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Le droit en débats

Le bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle !

Par Dominique Piau le 06 Avril 2016

L’affaire Paul Bismuth, sitôt les arrêts de la chambre criminelle tombés, a fait couler beaucoup d’encre, plus à tort qu’à propos. Le dossier est passionnel, et les réactions sont davantage en rapport aux personnes mises en causes, et à ce jour – est-il besoin de le rappeler ? – présumées innocentes, qu’empruntant d’une stricte logique juridique.

Sur le fond, la chambre criminelle n’a fait, par une mécanique implacable, qu’appliquer sa jurisprudence traditionnelle1 en la matière2. S’en émouvoir aujourd’hui, c’est un peu mal jouer le rôle du général Tapioca en retard d’une bataille et vouloir faire parler de soi par tous moyens. La question des écoutes incidentes (écoute d’un avocat qui ne fait pas l’objet de la mise sous écoute téléphonique) et des filets dérivants (captation des conversations avec un avocat conduisant à constater une autre infraction, différente de celle ayant motivé la mise sur écoute, ainsi qu’à une mise en examen, dans le cadre de faits totalement distincts) a déjà été largement traitée en son temps pour qu’il soit besoin d’y revenir. En effet, sauf à vouloir tomber dans un fâcheux mélange des genres, il ne saurait y avoir d’écoutes que s’il y a des indices préalables et non dans un cadre préventif à des fins de recherche d’indices : le cadre préventif relève de la police administrative et des dispositions spécifiques prévues en la matière par le code de la sécurité intérieur. Afin de mettre un terme à ces dérives, le bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, avait proposé de manière pertinente de poser trois principes en la matière :

• premier grand principe : Toute interception et exploitation téléphonique, électronique, numérique ne peut être ordonnée qu’à l’encontre d’une personne soupçonnée d’avoir participé au crime ou au délit objet de la saisine (filets dérivants).

• deuxième grand principe : Le JLD et, lorsqu’il s’agit d’un auxiliaire de justice, le président du TGI, sont seuls compétents pour en décider par ordonnance spécialement motivée, après qu’ils en ont contrôlé la nécessité et la proportionnalité, en se fondant sur des considérations objectives, ce afin d’instaurer un contrôle a priori. Ce principe avait été acté dans le projet de loi pénale en cours de discussions au Sénat, ce que ce dernier a malheureusement remis en cause le 24 mars 2016 (art. 25 du projet).

• troisième grand principe : Aucune interception entre une personne légalement surveillée et un avocat ne peut être enregistrée, retranscrite, exploitée (écoutes incidentes)3.

Le Conseil national des barreaux a également déjà eu l’occasion de rappeler que le recours aux perquisitions et aux écoutes téléphoniques visant les avocats, à la seule fin de collecter des éléments pouvant être retenus à l’encontre de leurs clients, devait rester exceptionnel. À cet effet, le Conseil national des barreaux a élaboré des propositions de réforme pour protéger la vie privée des citoyens et des opérateurs économiques ainsi que le secret professionnel que tout avocat leur doit. Il a demandé que ses propositions soient reprises de manière urgente par la loi4.

La question n’est donc plus de s’émouvoir mais d’agir afin que ces saines propositions soient inscrites dans les textes, faute de quoi la chambre criminelle persistera dans sa jurisprudence suivant l’attitude qui a toujours été la sienne de très longue date5.

On rappellera, à cet égard, que le ministre de la justice avait annoncé le 30 octobre 2014, dans le cadre de la Convention nationale des avocats organisée par le Conseil national des barreaux à Montpellier, qu’un projet de texte sur les interceptions téléphoniques serait soumis à concertation « très prochainement ». Le « prochainement » attend encore. D’ici là, il ne reste qu’à généraliser l’utilisation du cryptage des conversations téléphoniques, simple mesure de prudence parfaitement admissible, plutôt que d’utiliser des noms d’emprunt, ce qui n’est point recommandé ne serait-ce qu’au regard des principes essentiels, et à parler le moins possible au téléphone, lequel n’est pas un mode de communication exclusif et appert comme étant le moins sur qui soit.

Quant à la CEDH, elle est déjà saisie de cette épineuse question6, sans que la solution qui en résultera soit garantie : l’équilibre est ici difficile à trouver entre la nécessaire protection du secret professionnel, qui est destiné à protéger le client et en aucun cas l’avocat, et la recherche des infractions. Hors la loi, point de salut.

La vraie victoire n’est pas sur le terrain du secret professionnel mais sur celui de la confidentialité : c’est celle qui a conduit la chambre criminelle à considérer que :

« Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale ;
Attendu qu’il se déduit de ces textes que, même si elle est surprise à l’occasion d’une mesure d’instruction régulière, la conversation téléphonique dans laquelle un avocat placé sous écoute réfère de sa mise en cause dans une procédure pénale à son bâtonnier ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure, à moins qu’elle ne révèle un indice de participation personnelle de ce dernier à une infraction pénale »7.

