L’autre Portalis : Joseph-Marie, le fils

Pendant près de quarante ans, Joseph-Marie Portalis (1778-1858) a attaché son nom célèbre à celui de la Cour de cassation.

Le moins que l’on puisse constater, c’est que l’héritage qu’a reçu Joseph-Marie Portalis est quand même assez lourd. Certes, ce n’est pas le fils de Dieu. Mais enfin, au royaume des juristes, Jean-Étienne-Marie Portalis est roi, et l’avoir pour père, cela veut dire beaucoup. C’est un peu comme avoir pour frère le code civil, comme grand-père, Pothier, peut-être même Domat. Et en réalité le nom de Portalis était si estimé, si remarquable, tant révéré à l’époque, à peine les premières notes de son requiem entonnées, qu’être son fils aurait certainement pu valoir à celui que sa famille prénommait Charles quelques séjours sur le divan. Impossible de faire mieux, difficile d’égaler, en bref, une condition pas forcément évidente. Pourtant, il demeure que la gloire du père ne doit pas éclipser le fait que la lignée des Portalis ne s’est pas arrêtée en 1807. En droit, la trajectoire de Joseph-Marie Portalis n’a pas suivi, comme en poésie, celle de Louis Racine, sacrément éclipsée par le succès de son père. Il faut dire que Boileau avait à l’époque annoncé la couleur : « depuis que le monde est monde on n’a pas vu de grand poète fils d’un grand poète ». Tout au contraire, Portalis fils aura eu la carrière d’un grand magistrat, intimement lié, pendant près de quarante ans, à la Cour de cassation.

Alors, évidemment, au début, côté émancipation, il y aurait peut-être des choses à redire. Et l’histoire de Portalis fils s’écrit dans le droit fil de celle de Portalis père. Mais les événements de l’époque ne se prêtaient pas tellement à ce que Joseph-Marie se sépare de son père. Il naît le 19 février 1778, à Aix, en Provence, une ville qui est aux Portalis ce que Plassans était aux Rougon-Macquart : le lieu de leur ascension, l’endroit où l’on se ressource. D’ailleurs, quelques mois après sa naissance, son père, déjà auréolé d’une belle clientèle comme avocat, obtint un poste en vue : il est élu assesseur d’Aix, procureur de Provence. Mais le petit Joseph-Marie n’a pas vraiment le temps d’en récupérer les prébendes. À peine dix ans après, viennent des temps quelque peu agités et les Portalis se retire aux Pradeaux, une propriété viticole encore dans la famille aujourd’hui. L’éducation de Joseph-Marie est alors prise en charge par son père. Mais quelques bontés de sa part – principalement l’accueil de personnages un peu contestés à l’époque, comme les...