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Le droit en débats

Billet d’humeur à l’encontre de l’administration pénitentiaire

Par Étienne Noël le 08 Mai 2020

Le 29 avril dernier, le juge des référés près le tribunal administratif de Toulouse, saisi sur le fondement de la procédure dite du « référé liberté » a rendu une ordonnance enjoignant à :

« L’administration pénitentiaire (de la maison d’arrêt de Seysses, Haute-Garonne) de dispenser Mme X d’attester sur l’honneur, à l’oral ou l’écrit, ne pas présenter l’un des symptômes du virus covid-19 et ne pas avoir été en contact avec une personne présentant ces mêmes symptômes, aux fins de la laisser accéder à cet établissement dans le cadre de l’audience disciplinaire de son client du jeudi 30 avril 2020 à 14 h 30 ».

Cette décision faisait suite à l’exigence qui avait été formulée par la direction de cet établissement auprès de l’avocat saisi par une personne détenue convoquée par la commission de discipline, consistant à ce que le conseil fournisse le document cité ci-dessus, faute de quoi, il lui serait interdit de pénétrer dans l’établissement pénitentiaire.

L’avocat a eu l’immense mérite de ne pas être « tétanisé » par cette exigence totalement exorbitante et a eu l’excellent réflexe de saisir immédiatement le tribunal administratif d’une procédure de référé liberté, procédure qui présente la particularité de se dénouer dans des délais très rapides d’au maximum 48 heures, ce qui lui permettait, en cas de succès, d’assister son client lors de la commission, fixée le lendemain 30 avril.

Cette décision sanctionne un comportement, encore, hélas, beaucoup trop fréquent, de la part de l’administration pénitentiaire, celui de s’imaginer qu’elle peut encore tout décider, celui de s’imaginer au-dessus de tout contrôle.

Il faut dire que cela a pourtant été le cas durant des décennies. Il est difficile de perdre ce pli !

Jusqu’à la fin des années 1990, rarissimes étaient les décisions sanctionnant l’administration pénitentiaire. Peur des personnes détenues de s’attaquer à cette forteresse qui les écrasait, investissement des avocats proche de zéro, jurisprudence inexistante ou presque, à part quelques arrêts très anciens du Conseil d’État…

Les choses ont fort heureusement changé !

Les juridictions administratives ont commencé à surveiller de beaucoup plus près l’activité de l’administration pénitentiaire, à pointer ses fautes, lourdes pour beaucoup d’entre elles. Le Conseil d’État, en 2003, a réduit le niveau de gravité de la faute permettant d’engager la responsabilité de l’État dans sa fonction pénitentiaire, les décisions se sont multipliées, sans pour autant devenir pléthoriques, leur densité s’est accrue.

Puis vint l’époque de l’instauration d’un contrôle des conditions de détention par les détenus eux-mêmes, cette fameuse vague des expertises de prisons donnant lieu aux premières condamnations de l’État concernant les conditions de détention inhumaines dans les maisons d’arrêt françaises.

Enfin, l’instauration quasi simultanée du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et du Défenseur des droits, en 2007 pour le CGLPL et en juillet 2008 pour le Défenseur des droits, a accru très sensiblement le contrôle par la société de la forteresse.

Malgré ces contrôles tous azimuts, l’administration pénitentiaire, imperturbablement, continue à agir comme si elle était seule au monde, chaque chef d’établissement, chaque surveillant, imposant sa propre jurisprudence, sa propre loi, tant aux personnes détenues dont elle a la charge qu’aux « intervenants » de toute nature qui pénètrent dans le « domaine pénitentiaire ».

Tout le monde se souvient de cette avocate qui, tentant de rentrer au sein du centre pénitentiaire de Fresnes pour rencontrer un client (on n’y va jamais pour se balader), avait été confrontée à ce surveillant exigeant qu’elle ôte son soutien-gorge !

Loi d’airain du « portique », tant que vous « sonnez », vous ne rentrez pas, qui que vous soyez.

Pour autant que je me souvienne, le tollé qui avait suivi ce qu’il faut bien appeler ce scandale, n’avait que peu secoué l’administration pénitentiaire qui avait soutenu la décision de ce surveillant !

Des expériences pareilles, j’en ai plein la tête.

Il y a quelques années, alors que la maison d’arrêt de Chartres existait encore, je m’y étais rendu pour rencontrer un client, accompagné de deux stagiaires.

Après un accueil glacial de la part d’une surveillante qui refusait l’accès de mes deux stagiaires alors que j’avais organisé leur entrée par télécopie, je me suis dirigé vers le parloir avocat qui était inoccupé et j’ai tenté de m’installer dans un box plus vaste, puisque nous étions quatre en comptant mon client, de surcroît, atteint d’une maladie incurable et dont je sentais bien qu’il supporterait mal d’être confiné dans les autres box, beaucoup plus étroits. Un autre surveillant nous déloge néanmoins vers un box plus petit. Décision personnelle, irrévocable, « parce que ».

Que faire ? Après avoir protesté, nous nous sommes finalement installés - je n’allais pas repartir en laissant mon client sans l’avoir vu. L’entretien s’est déroulé et au terme de celui-ci, j’ai sonné, tapé à la porte durant près d’une heure afin que l’on vienne nous ouvrir. Un surveillant a daigné se présenter. Inutile de dire que j’étais passablement excédé. Je l’ai d’ailleurs fait sentir, d‘une part, à ce surveillant, puis à sa collègue, celle de l’entrée, qui nous a raccompagné vers la porte en me menaçant de « ne pas me laisser ressortir avant de m’avoir dit ce qu’elle avait à me dire ». Une fois dehors, je l’ai entendue crier : « Je vous souhaite de vous tuer sur la route ! ».  

Après avoir fait remonter cet incident, j’ai tout de même reçu un courrier d’excuses de la direction de la maison d’arrêt de Chartres que je conserve pieusement !

Cet incident est, certes, beaucoup moins grave que ceux que j’évoque plus haut, mais il reflète aussi cette hostilité latente, cette méfiance que les avocats ressentent lorsqu’ils rentrent en détention pour exercer leurs fonctions.
Faut-il rappeler à l’administration pénitentiaire que, contrairement à ses agents qui ne prêtent serment que depuis 2011, depuis qu’un décret du 30 décembre 2010 a mis en musique les termes de la loi pénitentiaire du 23 novembre 2009 (serment facultatif pour les promotions antérieures au décret), les avocats, eux, sont assermentés depuis la nuit des temps. Lorsqu’ils pénètrent dans un établissement pénitentiaire, leur seul but est de défendre, de faire progresser le droit, et de retourner contre l’État l’arme du droit, pas de susciter des émeutes !