu convenu par les parties. À défaut, elle s’opère au lieu où se trouve le bien lors de la conclusion du contrat.

Dans le silence du contrat, la délivrance s’opère dans un délai raisonnable.

Art. 1622 : Les frais de la délivrance sont à la charge du vendeur.

Notion de délivrance

La délivrance de la chose « est le premier et le plus important des engagements du vendeur »4. L’avant-projet abandonne la définition critiquée de l’article 1604 du code civil, qui visait « le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur » et la définit, à la suite de la Convention de Vienne5, comme la mise à disposition du bien vendu à l’acheteur. Ce faisant, l’avant-projet insiste sur la dimension matérielle de la délivrance, commune à plusieurs contrats. Le texte de l’avant-projet se démarque, sur ce point, de l’avant-projet Capitant, qui faisait de la délivrance une obligation transversale6. Le droit commun des obligations suggérait une telle approche en prévoyant que « l’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable »7. Le choix de la commission est sans doute plus lisible, mais il oblige à harmoniser les dispositions relatives à la délivrance dans la vente, le bail et le prêt.

Contenu de l’obligation de délivrance

Le contenu de l’obligation de délivrance est précisé à l’article 1619 de l’avant-projet. Il est cependant affecté, en creux, par les textes relatifs à la garantie des vices cachés.

Positivement, l’article 1619, alinéa 2, de l’avant-projet, reprend la substance de l’article 1615 du code civil, en étendant la délivrance aux accessoires de la chose, qui incluent tout autre bien ou information que requiert son usage. L’usage du bien vendu constitue toujours le critère d’appréciation des accessoires devant être délivrés : emballages, certificat administratif, mode d’emploi, etc.

L’avant-projet vise également expressément les informations, dans le prolongement de la jurisprudence antérieure. L’obligation d’information conserverait ainsi sa double nature, requise à la fois au cours de la période précontractuelle8 et dans l’exécution des obligations du vendeur. De fait, il paraît difficile d’en réduire le champ à la seule phase précontractuelle, tant l’information est à cheval sur les périodes de formation et d’exécution du contrat. L’obligation d’information du vendeur se prolonge même après la conclusion du contrat et le texte proposé permet sans doute de justifier certaines prestations de service accessoires à la vente, telles que la mise au point ou les réglages d’un appareil complexe9. Mais en l’état, il demeure ambigu en ce qu’il se contente de mentionner l’information comme un accessoire du bien, sans rien dire de son régime. Notamment, puisque l’avant-projet a intégré la qualification de vendeur professionnel10, il serait cohérent de consacrer la jurisprudence qui a retenu un niveau d’exigence accru à son égard. Une disposition spécifique pourrait ainsi viser l’obligation d’information du vendeur, plutôt qu’une simple mention au titre des accessoires du bien vendu11. Tout en maintenant le lien avec la délivrance du bien, sa spécificité serait accentuée en insistant sur la finalité de l’information requise à ce stade, aider l’acheteur à retirer l’utilité du bien qu’il acquiert12.

L’article 1619 ne dit rien de la transmission des contrats ou des actions en justice. S’agissant des contrats, la question relève assurément de la règle de l’effet relatif des contrats et n’a pas à être reprise dans le droit de la vente. S’agissant des actions, la controverse doctrinale et jurisprudentielle a été considérable. On sait que la Cour de cassation a admis le transfert de l’action de l’acquéreur au sous-acquéreur en se fondant sur la transmission des accessoires13, de même qu’elle a plus récemment jugé qu’en l’absence de clause contraire, les acquéreurs successifs d’un immeuble avaient qualité à agir contre les constructeurs sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun qui accompagne l’immeuble en tant qu’accessoire14. Si ces créances d’indemnisation peuvent recevoir la qualification de bien, au sens du droit européen des droits de l’homme, l’usage de ce terme, dans l’article 1619 n’a sans doute pas été conçu en ce sens. La commission traite en effet de la question au titre du transfert de propriété, alors même qu’on pourrait espérer une approche globale à l’occasion d’une réforme de la responsabilité civile15. Il ne faut donc pas insérer de dispositions relatives au sort des actions au sein du droit de la vente.

Négativement, l’évolution la plus remarquable de l’obligation de délivrance réside dans le régime spécifique applicable à la conformité du bien. Jusqu’à présent, il était admis que l’obligation de délivrer la chose vendue impliquait de délivrer une chose conforme à celle promise dans le contrat. Or l’avant-projet de réforme envisage, à la suite de la garantie légale de conformité offerte aux consommateurs, de fusionner la garantie des vices cachés et l’action en délivrance non conforme en une action unique, obéissant au régime de la première citée16. La simplification opérée permettra sans doute de faire cesser cette irritante question de qualification, dont les conséquences procédurales s’avèrent particulièrement sévères pour l’acheteur mal conseillé. On peut d’ailleurs regretter que la proposition faite par la commission présidée par Geneviève Viney, il y a une vingtaine d’années, n’ait pas connu un autre sort17. Ce projet suggérait de fondre la garantie des vices cachés au sein de l’obligation de délivrance, plutôt que de soumettre la sanction de la délivrance non conforme au régime de la garantie des vices cachés. Or le choix opéré par l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux laisse subsister des difficultés d’articulation potentielles, dès lors que les sanctions de droit commun demeurent applicables aux manquements à l’obligation de délivrance, à l’exclusion de la non-conformité aux spécifications du contrat. Pour y remédier, une réécriture plus profonde des actions offertes à l’acheteur déçu serait alors nécessaire.

