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Le droit en débats

Le cinéma à la barre : L’Hermine, de Christian Vincent

Par Pascal Garbarini le 19 Novembre 2015

Un matin par une fenêtre de son bureau parisien, le producteur de Y aura t’il de la neige à Noël ?, de Sandrine Veysset, Humbert Balsan est parti pour un cinéma d’ailleurs.

Avec lui, c’est le « dernier des Pirates » qui nous a quitté, pleuré par la profession bouleversée, à l’instar du monde des lettres qui se sentait orphelin lors de la disparition du dernier des hussards.

La succession serait-elle trop lourde ?

Y aurait-il encore quelques flibustiers pour produire à l’instinct ? Des loups de cinéma à l’esprit frondeur, flambeur, visionnaire, prêts à s’engager corps et âmes auprès des metteurs en scène comme on s’engage dans la marine pour voir du pays ?

Oui. Matthieu Tarot fait partie de ces révoltés ! Il a produit L’Hermine, film de genre sur un président de cour d’assises.

Du monde du crime et de la justice, le cinéma a déjà beaucoup exploré. Il connaît l’autopsie d’un meurtre, le juge et l’assassin, le procès, la garde à vue, le 7e juré, le témoin à charge, l’aveu, le commis d’office, l’avocat de la terreur. Mais un film sur un président d’assises ? Comment cette idée saugrenue a-t-elle donc germé dans le fol esprit de ce producteur ? En assistant à un procès d’assises présidé par un magistrat de qualité.

Ce président est Olivier Leurent. Ses accusés sont présumés coupables d’une attaque de fourgons blindés puis d’une fuite en forme de course poursuite qui range celle de Bullitt dans les balades de bord de mer au volant d’une berline Citroën. L’un de ces accusés distribue les mots comme un archer décoche des flèches, l’autre possède une telle beauté du diable qu’il en fait chavirer la gente féminine mais pas que.

Ce président là mène si intelligemment l’audience que tous les « acteurs » présents – avocat général, avocats, accusés… – sont condamnés à être bons. Ce président sera la vedette du procès qu’imagine à cet instant Tarot. Et pour le rôle titre, l’immense Fabrice Luchini est choisi.

Mais il ne faut pas oublier le réalisateur Christian Vincent.

Christian Vincent, metteur en scène qui, depuis La discrète (avec Luchini, déjà), a réussi à nous faire aimer le petit noir pourtant franchement amer du Café de la mairie, place Saint-Sulpice, et a fait de nous les Champollion des grains de beauté qui apparaissent à la faveur de l’effeuillage d’un corps.

Dans L’Hermine, Christian Vincent a eu une place privilégiée. Il a été l’ombre d’Olivier Leurent durant trois procès d’assises. Il en a fait un film de vérité où la souffrance et la pudeur côtoient la colère et l’incompréhension mais où surtout l’humain règne.

Le pitch : un père est jugé pour le meurtre de son enfant devant les assises de Saint-Omer. Sa culpabilité paraît évidente surtout qu’il refuse de s’expliquer, de parler des faits comme de lui.

C’est là que le rôle du président est essentiel. Comment rechercher et trouver la vérité ? Acquitter ou condamner sur les seules pièces de la procédure sans en débattre à l’audience. Une fable de La Fontaine à soi tout seul.

Luchini est exaspéré et exaspérant, cultivé et cynique, intelligent et quelque peu méprisant mais jamais seul avec sa solitude, comme l’aurait chanté Reggiani. Il excelle dans ses postures, ses phrases ponctuées de son sourire forcé. On se dit aussi qu’on est heureux de ne pas le connaître. Comment un homme si détaché de l’âme humaine peut-il juger un autre homme ?

Grâce à une femme, peut-être, la sublime Sidse Babett Knudsen, l’héroïne de la remarquable série danoise Borgen.

Elle est jurée. Ses questions sont justes et forcent la cour à réfléchir, piquant la curiosité du président qui finit par ne voir plus qu’elle, tant elle l’intrigue et peut-être le séduit.

Voilà. Mon tableau des forces en présence est terminé. La cour d’assises est maintenant au complet, elle peut juger. Coupable ou acquitté ? À vous d’aller voir.

Sachez seulement que, pour ce film, deux verdicts ont déjà été rendus par un jury… celui de la Mostra de Venise : la Copa Volpi pour Fabrice Luchini qui couronne la meilleure interprétation masculine et le prix du meilleur scénario.

Tarot ne fera pas appel !