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Affaire Tapie : annulation de la condamnation du Crédit Lyonnais

En se fondant sur des arguments tirés du droit des contrats et du droit bancaire, l’Assemblée plénière censure l’arrêt d’appel qui avait condamné le Crédit lyonnais à dédommager Bernard Tapie pour manquement au devoir de loyauté lors de la vente d’Adidas.

par X. Delpechle 5 novembre 2006

Rarement, très certainement, une décision de justice a été attendue avec autant d’anxiété, tant les enjeux, financiers, mais aussi symboliques, qu’elle renferme sont cruciaux. En cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 septembre 2005 qui avait condamné le Consortium de réalisation (CDR), organisme chargé d’apurer le passif du Crédit lyonnais accumulé au cours des dérives de l’ex-banque publique du début des années 90, à indemniser Bernard Tapie, pour défaut de loyauté dans l’exécution du mandat de vente d’Adidas, alors propriété de l’homme d’affaires (CA Paris, 30 sept. 2005, D. 2005, AJ p. 2740, obs. X. Delpech  ; JCP E 2005, 1617, note A. Viandier ; RTD com. 2006, p. 175, obs. D. Legeais ), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, par son arrêt du 9 octobre 2006, n’a donc pas sifflé la fin du match, ou, si l’on préfère, clos le principal volet judiciaire - ce n’est en réalité pas le seul - du conflit opposant Bernard Tapie à son ex-banquier. En renvoyant à nouveau l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, elle invite au contraire les protagonistes de l’affaire à jouer les prolongations, pour continuer dans le registre des métaphores footballistiques.

Le parti adopté par la formation la plus solennelle de la Cour de cassation est, paradoxalement, à la fois surprenant et logique. Surprenant, dans la mesure où l’arrêt a été rendu sur les conclusions non conformes de son avocat général, M. Lafortune, qui avait, pour sa part, considéré que le Crédit lyonnais s’était rendu coupable d’« une faute massive », qui justifiait, selon lui, pleinement la condamnation prononcée en appel. En réalité, ce n’est pas le rejet, mais une cassation sans renvoi qui avait été proposée, puisque, initialement, dans son arrêt du 30 septembre 2005, la Cour d’appel de Paris avait condamné le CDR à verser à Bernard Tapie la somme de 135 millions d’euros à titre de dommages-intérêts. Mais il s’est avéré qu’une erreur avait été commise dans le calcul du montant alloué, au détriment de Bernard Tapie, erreur - d’un montant tout de même de 10 millions d’euros ! - qui a été reconnue ultérieurement dans un autre arrêt rendu le 28 avril 2006 par la même formation. Pour autant, la Cour n’avait pas modifié le montant initialement fixé dans l’arrêt du 30 septembre 2005. La cassation serait donc intervenue de ce seul chef, mais étant justifiée par la commission d’une simple erreur matérielle, l’avocat général Lafortune avait proposé à la Cour de cassation de le rectifier d’elle-même, ainsi qu’elle en a le droit (NCPC, art. 462).

En second lieu, la cassation était concevable, si l’on se souvient - et la grande presse s’en est fait l’écho (V. notamment Le Monde, 29 juin 2006, Le dossier Tapie sème le trouble à la Cour de cassation) - que le pourvoi du CDR devait être initialement examiné par la Chambre commerciale de la Cour de cassation au début de l’été dernier et les conclusions de l’avocat général paraissaient d’ores et déjà très sévères pour Tapie (très schématiquement, l’idée serait que le préjudice de Tapie s’analysant en la perte d’une chance, celui-ci ne pourrait pas prétendre à réparation intégrale, contrairement à ce que la cour d’appel a jugé). Or, ce rapport ayant été diffusé accidentellement, semble-t-il à la suite d’un dysfonctionnement informatique au sein de la Cour de cassation, le Premier Président, M. Canivet, avait préféré décharger la Chambre commerciale et confier l’affaire à l’Assemblée plénière en repartant de zéro.

Le motif de l’arrêt rendu par la formation la plus solennelle de la Cour de cassation est toutefois nettement différent, et, en même temps, beaucoup plus favorable aux intérêts du CDR dans la perspective d’un réexamen de l’affaire par les juges du fond, que celui qui aurait pu être adopté par la Chambre commerciale. En juin dernier, l’existence d’une faute de la part du Lyonnais n’était pas niée, mais seul était contesté le montant de la réparation qui en résultait. Aujourd’hui, l’Assemblée plénière, qui n’est visiblement pas restée insensible à certains arguments doctrinaux (X. Lagarde, Observations critiques sur une affaire médiatique [à propos de l’arrêt rendu par la Cour de Paris le 30 septembre 2005], D. 2005, Chron. p. 2945 ), ne considère pas que le Crédit lyonnais a commis une faute dans l’exécution de sa mission de reclassement des actions Adidas appartenant à Bernard Tapie. Partant, la question de l’indemnisation consécutive à un préjudice qui s’analyse en la perte d’une chance n’a pas été examinée, car devenue sans...

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