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Le droit en débats

Action de groupe : le recours à la médiation, un bon point de la nouvelle loi ?

Voilà plus de vingt ans que les associations de consommateurs désiraient la mise en place d’une procédure d’action de groupe.

Par Laurie Schenique le 09 Avril 2014

L’action de groupe est une procédure qui permet à des consommateurs, victimes d’un même préjudice, de se regrouper et d’agir en justice pour demander réparation. Adoptée déjà dans de nombreux pays (Pays-Bas, Italie, Portugal, Allemagne, Suède, Espagne…), recommandée par la Commission européenne le 11 juin 2013 animée par une volonté d’harmonisation des législations nationales quant aux mécanismes de recours collectif, l’introduction de cette action en droit français semblait inéluctable : c’est chose faite avec la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Cette nouvelle procédure, mesure phare du texte porté par Benoit Hamon (alors ministre de l’économie sociale et solidaire et de la consommation) va permettre à des consommateurs s’estimant victimes d’une même fraude de la part d’une entreprise de se regrouper pour obtenir réparation de leur éventuel préjudice. Un grand nombre de plaintes individuelles vont alors être fusionnées en une seule. A cette fin, les consommateurs vont se tourner vers des associations de consommateurs agréées nationales qui joueront un rôle de filtre, afin d’éviter des actions abusives et agiront en justice pour obtenir la réparation au nom des clients.

Plus connue sous l’appellation de « Class Action » aux Etats-Unis, la procédure d’action de groupe française connait un champ d’application limité aux seuls préjudices matériels subis, la réparation des préjudices corporels et donc de toutes les actions liées aux domaines de la santé et de l’environnement s’en trouvent dès lors exclus (1). Ne sont donc concernés exclusivement que les « litiges du quotidien » c’est à dire ceux qui portent atteinte au droit de la consommation et au droit de la concurrence et engendrant un préjudice matériel. Il s’agit des litiges dont le montant est trop faible pour qu’une action individuelle soit entreprise devant la justice (domaine de la téléphonie mobile, de l’assurance…). L’action de groupe va alors permettre deux types de réparation : une réparation des préjudices exclusivement patrimoniaux, résultant de dommages matériels, subis individuellement par des consommateurs suite au manquement d’un professionnel à ses obligations légales et contractuelles ainsi qu’une réparation des préjudices subis par les consommateurs ayant pour origine une atteinte par une entreprise aux règles du droit de la concurrence français ou communautaire.

Si la reconnaissance de l’action de groupe est louable au regard des droits et de la défense des consommateurs, elle appelle cependant deux remarques.

D’une part, cette procédure constitue une menace pour les représentants des entreprises qui la craignent fortement et ce surtout au niveau de la concurrence. En effet, à la lecture de la disposition nouvelle de l’article L423-1 du code de la consommation, ces derniers vont voir leur responsabilité engagée sur deux fondements : une responsabilité pour faute commise lors de la vente d’un bien ou d’un service et une responsabilité pour pratique anticoncurrentielle . L’action de groupe fait ainsi naître quelques craintes au sein des entreprises notamment celles de sanction pécuniaire et de risque d’atteinte à l’image. En effet, si les consommateurs renonçaient jusqu’alors à entamer des actions en justice complexes, longues et couteuses, il n’en sera plus de même avec l’instauration de l’action de groupe permettant d’agir dans le cadre d’un contentieux de masse. En outre, quant aux entreprises mises en cause dans le cadre de pratiques anticoncurrentielles, elles vont devoir se préparer à répondre à la fois du dommage causé à l’économie dans son ensemble (par le biais du paiement d’une amende infligée par l’autorité de la concurrence),du dommage causé aux consommateurs et des préjudices subis par les entreprises souffrant directement de telles pratiques. Autant dire donc que cette nouvelle procédure risque de changer considérablement l’état actuel des rapports entre consommateurs et professionnels, ces derniers ayant toujours au-dessus de la tête la menace du couperet de l’action de groupe. Leur responsabilité s’en trouvera d’autant plus renforcée.

