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Le droit en débats

La cour d’assises sous écoutes

Après les avocats, c’est au tour de la cour d’assises d’être mise sous écoutes, tout à fait légalement cependant…

Par Antoine Vey le 26 Novembre 2014

C’est par la porte de la loi du 20 juin 2014 que l’enregistrement des débats aurait dû faire son entrée devant la juridiction criminelle, normalement à compter du 1er octobre 2014 (mais plus probablement à compter de 2015, la majorité des salles n’étant pas équipée…). Destiné à faciliter les procédures de révision et de réexamen devant la Cour de cassation, l’enregistrement sonore systématique des débats devant la cour d’assises pourrait avoir des effets notables sur la procédure criminelle, notamment dans le contexte de la pratique des « donné acte », ce que la Chancellerie a tenu à encadrer de manière très restrictive dans une circulaire non publiée mais qui vise clairement à limiter le champ des potentialités offertes par cette nouvelle mesure.

L’enregistrement systématique des débats devant la cour d’assises : le branchement des dispositifs devrait intervenir au moins un an après l’entrée en vigueur des dispositions

C’est pour permettre d’évaluer avec davantage de certitude l’existence, ou non, d’un élément nouveau ou inconnu au sens des dispositions de l’article 622 du code de procédure pénale (1.2), qu’a été voté l’enregistrement sonore des débats devant la cour d’assises, mesure qui ne sera cependant pas mise en œuvre avant au moins le premier semestre 2015 (1.2).

Une mesure destinée à favoriser la preuve de l’élément nouveau dans le cadre des procédures de révision et de réexamen

L’objectif premier (et seul avoué) de cette mesure est clair : faciliter les procédures de révision et de réexamen devant la Haute Juridiction. Jusqu’alors en effet, les justiciables et les juges ont été confrontés à un problème récurrent : prouver ou évaluer la nouveauté de l’élément susceptible d’ouvrir la voie vers une possible révision.

Sur ce point, outre les articles des chroniqueurs judiciaires, les seules traces existantes du débat devant la cour d’assises sont consignées dans un seul document, extrêmement sommaire : le procès-verbal des débats. Rappelons qu’aux assises, la « décision » n’est pas rendue sous la forme d’un seul acte, comme en matière correctionnelle ou civile, mais se décompose entre plusieurs documents : le procès-verbal des débats (qui ne fait que lister « l’accomplissement des formalités prescrites », selon l’art. 378 c. pr. pén. et non la teneur des échanges), la feuille des questions et, depuis peu, la feuille de motivation. Difficile de tirer de ces trois documents des informations précises sur le contenu de la procédure qui s’est déroulée devant la juridiction criminelle, laquelle est toujours gouvernée par la sacro-sainte règle de « l’oralité des débats ».

Ainsi, grâce aux enregistrements sonores, il est espéré que, plusieurs années après les débats, il soit possible de s’assurer que tel ou tel élément a été, ou non, abordé lors de l’audience, et ce, pour statuer plus facilement sur la question de la recevabilité du recours.

Le choix de l’enregistrement sonore

L’enregistrement des débats devant la cour d’assises n’est pas une révolution. Chacun se souvient des images, désormais accessibles à tous, du Palais de justice de Lyon transformé en décor de télévision pour le procès Barbie, conformément aux dispositions de l’article L. 221-1 du code du patrimoine, créées pour l’occasion. De même, l’enregistrement sonore des débats est depuis 1981 une « faculté » laissée au Président par l’article 308 du code de procédure pénale, mais qui n’était généralement pas mise en œuvre, ne serait-ce que par manque de moyen. Avec la nouvelle loi, l’enregistrement est donc censé devenir systématique.