Quoi qu’il en soit, le transfert de la délivrance non conforme au sein de la garantie des vices cachés entraîne une difficulté d’analyse. Soit l’on considère que l’obligation de délivrance n’inclut plus la conformité de la chose, ce qui en limite la portée et ne permet pas d’expliquer rationnellement l’exigence de conformité dont on retrouve des applications dans les garanties des vices et de la contenance. Soit il faut admettre que la délivrance du bien vendu s’entend toujours d’un bien conforme aux spécifications contractuelles, et le manquement à l’exigence de conformité est alors simplement soumis à un régime particulier, celui de la garantie des vices cachés18. Cela conduit néanmoins à une évolution sensible du régime de l’obligation de délivrance, car il est généralement admis qu’elle constitue « l’obligation essentielle qui pèse sur le vendeur »19. Or la garantie des vices cachés permet en principe, en droit positif comme dans le régime issu de l’avant-projet, d’aménager cette garantie, ce qui déroge assez nettement à l’article 1170 du code civil. Le sort réservé aux vices apparents laisse craindre que l’acheteur soit moins protégé qu’auparavant, du moins lorsqu’il ne bénéficie pas des règles réservées au consommateur.

Modalités de l’obligation de délivrance

L’avant-projet de réforme réduit drastiquement les textes consacrés aux modalités de l’obligation de délivrance, qui ne méritent qu’un bref aperçu.

Quant aux modes de délivrance, le texte ne vise plus que l’hypothèse particulière où le bien vendu se serait déjà trouvé entre les mains de l’acheteur au moment de la vente. Dans ce cas, l’article 1620 de l’avant-projet prévoit que « le seul consentement des parties suffit à opérer la délivrance ». Le texte vise de manière étonnante la « puissance de l’acheteur », par écho à l’article 1604 du code civil, dont la rédaction, tirée de Domat, est pourtant abandonnée par l’article 1619 de l’avant-projet. Le terme mériterait d’être modifié, d’autant que l’article 1609, alinéa 3, de l’avant-projet vise la mise en possession du bien20. Un souci de pédagogie pourrait justifier que soient mentionnés les modes principaux de délivrance, livraison et retirement, ne serait-ce que pour mettre fin à une confusion historique entre délivrance et livraison.

Quant au lieu ou au moment de la délivrance, ensuite, l’avant-projet reprend des solutions déjà admises, en posant des règles supplétives : délivrance au lieu où se trouve le bien au moment de la conclusion du contrat21 ; délivrance dans un délai raisonnable22. La solution est satisfaisante, dans la mesure où le droit de la consommation prévoit des règles plus protectrices à l’égard de l’acheteur-consommateur23. Le texte ne dit rien de l’obligation de conservation du bien avant la délivrance, laquelle repose sur le vendeur, conformément à l’article 1197 du code civil24.

Quant aux frais de la délivrance, enfin, ils sont mis à la charge du vendeur, l’article 1622 de l’avant-projet reprenant en partie l’article 1608 du code civil, les dispositions relatives aux frais de retirement étant déplacées au titre des obligations de l’acheteur (art. 1633). De nouveau, la solution applique un principe de droit commun25, mais la lisibilité de la règle, appliquée spécialement à la vente, en justifie le maintien.

Propositions alternatives

§ 1 – De l’obligation de délivrance

Art. 1619 : Le vendeur est tenu de mettre le bien vendu à la disposition de l’acheteur.

L’obligation de délivrer le bien comprend ses accessoires, notamment tout autre bien que requiert son usage.

Suppression de la mention de l’information, qui fait l’objet d’un texte spécifique.

Art. 1619-1 : Le vendeur est tenu de fournir à l’acheteur les informations lui permettant de retirer du bien l’utilité attendue au regard de l’usage qu’il lui aura spécifié.

Le vendeur professionnel est tenu de s’assurer des besoins de l’acheteur et de l’informer de l’adéquation du bien vendu à l’usage projeté.

Ajout d’un texte relatif à l’obligation d’information du vendeur, visant spécifiquement l’utilité attendue du bien et son usage, ce qui la démarque de l’obligation générale d’information de l’article 1112-1. Le second alinéa consacrerait la jurisprudence de la Cour de cassation.

Art. 1620 : La délivrance s’opère principalement par la livraison ou le retirement du bien.

Si, lors de la vente, le bien vendu est déjà détenu par l’acheteur, le seul consentement des parties suffit à opérer la délivrance.