La seconde remarque qui s’impose, d’autre part, est l’affirmation législative du monopole des associations pour le déclenchement de l’action de groupe. Ainsi, seules seize associations de consommateurs agrées sont habilitées de manière légale à être saisies d’une telle réclamation. Ceci signifie donc qu’elles seules examineront la demande et détermineront si, à leur sens, il existe effectivement un préjudice dont serait victime un groupe de consommateurs - soit au moins deux personnes. L’association déposera alors une plainte en justice ; le juge mènera l’enquête, établira, le cas échéant, l’infraction, déterminera le groupe de personnes à indemniser et fixera le montant de la réparation à verser par l’entreprise à chaque consommateur. Ce monopole ne pouvait avoir qu’une conséquence : une grande fronde des avocats qui contestent ce droit exclusif accordé aux associations de consommateurs en arguant une restriction du droit d’agir en justice au profit d’une seule catégorie de personnes. Les avocats n’auront donc pas la faculté de coordonner une action de groupe mais uniquement celle de plaider pour ces associations. Le rôle dévolu classiquement à l’avocat se trouve ici restreint : ils ne peuvent, seuls, organiser une action de groupe au nom de leur client. Cette exigence légale qui veut que les consommateurs utilisent impérativement le filtre des associations pour intenter une action de groupe laisse à penser qu’existe une certaine défiance à l’égard des avocats. Cette défiance s’explique par la pratique américaine consistant pour les avocats à percevoir des rémunérations proportionnelles à l’indemnisation accordée aux victimes. Or, une telle disposition ne devrait pas trouver à s’appliquer, la déontologie des avocats français prohibant les rémunérations exclusivement fondées sur le résultat de la procédure. Une telle restriction du rôle de l’avocat se trouve dès lors fortement critiquable et injustifiée.

Un point de la loi nouvelle permettrait peut être de mettre fin aux mécontentements des avocats et des professionnels : celui du possible recours à la médiation. Les articles L423-15 et 16 du code de la consommation, tels qu’issus de la loi du 17 mars 2014, prévoient en effet que le juge pourra, s’il l’estime opportun, proposer une mesure de médiation entre l’association requérante et l’entreprise en défense et ce à tous les stades de la procédure. La médiation, en ce qu’elle est un processus purement consensuel et confidentiel, basé sur la recherche d’une solution amiable en présence d’un tiers qualifié, présente de réels avantages dans une telle procédure d’action de groupe. Avantages pour les associations de consommateurs tout d’abord car le recours à la médiation permettra aux consommateurs de se sentir entendus, compris et surtout maîtres de la résolution de leur différend. L’association elle-même se trouvera alors valorisée car inscrite dans une démarche créative, attentive à la personne, bien loin du froid des juges et tribunaux et des considérations juridiques. Avantages pour les entreprises ensuite car la médiation implique une préservation de la notoriété et de l’image de la société : le différend sera, autant que faire ce peut, réglé dans l’intimité de l’arène de médiation et le principe de confidentialité inhérent à ce processus interdira toute divulgation publique d’éléments et/ou de documents produits dans le cadre de ce processus. Dès lors, l’entreprise défaillante ne verra pas son image entachée mais plutôt, d’un certain point, valorisée en ce sens où le consommateur pourrait être amené à penser que le professionnel met en avant la qualité de la relation client et surtout l’écoute qu’il peut lui apporter. Avantages aussi pour les avocats qui, bien que leur présence au cours du processus de médiation ne soit pas obligatoire mais vivement conseillée, retrouveraient dans ce cadre leur « plein pouvoir » : conseiller et orienter leurs clients vers la solution la plus adéquate. Enfin la médiation recouvre un réel intérêt pour les deux parties : celui de la rapidité du processus, comparée à la longueur des débats judiciaires, ayant pour corollaire inévitable la réduction des coûts de la procédure…

En tout état de cause, l’instauration française de l’action de groupe va permettre une nouvelle donne dans la résolution des litiges en instaurant, espérons le, une discussion et une limitation des abus de la part des professionnels. Espérons toutefois que les abus ne viennent pas des associations de consommateurs…

 

 

 (1) Toutefois, l’idée d’étendre le champ d’application à ces préjudices n’est pas écartée définitivement puisque le ministre de l’économie a précisé que le dispositif serait évalué et étendu à d’autres domaines si nécessaire.