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Le droit en débats

De nouveaux débouchés pour les docteurs en droit

Par Stéphane Valory le 26 Septembre 2013

Conformément à ce qu’avait annoncé le président François Hollande le 5 février 2013 devant le Collège de France, la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche comporte une série de mesures en faveur des docteurs, en particulier celles leur facilitant l’accès à la haute fonction publique. Cette initiative est l’occasion d’effectuer un rappel des avantages conférés par le doctorat en droit pour accéder à un emploi (I), qui ne doivent pas occulter les difficultés d’intégration des docteurs en droit (II), avant de s’interroger sur la valorisation de ce diplôme sur le marché du travail (III).

Les avantages conférés par le doctorat en droit

Accès au barreau

Aux termes de l’article 12-1, alinéa 3, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires, les docteurs en droit sont dispensés de l’examen d’entrée dans les écoles de formation des avocats, ce qui se justifie par l’expertise juridique acquise durant leurs travaux. Ils doivent, en revanche, suivre la formation donnée dans ces écoles et effectuer les stages en cabinet (jusqu’en 2004, ils pouvaient ne se présenter qu’à l’examen de sortie).
L’avantage n’en reste pas moins indéniable, l’examen d’entrée étant jugé plus difficile et sélectif que l’examen de sortie. Il permet aux docteurs en droit de mener plus facilement que d’autres des projets de reconversion vers le barreau.

Accès à la magistrature

Au sein de la magistrature, le doctorat en droit permet, selon l’article 18-1 de l’ordonnance n° 58-1273 du 22 décembre 1958, la nomination directe comme auditeur de justice si le docteur possède aussi « un autre diplôme d’études supérieures » (master de nos jours). Mais le nombre de postes est limité au cinquième du nombre des auditeurs.

Accès à la haute fonction publique

Dans le but de diversifier le recrutement des hauts fonctionnaires et de profiter des compétences pluridisciplinaires des docteurs, la loi du 22 juillet 2013 fait obligation d’adapter dans ce sens les concours et procédures de recrutement dans les corps et cadres d’emplois de catégorie A, dans l’ensemble des trois fonctions publiques – d’État, hospitalière, territoriale – (C. rech., art. L. 412-1, al. 3 et 4). Elle ouvre également aux docteurs l’accès au concours interne d’entrée à l’École nationale d’administration (C. rech., art. L. 412-1, al. 5). Enfin, dans la limite de trois ans, les années de recherche des docteurs sont assimilées à des périodes d’activité professionnelle pour se présenter au troisième concours d’entrée à l’École nationale d’administration, ouvert à la société civile (C. rech., art. L. 412-1, al. 6).
Sous réserve de la publication des mesures réglementaires nécessaires à la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions (réserve importante car il est probable que les énarques, comme ils l’ont fait au cours de la discussion du projet de loi, continuent à s’opposer aux réformes en cours…), les docteurs en droit bénéficient ainsi de nouvelles opportunités professionnelles. Ils ont, en effet, toute leur place dans la haute fonction publique, les missions qui y sont menées nécessitant souvent de fortes compétences juridiques. Elles sont aujourd’hui très majoritairement assumées par les énarques, formés notamment au droit public. Parmi les débouchés de cette École, on relève d’ailleurs de nombreux postes de magistrats, au Conseil d’État, dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, à la Cour des comptes et dans les chambres régionales des comptes.

Les difficultés d’intégration des docteurs en droit

Un doctorat pour quoi faire ?