Le choix de l’enregistrement sonore a, comme il est d’habitude dans notre sémillante démocratie, fait l’objet de nombreux débats lors de la mission d’information préalable au dépôt du projet de loi. Les pourfendeurs de l’enregistrement vidéo ont brandi la menace d’une intimidation trop importante des acteurs du procès ; de même, la sténographie, cet art oublié, a été écartée au motif qu’elle serait contraire à l’oralité des débats… Au final, c’est l’enregistrement sonore qui a été retenu comme technique visant à conserver la mémoire de l’audience. Aussitôt votée, aussitôt appliquée ? Pas du tout… Concernant la mise en œuvre de cette mesure, tout dirigeant d’une petite ou moyenne entreprise dynamique estimerait, si l’investissement venait de sa poche, qu’un matériel simplissime de captation ferait bien l’affaire. Pourtant, comme à son habitude en ces temps de disette, notre gouvernement a vu les choses en grand puisque « la solution envisagée » est « basée sur un matériel professionnel technique haut de gamme »… Résultat, la mesure ne pourra être appliquée uniformément et dans les délais légaux, faute d’équipement. Espérons qu’aucun cas de révision potentiel ne soit entendu dans le laps de temps qui séparera l’entrée en vigueur des dispositions légales et le branchement du dispositif technique.

Il s’agit cependant d’une mesure qui est attendue sur les bancs de la défense en ce qu’elle ouvre la voie vers de potentielles évolutions.

Les potentialités de l’enregistrement dans le cadre de la procédure devant la cour d’assises, largement restreinte en pratique

En dehors des procédures de réexamen et de révision, l’existence d’un enregistrement sonore pourrait avoir des effets importants dans le cadre des débats devant la cour d’assises, notamment lorsque cette dernière, statuant en appel, est sous le contrôle direct de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Les effets potentiels sur la pratique du « donné acte »

Désormais, le quatrième alinéa du nouvel article 308 du code de procédure pénale dispose que « l’enregistrement sonore audiovisuel peut être utilisé devant la cour d’assises jusqu’au prononcé de l’arrêt ». En d’autres termes, l’enregistrement sonore devient une pièce, qui pourrait être « écoutée », au cours des débats ou dans le cadre du délibéré.

À l’heure actuelle, en raison de la règle de l’oralité des débats, le « donné acte » est le seul moyen dont dispose une partie pour faire « acter » un fait survenu durant l’audience qu’elle estime contraire à ses droits (Crim. 8 févr. 1977, n° 76-92.858). Ce type d’incident survient pour faire constater, par exemple, une manifestation d’opinion prohibée, une déposition d’un témoin sans prestation de serment préalable, un problème technique, l’ouverture des débats hors la présence du greffier ou d’un juré, etc. Il s’agit là d’un outil majeur de la procédure criminelle, puisque, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, faute d’avoir soulevé l’incident devant la cour statuant en appel, le vice ne pourra affecter la procédure.

Cependant, le donné acte reste marqué par une triple limite. Premièrement, il relève de la décision du Président ou de la cour (dans le cadre d’un donné acte contentieux), ce qui peut présenter des difficultés, notamment lorsque la demande a pour visée de critiquer une position du Président… Deuxièmement, en pratique, le donné acte doit être exercé immédiatement au moment du vice susceptible d’affecter la procédure. En effet, si, juridiquement, le donné acte peut être demandé « jusqu’à ce que la cour ait épuisé sa juridiction », en réalité, les « donné acte » différés sont systématiquement rejetés, la cour arguant alors du caractère « non mémorable » du fait allégué (Crim. 21 janv. 1987, n° 86-92.626). Enfin, d’un point de vue strictement contentieux, le fait de soulever un incident n’est jamais neutre en termes de positionnement vis-à-vis des jurés, et de plus, le fait de révéler le vice permet souvent à la juridiction de le « corriger » par exemple, en sollicitant une nouvelle déposition après prestation de serment…

Dans ce contexte, on comprend en quoi l’existence d’un enregistrement audio pourrait permettre de contourner les limites du « donné acte ». D’une part, en éliminant les controverses, toujours tendues, quant à la réalité des termes employés dans l’hypothèse d’une manifestation d’opinion prohibée par exemple. Inutile de polémiquer, l’enregistrement fixera désormais les propos de chacun. D’autre part, dans la mesure où l’enregistrement concerne l’intégralité des débats, alors nul besoin de sauter de sa chaise pour faire immédiatement constater le vice. Il serait possible de laisser couler l’audience, pour s’assurer, par exemple, que le problème survenu n’entraine pas de conséquences sur le déroulement des débats. Dans le cas inverse, alors il suffirait de se faire donner acte du problème, quelques heures ou quelques jours même après sa survenance, contournant ainsi le caractère non mémorable des évènements survenus quelques jours plus tôt.

