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Libre cours : Enfermés et confinés : comment la prison républicaine fait face à l’épidémie

Par Bruno Clément-Petremann le 18 Avril 2020

Tout le monde attend la vague. Chacun prédit l’apocalypse : le covid-19 n’est pas encore entré dans des proportions trop fortes dans les prisons, milieu en soi confiné, au sein duquel la restriction de circulation est la règle, mais lorsqu’il va y pénétrer on va assister à coup sûr à un carnage. Cinq semaines maintenant que la presse alimente ce discours, que le contrôleur général des lieux privatifs de liberté ou les avocats alertent, certains s’appuyant sur le virus pour soutenir des demandes de mises en liberté provisoire.

Les données communiquées par le ministère de la justice sont cependant beaucoup plus nuancées : le nombre de détenus atteint par le covid n’explose pas et il convient de noter d’ailleurs que le nombre de personnels infectés est supérieur. Au 14 avril, nous comptions en effet trente-quatre détenus confirmés positifs alors que ce chiffre était de soixante-cinq chez les agents.

Tel le nuage de Tchernobyl qui, disaient certains, épargna en son temps certaines contrées, le covid répugnerait-il à entrer en détention ? Souvent accusée d’opacité, l’administration pénitentiaire dissimulerait-elle la réalité de l’épidémie derrière ses murs ? Pour favoriser la libération de son client, un avocat m’apostrophait il y a peu dans un courrier choc, dénonçant « l’omerta » régnant au centre pénitentiaire de Paris-la-Santé. Son client fragile risquait sa vie tandis qu’une vingtaine de détenus étaient, selon lui, déjà touchés par le covid. La réalité est toute autre : depuis le 17 mars, cinq personnes détenues ont été testées positives et prises en charge : l’une a été libérée et les quatre autres sont guéries. Tous les détenus présentant des symptômes sont testés : la trentaine de tests pratiquée après les cinq premiers cas n’a donné que des résultats négatifs.

Et si le traitement de cette crise sans précédent par l’administration pénitentiaire avait en réalité une tout autre signification ? Si enfin, après toutes ces années de réforme dont le cycle a débuté en 1945, ce moment révélait que la « prison républicaine », chère à Robert Badinter, est devenue une réalité ?

Force est de constater que l’épidémie est gérée au sein des établissements pénitentiaires dans des conditions relativement sereines, au-delà même de ce à quoi les professionnels pouvaient s’attendre. C’est en tout cas le constat que nous pouvons faire après un mois de fonctionnement inédit. Et pourtant, les obstacles qui pèsent sur la communauté pénitentiaire, il faut entendre par cette expression l’ensemble formé par ceux qui vivent en prison et ceux qui y travaillent, sont légion.

Commençons par examiner le sort actuellement réservé à ceux qui vivent au sein des prisons.

L’annonce du confinement général le 17 mars a engendré de facto la suspension des parloirs famille. S’agissant du maintien des liens familiaux, cette décision a provoqué un coup de tonnerre qui s’est traduit par de multiples mouvements de protestation immédiats et pour la plupart pacifiques (refus de réintégrer à l’issue des promenades, qui demeurent la seule activité collective possible).

D’autant que cette mesure, légitimement insupportable aux yeux de la population pénale, s’est doublée de la suspension de toutes les activités collectives, sportives, culturelles, cultuelles, de travail ou de formation. Justifiée par l’impossibilité des rassemblements collectifs dans des espaces confinés, cette suspension montre toute l’importance que ces actions multiformes revêtent aujourd’hui dans les missions de l’administration pénitentiaire. L’époque où Robert Badinter était ministre de la justice (1981-1986) a été un formidable accélérateur pour la mise en œuvre de ces orientations. Et tous les textes réformateurs de cette période avaient pour justification de rendre « les conditions de détention les moins désocialisantes possible ».

On demeure sur cette idée née avec la réforme Amor de 1945, symbolisée aux yeux de l’opinion publique par la célèbre formule du président Giscard D’Estaing après sa visite des prisons de Lyon en 1974 : « la prison est la privation de liberté et rien d’autre ».

Comment maintenir la paix dans un établissement pénitentiaire frappé par l’angoisse qui étreint aujourd’hui la population du monde entier ? Au-delà de mesures d’ordre général (relèvement du seuil de l’indigence, abondement par l’état des comptes pour l’utilisation du téléphone, gratuité de la télévision), quelques aménagements sont intervenus : tables de ping-pong dans les cours de promenades, concours d’écriture et installation de boîtes à livres, distribution gratuite de lessive pour le lavage du linge par exemple. Mais cela ne saurait remplacer le vide laissé par la suspension des parloirs et ce n’est pas à mon sens ce qui nous permet de traverser la crise.

Il est un élément largement plus essentiel qui donne pleinement corps au concept de détenu citoyen. Souvenez-vous : « la privation de liberté et rien d’autre ». Trois faits marquants alimentent cette réflexion et seront utiles pour préparer demain.

Le premier est l’usage intensif que nous faisons de l’information à destination des personnes détenues. Échange et communication sont les maîtres mots pour passer ce moment. Que ce soit classiquement par voie d’affichage et de courriers distribués dans toutes les cellules ou par l’utilisation de canal vidéo interne quand il existe, les informations circulent en permanence et en toute transparence sur l’organisation de la vie en détention, le nombre de personnes malades et les modalités de prise en charge sanitaire.