C’est, déjà, ce qu’avait rappelé le président du tribunal de grande instance de Paris, par une ordonnance du 9 octobre 2014, aux termes de laquelle il avait ordonné la restitution à un bâtonnier des téléphones portables qu’un juge d’instruction venait de saisir. Comme l’avait rappelé le président Jean-Michel Hayat : « Quelle que soit la nature de l’affaire, un bâtonnier parce qu’il est bâtonnier ne peut voir soumis à l’investigation le cœur de son activité de bâtonnier, activité en lien quotidien avec l’ensemble de ses confrères, dans une forme de pêche à la preuve vers laquelle il ne faut pas dériver »8. Le président Hayat avait alors considéré que dès lors qu’aucun élément ne venait démontrer que les téléphones portables du bâtonnier avaient été utilisés à des fins délictuelles ou criminelles :

« Dès lors, sur la base des éléments à notre disposition, le magistrat instructeur ne permet pas au président du tribunal de grande instance de Paris exerçant les fonctions de juge des libertés et de la détention, d’exercer un contrôle suffisamment rigoureux de nature à éviter, sous quelque forme que ce soit, que soit portée une quelconque atteinte au libre exercice de la profession d’avocat, au respect du secret professionnel et à celui des droits de la défense mais aussi au respect de la confidentialité qui s’attache aux fonctions de Bâtonnier en exercice, dans sa relation avec l’ensemble des confrères de son barreau.
C’est au regard de ces principes, qui fondent les libertés individuelles dans un état de droit, qu’il convient de ne pas procéder à la saisie des deux téléphones portables à usage professionnel appartenant à M. le Bâtonnier […] »9.

C’est également ce qu’avait, implicitement, pu considérer cette même chambre criminelle en approuvant une chambre de l’instruction dans une affaire où un avocat avait porté plainte du chef de recel de violation du secret professionnel à l’encontre de son ancien associé qui avait communiqué des échanges entre leur cabinet et ses clients d’avoir confirmé le non-lieu du juge d’instruction en retenant que cette transmission au bâtonnier, qui a la mission de concilier les différends d’ordre professionnel entre les membres du barreau et d’instruire toute réclamation formulée par des tiers, a été effectuée par l’associée dans le cadre légal d’un tel différend, pour prévenir une éventuelle mise en cause de la responsabilité professionnelle de la société d’avocats, faisant que le délit de recel de violation du secret professionnel ne peut être caractérisé10.

Il en découle que le lien de confidence qui lie l’avocat à son bâtonnier ou à un membre du conseil de l’Ordre, ou leurs délégués, dans l’exercice des missions qui leurs sont dévolues par la loi et dans le strict cadre de celui-ci11 est couvert par la confidentialité des échanges entre avocats et, par voie de conséquence, protégé par le secret professionnel12 et bénéficie de la même protection sauf dispositions législatives ou réglementaires expresses telles que celle imposant la communication du rapport d’enquête déontologique au parquet général lorsqu’il a sollicité lui-même cette enquête au bâtonnier13.

Chaque avocat peut ainsi se confier à son bâtonnier, ou son délégué, protecteur et confident nécessaire, sans que leurs échanges puissent, en principe, être versés par la suite dans une procédure pénale.

Rendu sur le terrain des écoutes téléphoniques, l’arrêt du 22 mars 2016 a naturellement vocation à s’appliquer à l’éventualité d’une perquisition dans les locaux des ordres.

Ce combat a été mené pendant deux ans, sans relâche, par le bâtonnier Pierre-Olivier Sur, et la victoire, dans l’intérêt général de la profession, est belle !

 

 

 

 

 

 

 

1 V. H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocats, 15e éd. par S. Bortoluzzi, D. Piau et T. Wickers, Dalloz, 2016, nos 414.84 s.
2 Crim. 1er oct. 2003, n° 03-82.909, Bull. crim. n° 177 ; D. 2004. 671 , obs. J. Pradel ; RSC 2004. 99, obs. C. Ambroise-Castérot .
3 P.-O. Sur, Discours à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée du barreau de Paris, Palais de la Mutualité, 12 déc. 2014.
4 Protection du secret professionnel et de la confidentialité des échanges. Propositions d’amendements aux articles 21 et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et aux articles 100-5, alinéa 3, et 432 du code de procédure pénale, rapport final (Rapport de la Commission des règles et usages présenté à l’AG du Conseil national des barreaux des 14 et 15 sept. 2012).
5 V. H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocats,
op. cit., nos 411.21 s.
6 Dans l’affaire
Buffalo Grill, à la suite de Civ. 1re, 3 févr. 2011, n° 09-70.301.
7 Crim. 22 mars 2016 n° 15-83.205, Dalloz actualité, 24 mars 2016, obs. S. Fucini isset(node/178117) ? node/178117 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>178117.
8 Cité par P.-O. Sur, Discours à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée du barreau de Paris, préc.
9 TGI Paris, ord. président du 6 oct. 2014.
10 Crim. 16 déc. 2015, n° 14-85.068, D. avocats 2016. 67, obs. G. Royer .
11 V. H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocats,
op. cit., nos 422.101 s.
12 CNB, Comm. RU, avis n° 2006/057, 22 sept. 2006 ; avis n° 2009/028, 15 juill. 2009.
13 Décr. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 187 ; CNB, Comm. RU, avis n° 2011/052, 24 nov. 2011.