Ajout d’un alinéa énonçant les modes principaux de délivrance.

Art. 1621 : Dans le silence du contrat, la délivrance s’opère au lieu où se trouve le bien lors de la conclusion du contrat et dans un délai raisonnable.

Modification purement rédactionnelle.

Art. 1622 : Les frais de la délivrance sont à la charge du vendeur.

Repris à l’identique. 

 

Notes

1. V. G. Chantepie, La garantie de contenance, Dalloz actualité, 3 juin 2022.

2. C. civ., art. 1605 à 1607, à l’exception de l’une des hypothèses visées par l’art. 1606, reprise dans l’art. 1620 de l’avant-projet ; v. infra.

3. C. civ., art. 1610 à 1613.

4. B. Gross et P. Bihr, Contrats, 2e éd., PUF, 2002, n° 284.

5. CVIM, art. 31, c), qui la définit à rebours, pour les cas où le vendeur n’est pas tenu à une obligation de livraison.

6. Avant-projet Capitant, art. 5, al. 1er : « Le débiteur de la délivrance doit mettre le bien et ses accessoires à disposition du créancier ».

7. C. civ., art. 1197.

8. C. civ., art. 1112-1. L’avant-projet conserve aussi la substance de l’art. 1602 du code civil en prévoyant que « le vendeur est tenu d’exprimer clairement ce qui se rapporte aux qualités et caractéristiques du bien qu’il cède » (art. 1617). Ce texte, parfois considéré comme fondant l’obligation d’information du vendeur, traite pourtant de l’interprétation du contrat et ne relève donc pas des obligations du vendeur.

9. V. not. Com. 10 févr. 2015, n° 13-24.501, Dalloz actualité, 6 mars 2015, obs. C. Assimopoulos ; D. 2015. 1683 , note T. Rouhette et C. Tilliard ; RTD com. 2015. 341, obs. D. Legeais ; ibid. 348, obs. B. Bouloc .

10. V. not., art. 1626, al. 2 : « Est un vendeur professionnel celui qui se livre de manière habituelle à des ventes de biens semblables au bien vendu ».

11. Rappr. Avant-projet Capitant, art. 27, al. 2 : « Il doit fournir à l’acheteur toute information sur la situation juridique du bien et ses caractéristiques, notamment au regard de l’usage spécifié par l’acheteur ».

12. Rappr. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Contrats, 1re éd., PUF, 2016, n° 53.

13. Civ. 1re, 9 oct. 1979, n° 78-12.502.

14. Civ. 3e, 10 juill. 2013, n° 12-21.910, Dalloz actualité, 11 sept. 2013, obs. F. Garcia ; D. 2013. 2448 , note M. Cottet ; ibid. 2544, chron. A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; ibid. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RDI 2013. 517, étude A. Caston ; RTD civ. 2013. 839, obs. H. Barbier .

15. Avant-projet, art. 1612 : « Les droits, actions et charges afférents au bien vendu sont transmis de droit à ses acquéreurs successifs. Chaque vendeur conserve les actions en réparation de son préjudice personnel » ; v. sur cette question, M. Latina, Le transfert de propriété dans la vente, Dalloz actualité, 24 juin 2022.

16. Avant-projet, art. 1641, al. 2 ; v. O. Robin-Sabard, La garantie des vices, Dalloz actualité, 11 juill. 2022.

17. Rapport général du groupe de travail sur l’intégration en droit français de la directive du 25 mars 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, art. 1641 : « Le vendeur est tenu de livrer une chose conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance, quand même il ne les aurait pas connus. La chose est conforme au contrat lorsqu’elle présente les caractéristiques que les parties ont définies d’un commun accord et qu’elle est propre à l’usage habituellement attendu d’une chose semblable. »

18. Lequel pourrait d’ailleurs inclure la garantie de contenance, en cas de suppression des textes.

19. B. Gross et P. Bihr, op. cit., n° 285.

20. « Si l’acheteur est mis en possession du bien avant le transfert de propriété, il a l’obligation de le conserver. » Ce texte pourrait être déplacé au titre des obligations de l’acheteur ; v. en ce sens, M. Latina, art. préc.

21. C. civ., art. 1609, application de l’art. 1342-6.

22. Com. 12 nov. 2008, n° 07-19.676 : « à défaut de délai convenu, il appartient aux juges du fond de déterminer le délai raisonnable dans lequel le vendeur devait délivrer la chose vendue », Dalloz actualité, 19 nov. 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 3011 .

23. C. consom., art. L. 216-1, al. 2, qui prévoit, à défaut d’indication ou d’accord, une exécution « sans retard injustifié et au plus tard trente jours après la conclusion du contrat ».

24. Comp. avant-projet Capitant, art. 5, al. 2 : « L’obligation de délivrance emporte celle de conserver le bien jusqu’à ce qu’il soit enlevé ou livré ».

25. C. civ., art. 1342-7.