À l’instar de nombre d’établissements, nous avons instauré des réunions collectives, tenues hebdomadairement bâtiment par bâtiment dans le respect des gestes barrières et des distances physiques. Il s’agit d’une extension de l’article 29 de la loi du 23 novembre 2009, dite loi pénitentiaire, qui prévoit la consultation collective des personnes détenues sur l’organisation des activités. Ces réunions sont l’occasion d’échanger sans détour sur la situation de l’établissement en communiquant aux détenus sur l’infection, sa propagation et l’organisation sanitaire mise en place. C’est aussi l’occasion de rappeler l’importance de toutes les mesures d’hygiène et de prévention.

Le second fait marquant est la diminution spectaculaire des effectifs. À l’heure où s’écrivent ces lignes, la Santé, prison « capitale » alimentée par le tribunal de Paris, accueille 614 détenus au sein de sa maison d’arrêt. Ils étaient 850 le premier jour du confinement alors que notre capacité est de 708. Avant même les mesures générales de la chancellerie, les autorités judiciaires parisiennes avaient conduit dès la mi-mars une politique de déflation des effectifs pour nous préparer à affronter le développement de l’épidémie. Dans des proportions moindres, mais de manière aussi sensible, ce phénomène se généralise à de nombreux établissements. C’est ainsi que le taux d’occupation du quartier homme de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis est retombé à 100 %, ce qui est un incroyable symbole pour cet établissement qui demeure le plus grand d’Europe.

Cette diminution drastique est fondamentale pour lutter contre l’épidémie. Mais elle est non moins importante en période ordinaire. Il ne faut plus tolérer des établissements accueillant plus de détenus que leur capacité ne le leur permet. C’est un véritable cancer qui génère une augmentation des violences, rend plus difficile et plus long l’accès à l’ensemble des activités décrites plus haut. La politique pénale doit en tenir compte et l’on voit qu’en quelques jours, les autorités judiciaires ont su prendre les mesures qui s’imposent.

Dans tous les domaines de la vie sociale et publique, on envisage déjà la suite. Tout le monde s’accorde à dire que rien ne sera plus comme avant, que certaines leçons devront être tirées. Dans notre monde à nous, la question du numerus clausus devra enfin sérieusement être posée. Nous ne supporterons pas qu’elle soit balayée d’un revers de main méprisant parce que ne correspondant pas à la « tradition judiciaire française ».

Enfin, il faut revenir sur l’organisation des soins en détention et sur la qualité du dispositif mis en œuvre. La réforme qui rattache au système de santé publique la prise en charge sanitaire des détenus a plus de 25 ans. Ce fut une avancée majeure dans l’accomplissement de notre mission d’insertion et l’une des conditions de la maîtrise actuelle du développement de l’épidémie en détention. La présence de personnels médicaux et soignants aguerris, appartenant à des hôpitaux d’excellence (Cochin est par exemple l’hôpital de rattachement pour la prison de la santé), est salutaire pour les patients détenus et rassurante pour les personnels.

L’unité sanitaire a dès le début de la crise doté tous les personnels, soignants bien entendu mais aussi pénitentiaires, de masques dès lors qu’ils se trouvaient dans une zone à risque (quartier arrivant, quartier de confinement ou secteur abritant les personnes testées positives).

Une liste des détenus suivis pour des pathologies autres, et donc considérés comme à risque, a été établie et communiquée aux magistrats. Ces personnes sont visitées quotidiennement par le service médical. Par ailleurs, chaque détenu présentant des symptômes fait l’objet d’un test (cinq positifs à ce jour). Les malades sont affectés dans une zone à part et font l’objet de deux visites médicales par jour. Parmi les cinq cas déclarés, un seul a nécessité une brève hospitalisation.

La présentation de ce dispositif aux détenus lors d’une réunion collective par le médecin-chef a eu pour effet de répondre à toutes les interrogations sur le virus, sa propagation et sur les modalités de prise en charge. Cet exercice de transparence est une marque de considération et de confiance qui a favorisé un dialogue constructif.

Comment cette crise est vécue par ceux-ci qui travaillent au sein des prisons ?

Les personnels pénitentiaires, particulièrement les surveillants et les agents des greffes, sont en première ligne depuis le début de la crise. Pas de confinement, pas de plan de continuité d’activité, pas de télétravail pour eux. Ils ont fait preuve de faculté d’adaptation et d’un réel courage dans un contexte périlleux.

Si la question du savon et du gel a été très rapidement résolue, les agents en contact prolongé avec les personnes détenues n’ont été dotés de masques qu’au dixième jour du confinement. Alors même que cette demande était également formulée par les détenus, ceux-ci s’interrogeant à juste titre sur le fait que les personnels entrant et sortant de l’établissement pouvaient être des vecteurs de circulation du virus.

Des réunions pour décrire la situation globale et la pertinence du respect des mesures barrières sont régulièrement organisées. Le travail en équipe, la proximité et la convivialité entre agents, si importants en ces moments anxiogènes, a au départ rendu difficile la compréhension de ces règles, avant que, de plus en plus, elles ne s’imposent comme des comportements naturels.

Les gestes sécuritaires sont bien entendu plus délicats à effectuer dans cette période et il est nécessaire de les limiter autant que faire se peut. Mal pour un bien, l’accent est donc mis sur le dialogue et la communication. Chacun sait d’ailleurs qu’il s’agit de l’approche la plus efficace pour accomplir la mission essentielle de prévention de la récidive. Et de cela aussi, il conviendra de se souvenir pour préparer l’après.

Le moindre des paradoxes de cette période est que l’on voit se développer une forme de solidarité au sein de la « communauté pénitentiaire ». Née d’une peur qui nous concerne tous, qui ne craint pas pour lui-même ou ses proches, cette solidarité doit nous aider à penser la prison autrement dès que nous serons sortis de cette crise.