Le doctorat en droit n’est indispensable que pour entamer une carrière universitaire : sans ce précieux sésame, impossible d’être recruté comme maître de conférences ou de se présenter au concours d’agrégation. Toutes les autres professions juridiques et judiciaires peuvent, en revanche, être exercées sans doctorat. Pour celles-ci, il est donc légitime de s’interroger sur l’intérêt de consacrer entre trois et cinq ans à la rédaction d’une thèse, avec pour principal inconvénient d’arriver sur le marché du travail quelques années après ceux qui ont terminé leurs études pourvus d’un master 2.
Il convient d’abord d’observer que beaucoup de doctorants souhaitent être recrutés dans l’enseignement supérieur. Or le nombre de postes se trouve limité et ne permet pas d’offrir ce débouché à tous ces jeunes docteurs. Ces derniers vont, en conséquence, se retrouver sur le marché du travail sans y être préparés et sans l’avoir vraiment voulu. Avec le risque de rejoindre l’entreprise ou le barreau sans grande motivation, avec au surplus un sentiment d’échec. De quoi expliquer sans doute les difficultés d’intégration de nombreux docteurs, encore accrues si le sujet de thèse est peu « vendeur » auprès des grosses structures (droit de la famille, procédure pénale, histoire du droit, etc.).
Quelle que soit la finalité de la thèse, il est impératif de l’inscrire dans un projet professionnel. Si l’objectif est l’obtention d’un poste d’enseignant-chercheur, mieux vaut s’assurer d’avoir mis toutes les cartes de son côté, avec, notamment, le choix d’un sujet doctrinal (pour une thèse « agrégative »). Les docteurs qui y parviennent sont généralement ceux qui, ayant bénéficié d’un contrat doctoral et été chargé de travaux dirigés, sont déjà pour partie intégrés à l’université. Avoir pour directeur de thèse un professeur influent est également un indéniable atout. Il y a sans doute des exceptions mais autant savoir qu’elles sont rares.
Si les étudiants doivent réfléchir à leur projet professionnel avant de débuter leur thèse, c’est bien sûr aux écoles doctorales qu’il revient de réguler et d’encadrer les travaux de recherche, notamment en informant au mieux les futurs docteurs, en mettant en place une véritable politique du choix des sujets de thèse et en s’efforçant de développer les conventions CIFRE (V. J.-S. Lipski, La CIFRE pour les doctorants en droit : un dispositif gagnant-gagnant, site AFDD). Aujourd’hui encore, la finalité universitaire prédomine, avec pour conséquence que les orientations possibles vers les autres professions du droit sont peu explorées. Ce qui peut expliquer que l’image du doctorat en droit soit parfois brouillée.

Image du doctorat en droit

L’image du doctorat en droit est difficile à cerner. Pour les non-juristes, elle est excellente : tout le monde sait qu’il s’agit du plus haut diplôme universitaire et, comme il n’y a pas (encore) de grandes écoles du droit, aucun diplôme privé ne vient faire de concurrence. Chez les juristes, du rat de bibliothèque au juriste surdimensionné en passant par l’érudit coupé des réalités pratiques, les regards, assez variés, sont parfois moins flatteurs. L’idée que le doctorat a pour vocation essentielle de former les futurs enseignants (alors que seule une minorité de docteurs intègrent l’enseignement supérieur), l’ombre que le concours d’agrégation fait planer sur le doctorat (alors que les deux institutions se situent sur des plans différents), l’inadéquation supposée de la formation par la recherche à la pratique du droit expliquent les réticences de certains à l’égard du doctorat.
Ce qui surprend le plus – et cela apparaît très nettement dans les réunions d’information régulièrement organisées par l’Association française des docteurs en droit (AFDD) –, c’est que ce sont les docteurs en droit eux-mêmes qui semblent les plus convaincus de la mauvaise image de leur diplôme, qu’ils considèrent même comme un handicap pour leur insertion professionnelle. Perception qui n’est pourtant confortée ni par l’expérience des cabinets de recrutement, ni par les témoignages des juristes d’affaires (V. S. Valory, Juristes d’affaires : quelle place pour le doctorat ?, site AFDD). Reste que le mal-être de certains docteurs, qui semblent perdus dans la nature et en arrivent à vouloir cacher leur diplôme en invoquant le scepticisme ou la jalousie supposés des recruteurs juristes, est incontestablement un problème car s’ils ne défendent pas leur doctorat, personne ne le fera à leur place.