Cette avancée technique pourrait donc renforcer les droits de la défense. Pourtant, rien n’est moins sûr…

Les difficultés d’accès aux enregistrements

Faute, pour le législateur, d’avoir fixé un régime spécifique, l’accès aux enregistrements relève du pouvoir discrétionnaire du Président, conformément à l’article 310 du code de procédure pénale. Or, même s’il faut espérer que devant l’intérêt manifeste, par exemple, de vérifier, de manière totalement objective, la réalité d’un fait ou d’un propos survenu à l’audience, le Président fera droit à la demande des parties, la Chancellerie ne l’entend pas de cette oreille. Dans une circulaire diffusée aux procureurs le 25 septembre 2014 (et qui n’a pas été publiée), il est en effet précisé que : « L’objet de cet enregistrement n’est pas de renforcer l’exercice des droits de la défense au cours du procès d’assises » incitant tout bonnement les magistrats à refuser toute demande d’écoutes venant des avocats lors du procès. Ainsi, il faudra voir si les juges vont accepter de tirer parti des potentialités de cet enregistrement ou s’ils feront la sourde oreille aux demandes faites en ce sens.

Si un régime spécifique n’a pas été prévu au cours des débats, l’accès aux enregistrements est en revanche encadré lors du délibéré (C. pr. pén., art. 308, al. 4) et suit le même régime que le dossier pénal, fixé par l’article 347 qui dispose que « si au cours de la délibération, la cour estime nécessaire l’examen d’une ou de plusieurs pièces de la procédure, le président ordonne le transport dans la salle des délibérations du dossier, qui, à ces fins sera rouvert en présence du ministère public et des avocats de l’accusé et de la partie civile ». L’article 308 précise alors que l’ouverture du scellé donne lieu à une retranscription complète des débats par un expert, ce qui pourrait considérablement transformer l’esprit du délibéré à rebours du principe de l’oralité des débats, les jurés ayant alors la possibilité de s’appuyer sur un document écrit retranscrivant parfaitement l’audience. Là encore, on imagine les réticences pratiques à repousser un délibéré, au motif des nécessités de retranscription, par un expert (alors mobilisé au milieu de la nuit…) pour retranscrire, en toute urgence, des débats parfois extrêmement longs… Sera-t-il possible à la cour de « sélectionner » le passage en question ? Pourra-t-on, avec l’accord des parties, se passer de la retranscription ? Là encore, cette avancée technique ne semble pas susceptible de modifier la pratique du délibéré et les jurés continueront très probablement de s’appuyer sur leurs notes…

Il est également étonnant de constater que la loi n’a pas fixé de régime quant à l’éventualité d’une utilisation de ces enregistrements dans le cadre d’un pourvoi en cassation. À l’heure actuelle en effet, un vice affectant la procédure n’est (en général) apparent dans le procès-verbal des débats qu’à la condition qu’une des parties ait soulevé l’incident et s’en soit fait donner acte. Dans un premier cas, l’existence d’un enregistrement audio, comme moyen de preuve non contestable, pourrait permettre de vérifier, ou non, au stade de la cassation, l’accomplissement des formalités prescrites à peine de nullité, non seulement à partir du procès-verbal, mais aussi, à partir des enregistrements… Il s’agit là d’une vision évidemment très futuriste de la procédure puisqu’il n’est à l’heure actuelle pas question que le procès-verbal des débats soit « remplacé » par la bande sonore (quand bien même cette dernière est plus infaillible que le premier document…). Mais, inversement, le juge de cassation ne pourrait-il pas se servir de l’enregistrement pour couvrir une nullité invoquée sur la base du procès-verbal des débats ? Imaginons en effet que soit invoqué un moyen de cassation fondé sur l’inobservation d’une formalité substantielle de procédure. Le procès-verbal des débats est muet sur ce point. La Haute Juridiction pourrait-elle avoir recours aux enregistrements pour s’assurer que la formalité n’a pas été bien accomplie ? Là encore, en l’état des textes, la réponse semble (heureusement) devoir être négative. Le procès-verbal des débats fait foi et l’enregistrement restera dans les archives de la justice.