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Le pleurant du tombeau de Philippe le Hardi n’est pas à vendre

L’aliénation du « pleurant n° 17 » n’ayant jamais été autorisée par décret formel du corps législatif, la statue n’a pas cessé d’appartenir au domaine public depuis son incorporation en 1789.

par Emmanuelle Maupinle 28 juin 2018

Le débat est clos. Le « pleurant n° 17 » du tombeau du duc de Bourgogne Philippe le Hardi appartient au domaine public, juge le Conseil d’État.

Tout a commencé lorsqu’en 2014, la société Pierre Bergé, chargée par des particuliers de vendre une statue provenant du tombeau du plus jeune fils de Jean le Bon, a sollicité de la ministre de la Culture un certificat d’exportation. La ministre a refusé au motif que cette statue appartenait au domaine public de l’État. Le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 5 nov. 2015, n° 1430948/5-1, AJDA 2016. 496 , concl. P. Martin-Genier ; RFDA 2016. 313, note C. Lavialle ) puis la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 13 janv. 2017, n° 15PA04256, Pierre Bergé (Sté) et autres, AJDA 2017. 865 , chron. J. Sorin ) ont rejeté la demande d’annulation de la décision.

« Il résulte [du décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789 et de l’article 8 du décret de l’Assemblée constituante des 22 nov. et 1er déc. 1790 relatif aux domaines nationaux, aux échanges et concessions et aux apanages] que si en mettant fin à la règle d’inaliénabilité du “domaine national”, le décret des 22 novembre et 1er décembre 1790 a rendu possible, pendant qu’il était en vigueur, l’acquisition par prescription des biens relevant de ce domaine, cette possibilité n’a été ouverte que pour les biens dont “un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi” avait préalablement autorisé l’aliénation », précise la Haute juridiction.

La statue appartient à un ensemble d’une quarantaine de statuettes qui ornaient le tombeau de Philippe II le Hardi, duc de Bourgogne, édifié entre 1340 et 1410 dans l’oratoire de la chartreuse de Champmol. À ce titre, il a été incorporé au domaine national en vertu du décret du 2 novembre 1789. Les tombeaux des ducs de Bourgogne et leurs ornements, qui ont été expressément exclus de la vente des biens de la chartreuse réalisée le 4 mai 1791, ont été transférés en 1792 au sein de l’abbatiale Saint-Bénigne de Dijon. La délibération du conseil général de la commune de Dijon du 8 août 1793 décidant de la destruction des tombeaux des ducs de Bourgogne en a exclu les statuettes. Le « pleurant n° 17 » a ensuite été soustrait au domaine national à une date et dans des circonstances indéterminées. Sa trace fut retrouvée en 1811 chez un collectionneur privé puis en 1813 chez un particulier. Depuis lors, il a été transmis par voie successorale jusqu’aux actuels requérants.

Par suite, le « pleurant n° 17 » n’a jamais cessé, depuis sa mise à disposition de la Nation en 1789, d’appartenir au domaine national puis au domaine public dont il a été irrégulièrement soustrait et en l’absence d’un décret formel du corps législatif autorisant expressément son aliénation, il n’a pu faire l’objet d’une prescription acquisitive au profit de ses détenteurs successifs, quelle que soit leur bonne foi.

Pour contester la restitution de la statue, les requérants se prévalaient d’un droit au respect des biens garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Pour rejeter le moyen, le Conseil d’État considère que la cour « en reconnaissant l’existence, dans les circonstances de l’espèce compte tenu notamment de la durée pendant laquelle la statuette litigieuse avait été détenue par les requérantes sans initiative de l’État pour la récupérer, d’un intérêt patrimonial à en jouir, suffisamment reconnu et important pour constituer un bien au sens des stipulations précitées, n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la reconnaissance de son appartenance au domaine public justifiait qu’il soit rendu à son propriétaire, l’État, sans que soit méconnue l’exigence de respect d’un juste équilibre entre les intérêts privés de ses détenteurs et l’intérêt public majeur qui s’attache à la protection de cette œuvre d’art ».