La valorisation du doctorat en droit

Atouts de la formation par la recherche

Avant tout, le docteur en droit est considéré comme un juriste de haut niveau, ce qui implique non seulement une excellente culture juridique mais, également, une méthode de travail parfaitement maîtrisée. Son aptitude à l’analyse et à la synthèse, sa capacité de prendre du recul et de trouver une solution à un problème donné peuvent en faire un élément précieux dans n’importe quelle profession.
Du fait de la longueur et de la difficulté de la rédaction de la thèse, le docteur est également crédité d’une force de caractère et d’une ténacité appréciées. La solitude de la recherche, elle, atteste de son autonomie. Sans qu’il faille pour autant en déduire une quelconque inaptitude à travailler en commun : ce n’est pas parce qu’un chercheur est parvenu à mener à bien une entreprise solitaire qu’il faut en déduire qu’il est réfractaire au travail collectif ! Crainte qu’il sera d’autant plus facile d’évacuer si le docteur a effectué des recherches en entreprise dans le cadre d’une convention CIFRE (V. J.-S. Lipski, La CIFRE pour les doctorants en droit : un dispositif gagnant-gagnant, préc.) ou s’il a été chargé de travaux dirigés.
Enfin, les qualités rédactionnelles du docteur sont très largement admises. Dans un domaine – le droit – où l’écrit revêt une grande importance, qu’il s’agisse de l’entreprise (rédaction de contrats, de rapports), de la magistrature (rédaction des décisions de justice), du notariat (rédaction d’actes) ou des avocats (rédaction d’actes, de conclusions et de consultations), l’atout est de taille. De manière plus générale, au-delà des qualités de style, l’énonciation claire des idées et des concepts est un besoin que l’on retrouve partout.
Dans un pays dans lequel le doctorat n’a culturellement pas le même prestige que dans les pays anglo-saxons ou qu’en Allemagne, il appartient aux docteurs de savoir mettre en avant ces atouts pour convaincre leurs interlocuteurs de ce qu’ils peuvent leur apporter. Sans prétention ni arrogance mais avec fierté pour le travail qu’ils ont accompli. La loi du 22 juillet 2013 les y encourage, l’article L. 412-1, alinéa 7 nouveau, du code de la recherche rappelant que « les titulaires d’un doctorat peuvent faire usage du titre de docteur, en en mentionnant la spécialité, dans tout emploi et toute circonstance professionnelle qui le justifient ».

Accès au marché du travail

Dans les milieux professionnels (v. S. Valory, Le doctorat en droit dans les milieux professionnels, site AFDD), la thèse est d’autant plus valorisée qu’elle porte sur un sujet pratique susceptible de répondre à un besoin (thèse « professionnelle »). Le constat est logique : l’investissement qu’un recruteur sera prêt à réaliser sur un docteur sera proportionnel à l’apport que celui-ci pourra effectuer pour son activité. L’expérience prouve l’efficacité de cette démarche. En particulier, le taux de docteurs en droit financés par les conventions CIFRE qui intègrent une entreprise est de 80 %.
Dans les cabinets d’avocats, notamment d’affaires (V. S. Valory, Juristes d’affaires : quelle place pour le doctorat ?, préc.), le docteur est perçu comme un garant d’expertise, dont l’intervention sur des dossiers est de surcroît susceptible de rassurer les clients, surtout s’ils sont étrangers. Appréciable en tant que ressource interne, sa présence peut s’avérer également bénéfique en termes d’image. Le prestige du diplôme, la notoriété acquise par des publications et des conférences, une collaboration universitaire sont autant d’éléments susceptibles de participer à la visibilité du cabinet. Les docteurs sont particulièrement présents dans les cabinets d’avocats aux conseils, ce qui apparaît assez logique puisque la rédaction des pourvois formés devant le Conseil d’État et la Cour de cassation requiert à la fois des qualités rédactionnelles et une haute expertise juridique.
La situation est plus contrastée dans les entreprises. Si le docteur semble surdimensionné dans les petites directions juridiques, ses compétences peuvent s’avérer bienvenues dans les grandes entreprises qui internalisent des missions de recherche, pour défendre tel ou tel point de vue. Sa réputation d’expert pourra alors être utilisée comme un instrument de communication par son employeur. Il peut en aller de même dans certaines structures associatives, comme le MEDEF où l’on compte plusieurs docteurs en droit.

Bénéfices en cours de carrière

En cours de carrière, le doctorat en droit peut utilement servir les intérêts des professionnels libéraux. D’abord, le titre est de nature à rassurer la clientèle, ce qui en fait un instrument de captation non négligeable. Ensuite, il est susceptible de conduire à participer à des groupes de réflexion ou à intégrer des instances représentatives de la profession, éléments positifs pour l’image du praticien. Enfin, la détention d’un doctorat facilite la publication d’articles, ce qui contribue à la notoriété de l’auteur.